Après Don’t Look Up, et si on pensait à « Look underground » ? L’importance de la biodiversité des sols est régulièrement mise en avant en matière de transition écologique car la préservation des sols est essentielle à de nombreux égards : production alimentaire, stockage du carbone dans le sol, lutte contre l’érosion. Et dans le sol, le mycélium reste méconnu du grand public et relativement peu évoqué dans les travaux sur la question climatique alors même qu’il est au cœur des enjeux environnementaux puisqu’environ 80% des végétaux forment une symbiose avec le mycélium pour se développer, s’alimenter, se protéger ou encore pour communiquer.
Une richesse que les scientifiques Toby Kiers et Colin Averill ont choisi d’étudier en fondant la SPUN (Society for the Protection of Underground Networks), la « Société pour la protection des réseaux souterrains ». Une initiative qui consiste à cartographier ce réseau invisible et planétaire afin d’accroître nos connaissances sur cet écosystème et définir des zones à protéger d’urgence.
Le mycélium : invisible mais essentiel à la biodiversité et au cycle du carbone
Le mycélium est apparu il y a plusieurs millions d’années et fascine les scientifiques. En effet, le règne des champignons, ni animal, ni tout à fait végétal, constitue une catégorie à part de nos écosystèmes. Tels qu’on les connaît – en surface – ils ne représentent que la partie visible d’un vaste système sous-terrain s’étalant sur plusieurs milliers d’hectares à l’échelle de la planète. Le mycélium constitue en effet la partie végétative des champignons. Il dispose de ramifications très développées, à tel point que l’on estime qu’un gramme de sol peut contenir jusqu’à 90 mètres de mycélium. Et les bénéfices de ce « wood wide web » sont inestimables.
« Les réseaux formés par le Mycelium des champignons sont comme des autoroutes nutritives vivantes entre les racines des plantes et le sol. Les plantes nourrissent les champignons avec du CO2 en échange de phosphore et de nutriments que les champignons vont capter dans le sol » explique ainsi la biologiste Toby Kiers.
Les hyphes, ces longs filaments blancs qui composent le mycélium lui permettent en effet d’interagir avec les racines des arbres ou des végétaux afin de former ce qu’on appelle des « réseaux mycorhiziens ». Une véritable symbiose, dont l’organisation diffère selon les essences et les latitudes. Ainsi, les zones fraîches seront davantage caractérisées par la présence d’ectomycorhizes, c’est-à-dire que le mycélium entoure les racines des arbres, tandis qu’il aura tendance à les pénétrer dans des régions plus humides et chaudes – ce sont les endomycorhizes.
Quelle que soit sa forme, c’est en grande partie à cette relation que l’on doit la survie des arbres, que le mycélium alimente autant qu’il les protège. L’étalement et la profondeur de ces réseaux fongiques leur permettent d’aller puiser eau mais aussi phosphore et d’autres nutriments dont l’arbre à besoin, agissant comme une extension de ses racines. Une capacité qui se révèle fort utile en cas de sécheresse. De même, le mycélium de certains champignons est en mesure de fixer les métaux lourds et éviter ainsi qu’ils n’intoxiquent les milieux et les plantes à la surface. Leurs signaux chimiques défendent aussi les plantes face aux attaques des nuisibles.
En outre, ces mêmes hyphes sont aussi à l’origine de la décomposition de la matière organique puisque le mycélium récupère le CO2 capté par les végétaux et le fixe dans le sol. La SPUN estime ainsi que les écosystèmes associés à des réseaux mycorhiziens stockent huit fois plus de carbone que les autres.
L’assimilation du carbone par le mycélium peut se faire de différentes manières, allant de l’expansion des réseaux à la création d’exsudats fongiques. Ces derniers jouent un rôle d’autant plus important qu’ils permettent de retenir l’eau et de lutter contre l’érosion. Enfin, une partie du carbone est conservée dans des réseaux mycorhiziens inactifs mais profondément enracinés dans les sols, assurant ainsi leur maintien.
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Un écosystème fragile à protéger d’urgence
Seulement, sous l’effet des activités anthropiques, cet écosystème pourrait bien disparaître. Alors que le mycélium et les plantes assurent mutuellement la survie l’un de l’autre, voilà que la disparition effrénée des forêts, prairies et autres espaces verts met cette symbiose en danger. Un rapport de la FAO estime ainsi que nous avons perdu 100 millions d’hectares forestiers en l’espace de deux décennies en raison de l’urbanisation et de l’agriculture puisque l’utilisation de fongicides et de produits phytosanitaires en l’agriculture conventionnelle s’avère particulièrement nocive pour le mycélium. Enfin, le changement climatique frappe aussi ces réseaux de champignons de plein fouet.
« Ces réseaux mycorhiziens disparaissent à une vitesse alarmante » ajoute Toby Kiers. « Ils sont un peu, dans le sol, l’équivalent des récifs coralliens« . Ainsi, la multiplication des incendies, notamment, participe à sa destruction et sa disparition inverse la tendance et libère des gaz à effet de serre contenus dans les sols. Par ailleurs, l’augmentation des températures entraîne déjà la disparition de certaines essences d’arbres, qui devraient être remplacées par des essences de climats plus chauds et associées aux endomycorhizes qui stockent moins de carbone. Des changements qui pourraient alors entraîner une libération de gaz effet de serre dans à l’atmosphère, à l’encontre du rôle initial du mycélium !
Avec leur disparition, c’est le reste de la biodiversité qui est ainsi en danger, mais aussi la capacité des sols à assurer leur rôle de puits de carbone. Un enjeu à prendre en compte d’urgence, pour lutter efficacement contre le dérèglement climatique. D’autant que ces réseaux de champignons peuvent, au contraire, représenter des alliés considérables à l’avenir en matière d’agroécologie. Ils sont par exemple à la base de la création de certains produits de biocontrôle par des entreprises comme Mycophyto ou Inoculum Plus, qui cherchent justement à renforcer le lien entre les mycorhizes et les plantes afin de les aider à être plus résilientes vis-à-vis du changement climatique.