Jean Jouzel est un scientifique français qui travaille sur l’évolution du climat depuis une cinquantaine d’années. En 1987, il publie, avec le scientifique Claude Lorius, l’une des premières études qui démontre le lien entre la concentration de CO₂ dans l’atmosphère et le réchauffement du climat.
Membre du Giec entre 1994 et 2015, dont il a été le vice-président du groupe scientifique entre 2002 et 2015, Jean Jouzel a participé à toutes les COP depuis 2001 au titre de la délégation française. Récemment, il a notamment fait partie du comité de gouvernance de la Convention Citoyenne pour le Climat. À l’occasion d’une journée thématique autour du biométhane organisée récemment par l’association AILE (Initiatives Locales Energie Environnement, le cluster Méthatlantique et GRDF, nous avons fait le point avec lui sur le bilan – en demi-teinte – de la COP26.
Les Horizons : Jean Jouzel, quel bilan tirez-vous de cette COP26 ?
Jean Jouzel : Les COP, se sont les réunions internes des signataires de la Convention sur le climat mise en place en 1992 au sommet de la terre de Rio. La première a eu lieu en 1995 à Berlin, et elles se déroulent chaque année depuis. Ensuite, on a véritablement 3 conférences qui sont importantes, c’est-à-dire, lors desquelles il y a eu des accords internationaux : en 1997 avec le protocole de Kyoto, en 2009 à Copenhague et à Paris en 2015. L’accord de Paris apporte quelque chose de nouveau, avec un objectif chiffré qui est mis en place, qui est de contenir le réchauffement climatique en dessous des +2°C, voire à +1,5°C.
La COP de Glasgow, pourquoi elle était importante ? D’abord, parce qu’à Paris, on parlait davantage des +2°C et aujourd’hui, beaucoup plus des +1,5°C. Entre les deux, il y a eu la publication d’un rapport du Giec, en 2018, qui exprime clairement que chaque demi-degré compte, et que, pour les jeunes d’aujourd’hui, ce serait beaucoup plus facile de s’adapter à un réchauffement à +1,5°C plutôt qu’un réchauffement à +2°C. Dans les textes, on associe d’ailleurs cette trajectoire à +1,5°C à la neutralité carbone.
Ensuite, il y a eu des points positifs à Glasgow. Une chose importante, c’est que les règles de fonctionnement de l’accord de Paris ont été finalisées durant cette COP. Il y a aussi eu beaucoup d’engagements sectoriels, pour diminuer les émissions de méthane de 30% à horizon 2030, par exemple, ou au niveau des investissements publics dans les combustibles fossiles à l’étranger. Donc il y a quelques points positifs, mais c’est vrai qu’on continue de prendre du retard.
Si on se place à l’horizon 2030, il faudrait diminuer les émissions de 45% par rapport à 2010 alors qu’elles ont déjà augmenté de 15%.
La question du financement est notamment restée sans réponse…
À Copenhague, en 2009, les pays développés avaient promis d’aider les pays en développement à partir de début 2021 à hauteur de 100 milliards de dollars chaque année pour les aider à lutter contre le réchauffement climatique et s’y adapter. Cette promesse n’est pas tenue. D’autant qu’il y a besoin d’aides financières pour s’adapter au réchauffement climatique, mais aussi, désormais, pour les pertes et préjudices subis, ce qui est une demande légitime des pays en développement pour qu’au moins une partie du coût des catastrophes climatiques soit pris en charge par les pays développés.
Après, dès le départ, les engagements pris à Paris étaient largement insuffisants et nous emmènent plutôt vers un monde à +3°C. Ce qui est beaucoup trop. Donc un des premiers objectifs de Glasgow, c’était de relever cette ambition, et c’est une des décisions prises à la COP26, de demander à nouveau aux pays de rehausser leurs engagements dès l’an prochain. Mais d’un côté, c’est quand même un échec car, si on se place à l’horizon 2030, il faudrait diminuer les émissions de 45% par rapport à 2010 alors qu’elles ont déjà augmenté de 15%. Donc on aura largement deux fois plus d’émissions en 2030 par rapport à ce qu’il faudrait pour respecter les +1,5°C.
RTE a publié récemment ses hypothèses pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Qu’en retenez-vous ?
La question de l’énergie est essentielle. Aujourd’hui, 70% de notre énergie provient encore des combustibles fossiles. On parle beaucoup de notre électricité, mais le nucléaire ne représente que 20% de l’énergie française. Ensuite, ce que je note d’important dans le rapport RTE et ce débat, c’est que ce n’est pas qu’un débat entre nucléaire et renouvelables. Ce qui est important dans ce rapport, c’est qu’il est clairement dit que pour réussir la neutralité carbone en France, il faut accélérer le développement des renouvelables.
C’est important car nous sommes en train de prendre du retard en France sur les énergies renouvelables. Nous n’avons pas tenu nos engagements pour 2020 et nous sommes mal partis pour les tenir pour 2030. Ce qui manque, peut-être, dans ce débat, c’est aussi de préciser que les énergies renouvelables, elles participent au développement des territoires. Ça c’est assez intéressant. On peut le voir par exemple pour les usines de méthanisation.
Quelles seraient les autres chantiers prioritaires pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre ?
Après, pour les autres priorités, j’aime bien le travail de classification sur lequel nous avons travaillé avec la convention citoyenne sur le climat : se loger, se nourrir, se déplacer… Le bâtiment est aussi une priorité. Sur la construction de nouveaux bâtiments, je ne suis pas très inquiet, mais la rénovation de l’ancien, je crois qu’on est loin du compte sur ce sujet là. Y compris dans l’utilisation des matériaux.
Il y a aussi l’alimentation et la prise de conscience des changements qu’il y a à avoir sur l’ensemble de notre système alimentaire, et pas qu’au niveau des agriculteurs, mais aussi pour les consommateurs. On doit agir sur les circuits-courts, sur nos régimes alimentaires, sur le gaspillage alimentaire. En termes d’émissions de gaz à effet de serre, la lutte contre le gaspillage alimentaire est très importante. Ensuite, il y a aussi la mobilité. Sur ce sujet, il faut vraiment, selon moi, que l’on puisse passer de la notion de possession à la notion d’usage. Car j’ai du mal à croire qu’on puisse continuer à fabriquer autant de véhicules, mêmes des véhicules électriques.