L’écologie n’arrive à rien parce qu’elle est incompatible avec notre idée Abrahamique de la Terre. Nous abusons de la Terre parce que nous la considérons comme une commodité qui nous appartient.

Aldo Léopold


Né en 1887 dans l’Iowa et mort en 1948, Aldo Leopold a suivi des études de sylviculture au sein de la prestigieuse Université de Yale avant de devenir forestier. Amoureux de la nature à l’état sauvage, il obtient entre 1922 et 1924 que la Forêt de Gila, au Nouveau-Mexique, devienne la première région sauvage officielle des Etats-Unis. Au contraire d’un Parc National (celui de Yellowstone fondé en 1872 par exemple) dont les paysages naturels, la faune et la flore sont protégés et préservés afin d’être visités par des touristes respectueux et avides de « beautés naturelles », une région sauvage est un territoire qui redevient une zone primitive dans laquelle la faune et la flore s’équilibrent sans intervention humaine, au risque de voir dominer telle ou telle espèce, animale comme végétale.

Ce sera le fondement d’un mouvement de protection des espaces sauvages aux Etats-Unis qui aboutit, en 1935, à la création de la Wilderness Society (toujours en activité aujourd’hui) une ONG qui milite pour la protection des espaces naturels, dont Aldo Leopold est l’un des cofondateurs.

Auteur prolifique et professeur au sein du Département de Gestion de l’Economie Agricole à l’université du Wisconsin, il est notamment reconnu pour sa pensée philosophique et écologiste qui en font un pionnier des mouvements de protection de la nature dans le Monde. Même si une partie de ses réflexions restent (et resteront controversées) puisqu’elles posent ouvertement la question de la surpopulation sur terre et le risque de recourir à des solutions proches de l’eugénisme.

En 1949, un an après sa mort, paraît son principal ouvrage, « l’Almanach d’un Comté des sables » (A Sand County Almanac), fruit de toute une vie de réflexions et de pensées philosophiques autour de la perception de la nature par les humains. Vendu a plus de 2 millions d’exemplaires, il y décrit les préceptes d’une éthique environnementale et le principe de « communauté biotique », c’est-à-dire l’ensemble des êtres vivants et des composantes naturelles qui réagissent en interdépendance dans le même biotope, ou espace de vie. 

À l’arrivée des Pilgrims en 1620, les actuels Etats-Unis comptaient 800 millions d’hectares de forêts. En 1900, il ne subsiste que 81 millions d’hectares.


Lutter contre une vision erronée de la nature

La construction des Etats-Unis de la côte Atlantique à la façade Pacifique est avant tout une histoire de conquêtes et de colonisation d’un espace communément appelé « Wilderness », c’est-à-dire une nature sauvage. Une conquête à marche forcée, au détriment des populations Amérindiennes de souche, les Native People, combattues, puis quasi-exterminées et, enfin, enfermées dans des « Réserves ».

Mais cette conquête de l’espace sauvage américain se fait aussi au détriment de la nature elle-même. A l’arrivée des Pilgrims en 1620, les actuels Etats-Unis comptaient 800 millions d’hectares de forêts. En 1900, il ne subsiste que 81 millions d’hectares. En à peine trois siècles, les colons ont donc dominé et maitrisé cette wilderness qui leur semblait si hostile. En partant d’un territoire sauvage, ils ont transformé très rapidement (à l’échelle de l’histoire) leur espace en un Nouveau-Monde riche en ressources. Il en résulte une vision productiviste de la nature, prise comme un ensemble de ressources à exploiter de manière illimitée.

C’est face à cet inconscient collectif très puissant qu’à la fin du XIXème siècle s’élèvent quelques voix qui cherchent à préserver la Nature sur le territoire nord-américain, mettant en avant son caractère et son rôle spirituel et l’interdépendance de l’homme vis à vis de son milieu.

Une chose est juste lorsqu’elle tend à préserver l’intégrité, la stabilité et la beauté de la communauté biotique. Elle est injuste lorsqu’elle tend à l’inverse.

Aldo Léopold


Les fondements de l’éthique environnementale

Aldo Leopold est le premier à définir l’éthique environnementale : si la morale est collective puisque admise et respectée par le plus grand nombre, l’éthique relève soit d’un comportement professionnel (l’éthique journalistique, médicale, professorale) soit d’une démarche personnelle construite sur des valeurs réfléchies et assumées. Pour expliquer son concept, Aldo Leopold oppose deux valeurs. La valeur instrumentale de la Nature et sa valeur intrinsèque. La Nature est instrumentalisée pour nourrir les humains mais de manière modérée. En revanche sa valeur intrinsèque est (ou devrait être) inaliénable. Il ne devrait pas être possible de « dénaturer » un paysage, par négligence, manque de respect, mépris ou pire encore, par ignorance.

Tout l’enjeu de l’éthique environnementale est donc de démontrer que les entités naturelles ont une (ou plusieurs) valeur(s) intrinsèques(s). Il ne s’agit pas de protéger une aménité paysagère pour ce qu’elle apporte (beau point de vue, site touristique potentiel) mais pour ce qu’elle est. « Une éthique foncière élargit la définition de «communauté» pour inclure non seulement les humains, mais également toutes les autres parties de la Terre: les sols, les eaux, les plantes et les animaux» précisait-il à ce sujet. Ce qui fait écho aujourd’hui, de manière plus pragmatique et moins philosophique, aux combats menés pour éviter l’artificialisation de certains espaces sauvages au profit de zones commerciales, d’autoroutes ou d’aéroports, par exemple.

Il revient ainsi à Aldo Leopold d’avoir introduit la dimension philosophique d’éthique dans les démarches de protection de l’Environnement. Il ne s’agit pas seulement de défendre un patrimoine naturel, pour en user plus longtemps, ou mieux, pour le transmettre aux générations futures, mais de prendre conscience aussi (avant tout) d’une parité entre l’humain et la nature.

Et de l’importance de ne jamais oublier que l’homme a plus que jamais besoin de la nature, comme il le précisait en ces termes : « On court deux dangers spirituels à ne pas posséder une ferme. Le premier est de croire que la nourriture pousse dans les épiceries. Le second, de penser que la chaleur provient de la chaudière. Pour écarter le premier danger, il convient de planter un jardin. Pour le second, il suffit de poser sur ses chenets une bûche de bon chêne, loin de toute chaudière, et de s’y réchauffer. Pour peu qu’on l’ait abattu, scié, fendu et transporté soi-même, on se souviendra longtemps d’où vient la chaleur.«