Les rapports du Giec sont formels sur le sujet, le réchauffement climatique va entraîner à l’avenir des périodes de sécheresses qui seront de plus en plus fréquentes et de plus en plus intenses. Nous en mesurons déjà les effets à certains endroits du globe. La Californie, par exemple, est passée tout près de couper l’eau du robinet à ses habitants cet été. Ce fut aussi le cas de la ville du Cap, en Afrique du sud, lors de l’été 2018.

D’ailleurs, dans son rapport intitulé « Situation des services climatologiques 2021: L’eau » publié le 05 octobre 2021, l’Organisation Météorologique Mondiale précise bien que « le manque d’eau continue d’être une source majeure de préoccupation pour de nombreuses nations, notamment en Afrique ». Ainsi, toujours d’après l’OMM, « plus de 2 milliards de personnes vivent dans des pays soumis à un stress hydrique et souffrent du manque d’accès à l’eau potable et à l’assainissement ».

Entre autres conséquences, le stress hydrique perturbe la capacité d’absorption des sols, ce qui peut entraîner des risques d’inondations en cas de précipitations. En outre, ces épisodes climatiques altèrent la faune et la flore, qui peuvent être perturbées et périr. Raison pour laquelle il est essentiel pour notre survie future de trouver dès aujourd’hui des solutions pour protéger la nature des épisodes de sécheresse.


58% des arbres endémiques d’Europe sont menacés d’extinction

Selon une étude publiée en septembre 2020 dans Philosophical Transactions B, le Nord et l’Est de l’Europe ont enregistrés ces dernières années une baisse en moyenne de 40% du rendement de leurs cultures (avec des secteurs plus touchés comme le blé ou l’orge). Mais aussi, une baisse de 20% de la quantité des puits de carbone a été relevé. Tout ceci ayant pour principale cause les sécheresses subies en 2018.

Outre les risques élevés d’incendie, dont on a pu mesurer à nouveau les effets durant l’été, la végétation est menacée par la sécheresse pour plusieurs raisons : elle altère la teneur en eau des sols et la température, notamment dans les milieux forestiers. Ce qui est particulièrement inquiétant pour nos amis les arbres. Car, si le sol se dessèche, que l’eau s’évapore de manière importante et que la température est élevée, certains arbres risquent alors de mourir par embolie.

Et quand il ne meurent pas, de nombreux arbres vont être aussi fragilisés par ces épisodes et seront donc plus vulnérables face aux agents pathogènes – champignons, bactéries – et aux  insectes ravageurs comme les scolytes typographes qui creusent des galeries et pondent leurs œufs sous l’écorce. En France, les épicéas, les hêtres, pins et sapins sont les plus touchés par ce phénomène. D’ailleurs, l’UICN estime que 58% des arbres endémiques d’Europe sont menacés d’extinction.

Pour lutter contre cela, les scientifiques des Universités d’Orléans et d’Oregon mais aussi de l’INRAE, du CEA et de l’IRD ont mené des études novatrices sur l’épigénétique chez les arbres afin de déterminer quels facteurs les aidaient à s’adapter mais aussi à comprendre comment. Le but étant d’améliorer la gestion des forêts et de s’adapter aux conséquences du changement climatique. Les résultats de leurs études ont été publiés en juillet 2021 dans la revue New phytologist. Et pour comprendre les facteurs de tolérance de certains arbres face à la sécheresse, les chercheurs ont notamment étudié le rôle de l’épigénétique.

forêt domaniale france


Quel est le rôle de l’épigénétique dans la tolérance de certains arbres ?

L’épigénétique est une discipline de la biologie qui s’intéresse à la nature des mécanismes qui modifient l’expression des gènes. C’est par exemple le cas de la méthylation de l’ADN. Cette modification d’expression des gènes n’altère pas l’ADN dans sa séquence, mais elle permet une expression différente, réversible et transmissible. Cette modification naturelle a aussi été observée chez l’humain et constitue un espoir pour la médecine.

Dans leurs travaux, les chercheurs ont utilisé des peupliers modifiés épigénétiquement (c’est-à-dire qu’ils ont modifié la méthylation de leur ADN) de manière artificielle, et des peupliers à non modifiés pour les comparer. Les deux types de peupliers ont été placés en conditions de sécheresse. En parallèle, un groupe témoin a continué d’être arrosé.

Il en est ressorti qu’en conditions de sécheresse, il n’y avait pas de différences notables en termes de hauteur ou de croissance entre les peupliers arrosés et les peupliers modifiés pour la méthylation de l’ADN. Ces derniers ont donc continué leur croissance malgré le manque d’eau et les scientifiques sont amenés à penser que les modifications épigénétiques pourraient donc améliorer la tolérance des arbres à ces conditions environnementales. D’autant plus que dans ces mêmes conditions, les peupliers non modifiés ont eu une croissance ralentie.

Également, leurs travaux ont montré que le gain de tolérance à la sécheresse des peupliers modifiés était associé à une modification des voies de signalisation hormonale. Ce qui est aussi pertinent à relever, c’est que les arbres modifiés en épigénétique et en conditions de stress développent et accumulent des mutations somatiques (c’est-à-dire qui ne se transmettront pas à la descendance).

En Août 2021, les incendies ont été responsables de l’émission de 1 384,6 mégatonnes de CO2 dans l’atmosphère.


Une étude qui ouvre le champ des possibilités

Cette étude est donc symbole d’espoir, même si elle ne concerne pour l’instant que les peupliers, et que des interrogations persistent autour des mutations génétiques engendrées par les modifications épigénétiques (chez les arbres modifiés pour la méthylation de l’ADN) qui ont été observées. Mais également, il y a toujours des questionnements concernant de la durabilité du phénomène, et de la possibilité de l’appliquer à grande échelle. Les recherches en sont encore au stade de recherche fondamentale.

L’universitaire Stéphane Maury, Professeur des Universités à Orléans, qui a coordonné cette étude, nous explique qu’on n’envisage pas ici l’utilisation d’arbres transgéniques mais qu’on privilégierait une recherche des variants épigénétiques dans les populations naturelles. « On pourrait par exemple stresser certains individus, ce qui modifiera leur épigénétique. Avec cet effet de priming, qu’on utilise déjà en agriculture, le prochain stress engendrera une meilleure réaction de cet individu. Il faudrait alors se demander : Comment pourrait-on stimuler ce priming épigénétique ? « 

Une première étape permettrait ensuite de préparer les futurs arbres plantés par l’humain à cet enjeu. « Actuellement, nous faisons des boutures à partir d’arbres qui sont plantés ailleurs, à des endroits où les conditions sont favorables à la croissance, mais il faudrait peut-être les planter à des endroits moins propices au niveau des conditions environnementales pour créer l’effet priming » ajoute Stéphane Maury.

Ces modifications épigénétiques, qui entraînent parfois des mutations génétiques, permettraient de développer une plus grande diversité au sein des populations naturelles d’arbres, ce qui pourrait participer à l’amélioration de la résilience des forêts aux conditions extrêmes.

Pour le moment, ces travaux ne portent que sur le peuplier, mais ils vont permettre d’accélérer les études faites sur les autres espèces d’arbres. Les scientifiques du projet continuent actuellement leurs études avec le projet EPITREE en analysant les dix populations européennes de peupliers présentes naturellement mais aussi le chêne, dans le but d’améliorer la compréhension des études déjà menées et de mesurer la diversité épigénétique naturelle. Il est à souligner que ces études sur le peuplier pourraient notamment servir les entreprises françaises spécialisées dans le bois puisque le peuplier est la 3ème espèce de feuillus la plus cultivée et utilisée pour son bois.

En France métropolitaine, les forêts séquestrent 19% des émissions annuelles françaises de GES

Évaluation française des écosystèmes et des services écosystémiques – 2019


Quelles autres solutions existent pour limiter les effets de la sécheresse sur les arbres ?

Cette étude nous permet donc de comprendre que l’adaptation des forêts au changement climatique passera peut-être par l’épigénétique et la diversité qu’elle apporte. Une notion, la diversité, au coeur des solutions déjà envisagées pour améliorer la résistance des forêts au changement climatique.

L’ONF émet ainsi deux principales propositions de solutions pour limiter l’impact de la sécheresse sur nos arbres. Elle appelle d’abord à éviter la monoculture et à diversifier les espèces d’arbres au sein des forêts. Leurs besoins étant différents, cela permettrait d’avoir des systèmes racinaires plus diversifiés n’allant pas chercher l’eau forcément aux mêmes strates dans le sol. Cette consommation étant mieux répartie, la pression sur l’eau serait amoindrie dans les forêts. Enfin, l’ONF ajoute que les arbres ont aussi besoin d’espace pour que la pression sur l’eau soit moins importante. Ce qui est une autre piste pour améliorer la gestion de nos espaces forestiers.

Elle préconise également des analyses régulières des forêts, des sols et du microclimat pour adapter au mieux la gestion des forêts, et privilégie la sylviculture – c’est-à-dire une exploitation rationnelle des forêts permettant leur régénération – avec des arbres d’âge différents. Et peut-être aussi d’origines différentes ?

Dans ce cadre, l’ONF a également mis en route le projet Giono en 2011. Ce projet est une expérience de migration assistée de chênes et de hêtres, du Sud de la France vers la forêt de Verdun dans la Meuse. Les chênes et hêtres implantés à Verdun pourraient transmettre aux autres arbres et aux futurs arbres des gènes qui leur permettent de résister aux conditions climatiques à venir. Une expérimentation intéressante, qui reste pour le moment difficilement réplicable à grande échelle.


Les forêts fragilisées par la sécheresse captent moins de CO2

Les forêts sont des puits de carbone essentiels à la survie des espèces et constituent un outil de lutte contre le dérèglement climatique. Selon le rapport de l’EFESE (Évaluation française des écosystèmes et des services écosystémiques) publié en mars 2019, en France métropolitaine, les forêts séquestrent 19% des émissions annuelles françaises de GES.

Cependant, d’après différentes études scientifiques, les arbres fragilisés par un épisode de sécheresse le seraient pour plusieurs années et capteraient moins de CO2. Autrement dit, les forêts deviennent des puits de carbone moins efficaces lorsqu’elles sont fragilisées par les phénomènes climatiques. En outre, l’inflammabilité de la végétation est accentuée par la sécheresse et la chaleur, ce qui facilite l’essor des méga-feux.

Au cours de l’été 2021, le monde a été particulièrement touché par ces épisodes, que ce soit en Amérique du Sud, en Californie, en Grèce, en Turquie, en Algérie, au Congo et même en Sibérie. Le triste record du monde du nombre de feux quotidiens a été battu le dimanche 8 août avec 187 114 incendies recensés. Un problème qui en aggrave un autre : les incendies participent activement au réchauffement climatique. En Août 2021, ils ont été responsables de l’émission de 1 384,6 mégatonnes de CO2 dans l’atmosphère.

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