Après la seconde-guerre mondiale, l’avènement des engrais et des pesticides de synthèse a permis un changement profond de méthode dans le monde agricole. Associé à la mécanisation des exploitations, les intrants de synthèse ont incité les exploitants à raser les haies et à agrandir leurs parcelles afin de se spécialiser autour des cultures les plus rentables sur le plan économique tout en s’affranchissant des contraintes liées aux ravageurs et maladies. C’est le modèle de l’agriculture conventionnelle (ou agriculture intensive).

Cette transformation de l’agriculture a permis une hausse considérable des niveaux de production ; de développer l’export mais aussi d’assurer notre sécurité alimentaire face aux aléas climatiques. Mais en parallèle, de manière insidieuse, l’agriculture intensive a entraîné une perte progressive de diversité végétale dans et hors de cultures, ainsi qu’une contribution majeure au changement climatique et à l’érosion de la biodiversité. Des conséquences connues depuis longtemps. Ainsi, c’est en 1962 que paraissait le livre choc de Rachel Carson sur les ravages des épandages de pesticides qui a mené à l’interdiction du DDT et à une prise de conscience du sujet.

Pourtant, en 60 ans, rien n’a vraiment changé sur le sujet, même si certains produits phytosanitaires comme le glyphosate ou les néonicotinoïdes sont dans le viseur des autorités : force est de constater que les alternatives à l’agriculture conventionnelle tardent à se mettre en place. Il y a pourtant une volonté de moderniser nos agricultures en réduisant leur dépendance aux intrants de synthèse. Le Pacte Vert de l’Union Européenne vise à l’horizon 2030 une réduction de 50 % de l’usage des pesticides, ainsi qu’une augmentation jusqu’à 25 % de la part des surfaces agricoles cultivées en agriculture biologique. En France, la réduction des produits phytosanitaires est également fixée dans le marbre depuis 2008 et le lancement du plan Ecophyto.

Mais le fait est que la transition vers des systèmes de culture plus économes en pesticides n’est toujours pas suffisamment développée pour atteindre les objectifs fixés par ce plan. Ecophyto a d’ailleurs été révisé deux fois depuis 2008 et il ne porte toujours pas ses fruits. En 2020, le nombre total d’hectares traités par des produits phytosanitaires en France reste ainsi 10 % plus élevé qu’en 2008. La France se situe d’ailleurs au deuxième rang européen en matière de quantités de substances actives de produits phytopharmaceutiques vendues, après l’Espagne et devant l’Italie.

En parallèle, l’Union européenne affiche également l’objectif d’augmenter jusqu’à 10 % les surfaces occupées par des éléments à « haute diversité biologique », ce qui correspond à la création de bandes enherbées, la mise de terres en jachère ou encore la plantation de haies autour des parcelles. Des pratiques agroécologiques qui participent à augmenter la diversité végétale de nos paysages agricoles. Et c’est justement par là que pourrait se trouver la solution pour réduire notre dépendance aux engrais et pesticides.

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La diversité végétale pour lutter contre les bioagresseurs

De manière très concrète, le rendement des cultures dépend d’un ensemble de facteurs aux premiers rangs desquels figurent la pression des bioagresseurs, la fertilité des sols ou encore la pollinisation. La plupart des produits phytosanitaires utilisés en agriculture conventionnelle concernent justement la lutte contre les bioagresseurs

Les ministères en charge de l’agriculture, de la transition écologique et de la recherche ont confié à INRAE, fin 2019, le pilotage d’une expertise scientifique collective sur les bénéfices de la diversité végétale pour la protection des cultures. Les conclusions, qui s’appuient sur l’analyse de près de 2 000 références scientifiques internationales, ont été présentées ce 20 octobre. Elles montrent notamment que la diversification végétale des parcelles et des paysages agricoles est une solution naturelle efficace pour protéger les cultures et garantir des niveaux de rendement égaux voire supérieurs aux systèmes peu diversifiés.

La diversification végétale, consiste à favoriser la cohabitation de nombreuses espèces végétales dans les parcelles. Cela peut prendre plusieurs formes dont la plus connue est sans aucun doute l’agroforesterie, pratique ancestrale qui consiste à planter des arbres – souvent des fruitiers – dans les parcelles. Les arbres apportent ainsi plusieurs avantages en matière de biodiversité, pour protéger les cultures des fortes chaleurs, pour réduire l’érosion des sols et améliorer l’irrigation des sols. La diversification végétale, c’est aussi la mise en place de cultures intermédiaires entre deux cultures ou encore la mise en place d’infrastructures agroécologiques comme les bandes enherbées, les terres en jachère. La plantation de haies possède également beaucoup d’avantages à ce sujet. Autant d’éléments qui servent de refuge et de nourriture aux ennemis de certains bioagresseurs des cultures

En capitalisant sur ces pratiques agroécologiques, les chercheurs estiment que l’on pourrait réduire l’utilisation de pesticides de synthèse. D’après leur revue scientifique, les chercheurs de l’INRAE calculent par exemple que l’agroforesterie contribue à augmenter la biodiversité de 61 % dans les parcelles. La rotation des cultures a un effet similaire (augmentation de la biodiversité de 37%). Une hausse de 21% est également constatée dès lors qu’on met en place un couvert végétal sur les cultures. Ces pratiques améliorent la présence d’organismes vivants qui s’avère ensuite positive pour lutter contre les bioagresseurs des cultures (insectes ravageurs, plantes adventices ou encore champignons pathogènes). « Au sein d’une même parcelle (cultures associées, cultures en relai), il est constaté une augmentation du contrôle des bioagresseurs de 60% lors de l’association de plusieurs espèces végétales, de 40% grâce à l’agroforesterie, et de 84% avec l’implantation de haies notamment » précisent les chercheurs de l’INRAE.

Toujours d’après ces recherches, l’INRAE estime qu’en fonction des méthodes choisies, les cultures peuvent ainsi voir leurs rendements augmenter jusqu’à 47% grâce à la diversité végétale. Les gains sont notables avec la pratique des rotations de culture (10-20 %) et avec les associations d’espèces cultivées pour au moins une des deux espèces (20-40 %).

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Des freins à lever et des études à compléter

Cette revue d’articles scientifiques menée par l’INRAE démontre ainsi que la diversification végétale des parcelles et des paysages agricoles est une solution naturelle efficace pour protéger les cultures et garantir des niveaux de rendement égaux voire supérieurs aux systèmes peu diversifiés. La pratique est cependant sujette à de nombreux freins.

Parmi les principaux freins, il y a une question économique pour les exploitants agricoles car les changements qui amènent à des pratiques de diversification végétale peuvent être coûteux (nouveaux équipements) et amener à des résultats différents (perte d’espace dans les parcelles). Par ailleurs, l’étude explique également que les choix d’un agriculteur « dépendent largement des interactions avec des acteurs en amont de la production (équipements, semences…) et en aval (filières agricoles, débouché des produits…) » qui freinent parfois la transition des exploitations.

Pour faire face à cela, les pouvoirs publics, en tant que régulateurs, ont évidemment un rôle essentiel à jouer dans ces choix en mettant en place des politiques publiques incitatives (subventions, paiement pour service environnemental…) cohérentes et contraignantes (interdiction ou limitation de certains pesticides, obligation de maintenir des espaces semi-naturels…).

À noter que le développement des pratiques agroécologiques qui permettent la diversification végétale sont aussi à mettre en parallèle avec le développement de l’agriculture de précision, qui permet de réduire drastiquement l’usage des intrants de synthèse, mais aussi avec le développement des produits de biocontrôle et biostimulation qui se posent en alternatives aux intrants de synthèse traditionnels.

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