Je bois devant vous un verre d’eau précieuse, puisqu’avant la fin du siècle, si nous continuons un tel débordement, elle manquera.

René Dumont


19 Avril 1974. À la fin d’une intervention télévisée à laquelle il avait droit comme tous les autres candidats, René Dumont, ingénieur agronome alors âgé de 70 ans, se saisit d’un verre d’eau. «  Je bois devant vous un verre d’eau précieuse… », dit-il en joignant le geste à la parole.

Personnalité atypique, le Professeur Dumont est un agronome respecté pour l’ensemble de son œuvre (près de 70 publications) et la qualité des rapports qu’il rédige pour la FAO. Il prodigue également des conseils aux gouvernements de l’après Seconde Guerre Mondiale, notamment auprès de Jean Monnet, Commissaire au Plan en charge de la reconstruction du pays et l’un des pères fondateurs du projet d’Union Européenne.

Universitaire et intellectuel respecté, c’est en novice de la politique que René Dumont accepte, grâce au soutien d’une cinquantaine d’associations militantes, de devenir le premier candidat à se présenter sous l’étiquette écologiste à une élection présidentielle française après les refus de différentes personnalités, notamment du commandant Cousteau.

Il ne recueillera que 1.32% des suffrages exprimés au soir du premier tour, mais sa candidature ancre définitivement l’écologie dans le paysage politique français.


Du productivisme à l’écologie

Né en 1904, à Cambrai, René Dumont est brillamment diplômé de l’Institut National d’Agronomie (l’équivalent d’AgroParisTech aujourd’hui). Fort de ses connaissances techniques il est d’ailleurs un partisan, au début de sa carrière, du productivisme agricole, sur la base de la mécanisation, de l’usage des engrais et d’un remembrement des parcelles pour en augmenter les rendements.

Une vision qui s’explique notamment par la nécessité de subvenir aux besoins des populations et d’éviter à tout prix les famines, en particulier pour les territoires sous influence coloniale française dans lesquels il exerce ses premières expériences professionnelles, en Asie du Sud-Est et plus tard en Afrique Subsaharienne.

Ce sont aussi ces expériences qui forgent les convictions anticolonialistes, pacifistes et – finalement – écologistes de René Dumont à partir des années 1960.

Professeur à l’INA (de 1933 à 1974), il a également enseigné à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, à l’ENA, à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, à la Fondation Nationale des Sciences Politiques, ainsi qu’à l’Université de Paris 1. Il publie également près de soixante-dix ouvrages comme « La culture du Riz dans le Delta du Tonkin » (1935), « Les leçons de l’Agriculture américaine » (1949), « Chine surpeuplée, Tiers-Monde affamée » (1965), ou encore « Ouvrez les yeux !, le XXIème est mal parti » (1995).

En 1998, il fait également partie des cofondateurs du Mouvement ATTAC (Association pour la Taxation des Transactions financières et pour l’Action Citoyenne).

Les armements, l’auto privée et la ville géante, voilà les principaux ennemis de cette fin de siècle.

René Dumont


« L’auto, ça pue, ça pollue, ça rend con »

C’est donc en 1974, à la télévision, que l’écologie fait son apparition dans le paysage politique français par l’entremise de René Dumont et de son célèbre pull-over rouge. Il justifie une candidature écologique qui n’est pas un « gadget » mais l’addition de multiples collectifs. Soutenu par différentes associations (féministes, régionalistes, écolos) il se fait aussi le porte-parole des immigrés en France et des affamés du « Tiers-Monde ».

René Dumont interpelle avec force et vigueur des Français qui ont en mémoire la première grande marée noire, en 1967, lorsque le Torrey Canyon a souillé les côtes du Nord Finistère. Anti-mondialiste avant l’heure, il prévient des inégalités croissantes entre les nations. Il alerte sur la ponction et le gaspillage des ressources naturelles et sur la destruction des écosystèmes. Il propose pour cela des alternatives, en particulier une consommation plus sobre des ressources, et notamment de l’énergie.

René Dumont se veut aussi le candidat propre qui ne va pas couvrir les murs des villes avec des affiches car le papier coûte cher. Il circule à vélo. Il est le candidat pauvre qui ne dépense pas des millions de francs pour sa campagne. Sa démarche est cohérente avec la pensée écologiste : un usage raisonné et modéré de toutes les ressources. Une gestion participative et responsable à l’échelle locale, qui reçoit l’adhésion d’une partie importante de la jeunesse.

Provocateur, il est l’auteur de punchlines toujours d’actualité aujourd’hui, à l’image du fameux « l’auto, ça pue, ça pollue, ça rend con ». Cependant, la portée de son discours est freinée par certaines de ses prises de positions. C’est surtout la question de la natalité et son discours malthusien qui lui fera perdre des voix.


Une vision limitative de la natalité

Pour le candidat Dumont, la pression démographique est trop forte par rapport aux capacités nourricières de la planète. Pour lui, il faut donc réguler la natalité. Une vision qui se rapproche de l’eugénisme et des thèses déjà développées dès 1798 par l’économiste britannique Robert Malthus et explorées ensuite par certains pays asiatiques, notamment la Chine.

Le professeur Dumont propose ainsi une limitation du nombre de naissances qui passe par la généralisation de la contraception, le libre recours à l’avortement, mais aussi la suppression des avantages sociaux au-delà du deuxième enfant. Des propos et une vision limitative et contrôlée des naissances qui heurte plus qu’il ne l‘aurait souhaité la société des années 1970.

À l’élection présidentielle de 1974, René Dumont récolte 1,32% des suffrages. Il sera appelé par François Mitterand, qu’il rencontre par la suite en précisant « J’ai été appelé par Monsieur Mitterand […] Je n’ai pas été appelé par Monsieur Giscard d’Estaing ». Ce rapprochement avec le futur président Mitterand marque probablement l’ancrage à gauche des partis écolos par la suite.

Depuis, les autres candidats écologistes à l’élection présidentielle française n’ont jamais fait beaucoup mieux que René Dumont. Aux alentours de 3,8% pour Brice Lalonde et Antoine Waechter en 1981 et 1988. 3,3% pour Dominique Voynet en 1995 (elle fera également un maigre 1,5% en 2007). 5,25% pour Noël Mamère en 2002. En 2012, Eva Joly ne fait pas mieux que 2,31%. Seules les listes présentées aux élections européennes ont remporté des succès d’estime, obtenant notamment 16% en 2009. 

Le scrutin le plus important et le plus prometteur pour les écologistes en France intervient 46 ans après la candidature de René Dumont, lors des élections municipales de 2020 avec l’élection de maires écologistes dans des villes-clés comme Grenoble, Lyon ou Bordeaux.