Début janvier, l’AIE et RTE présentaient une étude sur les conditions permettant à la France d’atteindre un mix-énergétique 100% renouvelable d’ici 2050. Un rapport qui démontrait la faisabilité du propos, c’est-à-dire qu’il est tout à fait envisageable, techniquement parlant, de vivre avec 100% d’énergies renouvelables en France. À condition, précisaient les deux agences, de résoudre dans les années qui viennent 3 sujets de grande envergure. Le premier, c’est l’intermittence des énergies renouvelables via le développement du stockage de l’électricité et de solutions permettant de gérer une plus grande flexibilité de la demande. Une fois ce point réglé, il y a la question de l’adaptation du réseau électrique pour répondre aux variations de production et de consommation. Et enfin, une fois ce problème réglé, il y a l’épineuse question du coût et de la faisabilité industrielle des deux premiers points dans un laps de temps réduit.

Ce rapport intermédiaire, commandé par l’État, devait être suivi d’un rapport plus large que RTE a dévoilé ce lundi 25 octobre et intitulé « Futurs Énergétiques 2050 » et qui vise à simuler les hypothèses permettant à la France d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Un sujet qui tombe bien étant donné la crise de l’énergie que le pays traverse actuellement qui nous rappelle, comme le précisent les auteurs de l’étude, qu’un mix-énergétique local et bas-carbone est un impératif climatique mais aussi un vecteur d’indépendance vis-à-vis des pays producteurs d’hydrocarbures.

Découvrez notre infographie sur les chiffres-clés de la filière éolienne en France 


6 scenario pour le futur mix-énergétique de la France

Dans ses travaux, RTE a étudié 6 scenarios qui vont d’une option « 100 % d’énergies renouvelables » à une option « 50% d’énergies renouvelables ». Dans chaque scenario, la part de l’hydraulique et des bioénergies reste constante (entre 12% et 13%). En revanche, le nucléaire passe de 50% à 0%, le solaire de 13% à un maximum de 36% et l’éolien d’un minimum de 25% à un maximum de 52%. Elle étudie ensuite chaque scenario en fonction d’un double paramètre : d’abord, coller à la Stratégie Nationale Bas-Carbone qui impose de réduire notre consommation globale d’énergie de 1600 TWh à 930 TWh. Ensuite, la hausse de la part de l’électricité dans cette consommation d’énergie.

Aujourd’hui, l’électricité représente une faible part de l’énergie consommée en France, qui provient à plus de 60% des énergies fossiles. Mais demain, pour remplacer le gaz et le pétrole dans les secteurs des transports, de l’industrie et du BTP, l’électricité va devenir notre première source d’énergie et représentera probablement 55% de notre consommation d’énergie. Il nous faudra donc consommer moins d’énergie au global et accroître la part de l’électricité dans cette consommation.

Ajoutant à cela que notre première source d’électricité, à savoir le nucléaire, est un parc vieillissant qu’il faudra fermer quoiqu’il arrive à un moment donné. « Nous faisons face à un double défi, résume Xavier Piechaczyk. Le premier est de produire plus d’électricité pour remplacer le pétrole et le gaz fossile. Le second est purement français : il faudra remplacer la production du parc nucléaire de seconde génération qui devra fermer pour des raisons industrielles d’ici à 2060« . D’où la question urgente de savoir sur quels moyens de production nous devons nous orienter.

Si le nucléaire représente bien 70% de l’électricité produite en France, il représente moins de 20% de l’énergie finale utilisée par les français


Développer largement les énergies renouvelables, quel que soit le scenario

Le premier enseignement de cette étude, c’est que, quel que soit le scenario qui sera retenu par les pouvoirs publics, atteindre la neutralité carbone en 2050 nécessite de lourds investissements dans les énergies renouvelables.

Ainsi, un scenario avec 26% de nucléaire revient à multiplier par 11 le développement du solaire, par 3,3 celui de l’éolien terrestre, et de mettre en service de 45 GW d’éolien en mer (contre O aujourd’hui). Un scenario avec 50% de nucléaire nécessite tout de même 7 fois plus de photovoltaïque et 2,5 fois plus d’éolien terrestre, ainsi que 22 GW d’éolien en mer (contre O aujourd’hui). Enfin, un scenario 100% renouvelable implique un développement considérable de l’éolien et du photovoltaïque (x21), à un niveau que RTE qualifie de jamais vu en Europe.

Autre fait intéressant souligné par RTE dans cette étude : la part de l’hydrogène bas-carbone (produite elle-même à partir d’électricité) doit augmenter considérablement au fur et à mesure que la proportion d’énergies renouvelables augmente. D’abord puisqu’il s’agit d’un atout pour décarboner des activités difficiles à électrifier (dans l’industrie notamment). Ensuite pour faire de l’hydrogène un vecteur de stockage de l’énergie. Mais cela a aussi des implications puisqu’un scenario à forte composante hydrogène fait augmenter de 100 TWh par an nos besoins en électricité.

Ce besoin de développer les énergies renouvelables, quel que soit le scenario envisagé, repose sur le fait que notre consommation d’énergie est très largement liée aux énergies fossiles. Le nucléaire, s’il représente 70% de notre consommation d’électricité, représente moins de 20% de la consommation d’énergie finale.

Chiffres RTE sur l'augmentation des énergies renouvelables à prévoir
Source : RTE – Futurs Énergétiques 2050

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Une question de coût qui sera centrale dans le débat

La question de la mise en oeuvre des sources de production d’électricité est évidemment liée à une notion de coût. RTE a basé ses calculs sur la Stratégie Nationale bas-Carbone, qui prévoit que la consommation d’électricité française s’élèverait à 645 TWh en 2050 – contre près de 475 en moyenne sur les 10 dernières années. Or, pour produire autant d’électricité, il faudra entre 59 milliards et 80 milliards d’euros à l’horizon 2060, contre 45 milliards d’euros actuellement.

Les scenario qui misent sur les énergies renouvelables sont plus coûteux que les autres puisqu’ils impliquent davantage de technologies pour le stockage et l’adaptation du réseau. Technologies qu’il est urgent de mettre en oeuvre. Le nucléaire est donc la source de production la moins chère pour le pays. À noter qu’elle nécessite tout de même de nombreux investissements, en particulier pour développer les SMR, les petits réacteurs chers à Emmanuel Macron qui sont encore au stade de prototypes actuellement.

Le coût n’est cependant pas la seule variable intéressante au regard du choix stratégique de nos modes de production de l’électricité. Il y a aussi la question des vulnérabilités de ces modes de production. Par exemple, le nucléaire est très vulnérables aux épisodes climatiques extrêmes, en particulier les sécheresses. Un mix-énergétique résilient nous imposerait donc de composer avec des capacités renouvelables capables d’absorber ce risque. Et réciproquement.

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centrale nucléaire de Chooz
La centrale nucléaire de Chooz, dans l’est de la France, a été mise en service en 1996


La sobriété, une trajectoire un poil oubliée ?

Les trajectoires présentées par RTE sont des trajectoires basées sur des consommations électriques dites « de référence » qui mettent de côté la notion de sobriété pourtant essentielle à la tenue du débat. Pour autant, l’agence a aussi étudié cette trajectoire de la sobriété (consommation de 554 TWh) basée sur des changements sociétaux : réduction des déplacements individuels, lutte contre les gaspillages, recours accru au télétravail, régulation du chauffage, allongement de la durée de vie des équipements, écoconception des biens et des services, etc. Cependant, cette trajectoire n’a pas été détaillée pour le moment. Elle le sera probablement lors de la publication du rapport final début 2022. À titre d’exemple concernant la sobriété, RTE comptabilise la consommation de 36 millions de véhicules électriques dans ses estimations. Un poil beaucoup à l’heure où le covoiturage et l’autopartage se développent.

Un sujet primordial car plus notre usage de l’énergie est raisonné, moins nous avons besoin de produire, et plus nous pouvons atteindre rapidement et à moindre coût la mise en place des moyens de production nécessaire pour atteindre un mix-énergétique bas-carbone, résilient et efficace. Sans oublier, évidemment, que la neutralité carbone à l’échelle d’un pays ne se limite pas à sa consommation d’énergie et que la France doit également travailler la préservation de ses puits de carbone (forêts, prairies, zones humides et littoraux), à la réduction des émissions de CO2 du secteur agricole et à la réduction de ses émissions importées (c’est-à-dire les émissions de CO2 qui sont faites à l’étranger via les activités industrielles que nous y déléguons).

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