Ce jeudi, Too Good To Go dévoile une étude réalisée après le confinement et qui stipule qu’un Français sur trois aurait moins gaspillé de nourriture pendant le confinement, mais surtout que « la valeur économique, écologique et sociale de la nourriture » a évolué pour la moitié de la population.

« Il est très intéressant de voir à quel point la valeur de la nourriture a évolué pour les Français pendant le confinement » précise ainsi Lucie Basch, co-fondatrice de Too Good To Go. « Alors que le gaspillage alimentaire représente 8% des émissions de CO2, c’est très motivant de constater que la valeur écologique de la nourriture a évolué pour un Français sur deux et que 33% d’entre eux ont moins gaspillé de nourriture sur cette période« .

De fait, au-delà du gaspillage alimentaire, la crise sanitaire que nous traversons a permis de mettre encore davantage en lumière des sujets qui sont déjà sur la table depuis des années, à savoir le rôle prépondérant des agriculteurs – trop mal considérés – ainsi que l’importance d’une réelle souveraineté alimentaire. D’autant qu’en parallèle, les françaises et français reprennent petit à petit goût à leur alimentation et à la consommation locale. Mais jusqu’où cet engouement peut-il aller ?


Jusqu’où peut-on consommer bio et local en France ?

Car pour autant, le maintien de ces nouvelles habitudes ne dépend pas de la seule bonne volonté des ménages, mais principalement des possibilités qui leur sont offertes. Et les regards se tournent vers les producteurs et distributeurs qui devraient, toujours selon cette étude de Too Good To Go :

  • Développer une meilleure offre de produits locaux ou en circuits courts pour 51% des Français (et près de 2⁄3 des seniors)

  • Proposer et valoriser plus d’initiatives anti gaspillage alimentaire (36%)

  • Développer une meilleure offre de produits bio (28%)

  • Des préoccupations évidemment essentielles pour réussir la transition écologique de notre système agro-alimentaire. Mais qui se heurtent aussi à la réalité du terrain. Surtout en matière de production. Aujourd’hui, 2 millions d’hectares de terres sont cultivées en Bio, ce qui représente 7,5% de la surface agricole du pays. Et si la production a doublé en 5 ans, il est illusoire de croire en une souveraineté alimentaire bio dans l’hexagone. D’autant que l’agriculture biologique n’est pas toujours synonyme d’agriculture écologique.

    Quant au local et aux circuits-courts, il y a peut-être davantage de raisons d’y croire. Par exemple, La Ruche qui dit oui, célèbre plateforme de circuit court entre producteurs et consommateurs, a annoncé une hausse de 70% de son chiffre d’affaires, mais aussi une augmentation de 30% du nombre de ses fournisseurs durant le confinement. S’il s’agit probablement d’un effet d’aubaine lié à cette période de quarantaine, cela démontre pourtant la volonté des françaises et français de se rapprocher de leurs agricultrices et agriculteurs. Mais tous les producteurs n’ont pas le temps ou la possibilité de vendre en circuit-court.

    Donc, pour que cela puisse fonctionner à grande échelle, il faudrait voir si la grande distribution est prête à y aller, et de quelle manière. D’autant qu’elle tarde à remodeler son système dont le vieux logiciel est responsable, par exemple, des pénuries de farine que nous avons connu au mois de Mars… Alors que la France est le 1er producteur de blé tendre dans l’Union Européenne !


    La grande distribution doit revoir son modèle

    La grande distribution se montre parfois volontariste pour proposer davantage de produits bio, de produits locaux, ou encore pour mettre en avant les producteurs avec lesquelles les enseignes collaborent. On peut regretter que le mouvement soit lent, mais au moins, il existe.

    D’ailleurs, durant le confinement, plusieurs enseignes ont très rapidement décidé de privilégier les produits français dès lors qu’il n’avaient plus vraiment d’autres choix. Et ainsi que le souligne par ailleurs dans une tribune le secrétaire national du réseau Footech, Xavier Boidevézi.

    Cela nous amène à nous demander si nos enseignes ne devraient pas automatiquement promouvoir en priorité les productions locales, sans attendre une crise pour recourir à ces pratiques

    Xavier Boidevézi – secrétaire national de la Foodtech


    Si la grande distribution proposait davantage de produits locaux – ou au moins français – ce pourrait être une manière de coller aux aspirations des français tout en soutenant nos exploitants. Mais ici, deux points sont à revoir. D’abord, la rémunération des agriculteurs et des agricultrices. D’une part car leur rôle dans notre société ne peut plus être aussi ignoré qu’il l’était avant la crise. D’autre part car la logique des « prix toujours plus bas » a atteint ses limites et on ne peut l’ignorer non plus.

    Ce qui signifierait, soit de rogner les marges de la grande distribution, soit de vendre plus chers les denrées alimentaires. C’est d’ailleurs ce que proposent certaines marques comme Poulehouse, Juste&Vendée ou encore C’est qui le patron! (Signe que c’est possible).

    Dans l’intervalle, différentes alternatives émergent et pourraient s’inscrire durablement dans nos pratiques. Il s’agit de la mise en place de canaux de distribution alternatifs, notamment grâce à l’essor de la Foodtech, mais aussi par de nouvelles pratiques en matière de production, comme l’agroécologie ou encore via l’essor des productions maraichères urbaines et péri-urbaines.


    L’agtech et la foodtech au service d’une alimentation locale et durable

    L’essor de la foodtech et de l’agtech – dont la France est l’un des principaux moteurs au niveau mondial – est l’un des grands enjeux de la transition de notre système agroalimentaire. Mais surtout, un maillon essentiel pour favoriser le développement d’une consommation locale, en circuit-court et qui privilégie des techniques agricoles durables ou raisonnées.

    Au delà des Amap, des coopératives et des réseaux physiques comme La Ruche qui dit Oui, les startups foodtech ont ainsi donné naissance à de nombreuses plateformes qui permettent aux françaises et français de s’approvisionner facilement en produits frais. C’est par exemple le cas de Potager City, Alancienne, À 2 pas d’ici, Drive Fermier et encore d’autres. On peut même citer également Poiscaille, car l’alimentaire concerne aussi les produits de la mer et la pêche durable.

    Mais pour faciliter le travail des exploitants – qui ne sont pas non plus des commerciaux ni des logisticiens – d’autres initiatives émergent à l’image des startups Promus et La charette, qui proposent tous deux des solutions différentes pour faciliter la livraison. C’est aussi le cas de Socleo (ex Panier Local), qui édite un logiciel clé en main développé pour que les exploitants puisse vendre leurs productions en direct.

    Autant d’initiatives qui pourraient donc palier aux manques de la grande distribution, dont on ne doute pas, cependant, qu’elle finisse par se mettre au local dans les mois et années à venir. Voire même que certaines enseignes se mettent à produire sur place. Ce qui, ici aussi, peut être rendu possible par les startups Agtech. Il suffit pour cela de regarder ce que propose la startup Rennaise Urbanfarm, qui fait pousser des herbes aromatiques dans des containers. Elle vient d’en installer une au sein d’un supermarché E.Leclerc. Difficile de faire plus local… et ce pourrait être l’avenir sur certaines productions.

    Les collectivités ont un rôle central à jouer sur le soutien aux producteurs et sur la possibilité d’avoir ou de créer des canaux de distribution locaux. Notamment pour soutenir la restauration et pour les cantines scolaires

    Hugo Meunier – Merci Raymond


    Les collectivités : pilier du développement de l’agriculture urbaine ?

    Ce qui nous ramène invariablement à la question de l’agriculture urbaine et péri-urbaine, qui sont un peu le graal de la consommation locale. Alors évidemment, on sait aujourd’hui que très peu de projets sont rentables et que la question du modèle économique de ce type d’agriculture n’est pas réglée.

    On sait aussi qu’il y a des limites en matière de production et de rendements. il faudrait par exemple 16 000 hectares de cultures pour assurer l’autosuffisance des Parisiens en fruits et légumes uniquement. Ce qui représente 1,5 fois la surface de la ville.

    Cependant, l’agriculture urbaine et péri-urbaine est une carte majeure pour assurer la souverainneté de notre système alimentaire, car il s’agit d’un complément intéressant et pas anodin en matière de retombées sociales et économiques. C’est aussi l’une des pratiques à développer en matière de transition vers des modèles de villes durables. Et ici, les collectivités ont un rôle prépondérant.

    « Chez Merci Raymond, on croit beaucoup à l’idée de se réapproprier des espaces publics pour replanter des légumes, pour se ressourcer ou pour faire de la pédagogie » précise Hugo Meunier, fondateur de cette entreprise experte en végétalisation des espaces urbains, et qui travaille sur des projets d’agriculture urbaine à Paris et dans sa banlieue. « Et demain, les réseaux alimentaires vont continuer dans ce sens là. Rungis, par exemple, se lance dans la vente en direct. La ville de paris souhaite créer une coopérative agricole – l’agriParis – qui aura comme objet de centraliser une partie de la production d’Ile-de-France à destination des crèches et des écoles« .

    L’an dernier, Merci Raymond a d’ailleurs publié un ouvrage Tous acteurs de la révolution verte, composé notamment de propositions à destinations des collectivités territoriales. « Les collectivités ont un rôle central à jouer sur le soutien aux producteurs et sur la possibilité d’avoir ou de créer des canaux de distribution locaux. Notamment pour soutenir la restauration et pour les cantines scolaires » ajoute Hugo Meunier, qui pense notamment que la coopération entre territoires est l’une des clés de ce développement.

    « Il y a une véritable possibilité de recréer des partenariats entre territoires pour faciliter l’approvisionnement sur certains produits. Je pense qu’on peut notamment retrouver une certaine autonomie alimentaire à l’échelle de petites communes, et recréer des plans alimentaires locaux avec des systèmes durables » précise celui qui regarde toujours le modèle de Detroit, ville américaine avant-gardiste en matière d’agriculture urbaine.

    Mais pour cela, il y a un verrou à faire sauter : celui de l’accès au foncier. Que ce soit en ville, proche banlieue ou territoires ruraux périphériques… C’est aussi le rôle des collectivités de faciliter ou non l’accès à ce foncier pour des projets alimentaires. La consommation locale et la souveraineté passeront par là.