Créé dans le cadre de l’appel d’offres 6 (AO 6) lancé par le gouvernement français pour le développement de deux parcs éoliens flottants en Méditerranée, EOLYMAR est un consortium de trois entreprises du secteur des énergies renouvelables : BlueFloat Energy, Sumitomo Corporation et Akuo.

Clément Mochet, est en charge des opérations pour la France chez BlueFloat Energy et chef de projet EOLYMAR. Il nous aide à comprendre les rouages d’un tel consortium, apporte un éclairage sur l’AO 6 et nous livre ses attentes et ressentis pour les prochaines années sur la technologie de l’éolien flottant, très prometteuse mais encore en phase de tests.

Les Horizons : Pouvez-vous nous détailler la composition du consortium EOLYMAR ?

Clément Mochet : La première entité mandataire du consortium est BlueFloat Energy, développeur éolien en mer espagnol, avec une belle dynamique sur le flottant. Dans le portefeuille global de l’entreprise, nous avons à date 22 GW en développement dans 12 pays, dont 15 GW sur des technologies flottantes. C’est donc la force de notre positionnement.

Le deuxième partenaire du consortium est Sumitomo, un grand groupe japonais qui apporte une solidité financière et industrielle. Le groupe est déjà impliqué dans la filière éolienne offshore en Belgique et au Royaume-Uni, mais aussi en France sur les parcs de Dieppe le Tréport et d’Yeu Noirmoutier. Enfin, le 3ème partenaire est Akuo, qui est le premier producteur d’EnR français, avec une forte dimension participative.


Comment s’organise le consortium ?

BlueFloat pilote et gère le consortium. Nous sommes chargés d’une grosse partie technique du projet. C’est logique car c’est notre savoir faire. Nous avons l’expertise sur les démonstrateurs et les pré fermes flottantes dans le monde. Sumitomo apporte la structuration et la gestion de la partie financière du projet, et Akuo a la casquette du développement régional et l’appropriation du projet localement. Le consortium a été conçu précisément pour répondre à l’AO 6. Dans une perspective plus lointaine, les partenaires pourront envisager de poursuivre cette collaboration.


Comment sera décomposée votre réponse à l’AO 6 ?

Nous ne savons pas encore à date si nous allons remettre une ou deux offres pour les deux sites de l’AO 6. Nous attendons de mieux connaître les modalités de chaque parc. Pour le moment nous ne connaissons qu’une seule des deux zones de manière certaine, celle au large de Port-la-Nouvelle. Il y a deux alternatives pour le second site, soit au large de Fos, soit plus proche de la frontière espagnole. Nous ne savons donc pas encore si nous allons répondre en un seul package ou en deux.

Ce que nous pouvons dire en revanche, c’est que nous avons un volet lié à l’éducation dans nos réponses. Des initiatives conjointes sont menées avec des universités en Région Sud, avec lesquelles nous travaillons sur les sujets du recyclage et des ACV des différents produits. Nous avons également créé l’évènement Offshore wind for kids qui vient d’avoir lieu. Un moment de sensibilisation des élèves de primaire à l’énergie éolienne en mer, pour aider à la compréhension via des ateliers et des maquettes de flotteurs. Ces appels d’offres sont aussi l’occasion d’expliquer, de tenter des choses qui permettent une meilleure acceptabilité et une meilleure adhésion de la part des populations.

Le vrai enjeu est d’arriver à réduire le temps entre le lancement d’un AO et la mise en service d’un parc


Pouvez-vous nous en dire plus cet AO 6 ?

Il s’agit de l’attribution de deux parcs éoliens flottants de 250 MW chacun, ce qui correspond à la consommation d’environ 400 000 habitants par parc, pour une mise en service à l’horizon 2030 – 2031. Le cahier des charges n’a pas été rendu public par la DGEC (Direction générale de l’Énergie et du Climat) pour le moment. Nous ne pouvons donc pas entrer dans le détail des modalités.

Les préqualifiés ont été annoncés par l’Etat, avec 13 consortiums en compétition. Nous verrons si tout le monde formule une offre. Je pense qu’il y a un intérêt à aller se positionner sur ces AO flottants, ne serait-ce que pour avoir une idée de comment se situe la concurrence. Ces AO sont novateurs par rapport à ce qu’on a l’habitude de voir dans d’autres pays, avec un focus important sur le tarif d’achat de l’électricité. C’est moins le cas ailleurs. 


Y a-t il d’autres projets liés au flottant ?

Aujourd’hui nous avons donc l’AO 6 ainsi que l’AO 5 Bretagne Sud, au large de Groix et de Belle Ile, et pour lequel BlueFloat est impliqué au sein d’un autre consortium nommé Triskeol (NDLR : avec Skyborn et Vatenfall). Ensuite, si nous suivons les projections de la PPE, il existe de possibles extensions sur ces deux AO, de 500 MW pour l’AO 5 Bretagne Sud, et 2 x 500 MW pour les deux champs de l’AO 6.


Quels sont les objectifs de développement pour la filière de l’éolien en mer ?

Nous sommes à un moment charnière car nous arrivons à la fin de la première PPE cette année. Les discussions sur la deuxième PPE sont en cours. Les pouvoirs publics se mobilisent et réalisent qu’il y a besoin d’un changement de braquet pour accompagner la maturité des technologies. Les points de passage annoncés par le Gouvernement sont de 18 GW installés en mer en 2035 et de 40 GW installés en 2050. A la fin de la première PPE, l’Etat aura attribué 7,5 GW à 8 GW. Cela induit que lors de la deuxième PPE de 2024 à 2028, il faudra attribuer 10 GW si on veut tenir les objectifs. C’est pour cela qu’il y a ce constat de nécessité d’accélération. 


Cela vous semble réalisable ?

La DGEC a lancé une consultation des acteurs de la filière, afin de recueillir les avis de la profession sur la bonne marche à suivre en vue d’accélérer sur l’éolien en mer. Il y a une vraie volonté de l’Etat d’aller plus vite. Je pense que c’est jouable. Beaucoup de propositions intéressantes y sont d’ailleurs discutées. Comme celle d’avoir des trains d’appels d’offres plus conséquents. Au lieu de lancer les AO les uns après les autres, le principe serait d’avoir des trains tous les ans ou les deux ans avec des volumes plus importants et avec plusieurs lauréats. Emmanuel Wargon, en tant que Présidente de la Commission de Régulation de l’Energie, appelait également cela de ses vœux lors la restitution de l’AO 4. Ça va dans le bon sens.

Si on veut sortir des hydrocarbures, il va falloir s’habituer à avoir des objets énergétiques dans nos paysages


Que pensez-vous de la Loi relative à l’accélération des énergies renouvelables et du Pacte éolien en mer ? Est ce que cela sera suffisant ?

Je pense que c’est bien dimensionné. Le vrai enjeu est d’arriver à réduire le temps entre le lancement d’un AO et la mise en service d’un parc. Les services de l’État essayent d’adresser ces sujets. Aujourd’hui, nous sommes sur une décennie. Et sur ces dix années, la construction débute 8 ans après le gain de l’appel d’offres. C’est trop. Comment réduire sans faire de raccourci, en gardant les étapes essentielles comme l’état initial de qualité et l’étude des recours par exemple, pour atteindre 5/6 ans pour l’ensemble ?


Faut-il revoir l’organisation des consultations ?

Dans la première PPE, il y avait un débat public pour chaque projet. Dans la deuxième PPE, les débats publics seront menés par façades et non plus par projets. C’est important car cela va permettre de mieux se projeter dans les objectifs, de définir des macro zones et d’attribuer des GW par façade. De ce point de vue, on s’harmonise avec les autres pays, que ce soit l’Ecosse ou l’Australie.


Justement, quelles différences constatez-vous entre le fonctionnement français sur l’éolien en mer et celui d’autres pays ?

Ce qui est essentiel dans les AO, c’est ce qui est gagné par le lauréat. Et c’est variable selon les pays. En France, le lauréat gagne un peu un “all inclusive” sur le projet : il gagne une zone, un tarif d’achat sur 20 ans, une connexion au réseau et une garantie de connexion au réseau via un engagement de RTE. Il existe donc une sécurité du développement du projet en France qu’on ne retrouve pas ailleurs, en particulier sur du flottant. En Ecosse et en mer Celtique sur le projet Scotwind, quasi 25 GW ont été attribués et répartis entre différents exploitants, organisés par blocs. Il y a une logique de voisinage entre blocs. Nous en avons gagné plusieurs avec BlueFloat. Par projet, nous avons gagné le droit d’explorer un bloc pour un nombre d’années, mais nous ne parlons ni de connexion au réseau ni de tarif d’achat.

En France, l’Etat et les services souhaitent garder une vision centralisée des choses. C’est au final très attractif à partir du moment où le volume proposé en appel d’offre est suffisant. Il suffit de regarder le nombre de participants aux appels d’offres. Neuf ou dix répondants sur l’AO 5, treize pour l’AO 6. Ça témoigne d’un attrait pour ce type de marchés publics incluant une certaine sécurité. Mais il faut que les volumes soient au rendez-vous.

En France le cahier des charges est plus robuste, mais également plus fermé


Quelles autres différences voyez-vous ?

En France aujourd’hui, c’est l’État qui décide si une zone sera en éolien posé ou flottant. Alors que dans d’autres pays, c’est le développeur qui fait son choix en se basant sur les critères à disposition. Laisser ce choix aux développeurs de projets serait une évolution intéressante pour l’avenir. Ça peut avoir du sens de redonner un certain nombre de prérogatives aux développeurs. C’est en tout cas ce qu’on appelle de nos vœux dans le cadre des discussions actuelles. En France le cahier des charges est plus robuste, mais également plus fermé.


Où en est la France du développement de l’éolien flottant ?

En France nous allons prochainement avoir 3 pré fermes en méditerranée, sur des technologies différentes. Cela nous place en relative bonne position. Pareil pour le développement des technologies, de nombreuses entreprises françaises accompagnent la structuration du marché. Et l’Ademe a récemment lancé des appels à manifestations d’intérêt sur de nombreux sujets portuaires et industriels. On constate par exemple une vraie mobilisation des ports de l’ensemble des façades pour se saisir du sujet au global. Il y a une vraie prise de conscience, et sur le flottant la France est en tête. Même si nous sommes sur de petits volumes attribués aujourd’hui pour cette technologie, ils ont une valeur importante. Ce sont des projets relativement aboutis.


Quelle technologie de flotteurs va proposer EOLYMAR dans sa réponse à l’AO 6 ?

Nous n’avons pas encore communiqué dessus. Lors d’une réponse à un AO, soit la technologie est choisie assez tôt car il y a une préférence technique ou historique du consortium pour cette technologie, liée à des investissements par exemple. Soit le business case est basé sur un flotteur précis mais sans que pour autant ce soit la réponse officielle. C’est notre cas, nous n’avons pas encore arrêté un choix définitif et public sur cette question. 

Les pouvoirs publics réalisent qu’il y a besoin d’un changement de braquet pour accompagner la maturité des technologies


Existe-t-il une concurrence entre les projets posés et flottants ?

Flottant et posé sont des technologies différentes mais très complémentaires. Au-delà, la différence est sur la maturité, ce qui rejaillit dans les AO. Les résultats de l’AO 4 (NDLR : remporté en mars par le consortium mené par EDF) ont été riches d’enseignements. Une très grande homogénéité a été constatée dans les réponses. En particulier sur le prix d’achat entre le lauréat qui est sous les 45€ du MWh et le prix moyen qui est à 48€. Il y a une convergence. L’homogénéité des réponses de l’AO montre une certaine maturité du secteur sur les technologies de l’éolien posé. Tout le monde travaille plus ou moins sur les mêmes hypothèses, ce qui donne ce résultat.  Par ailleurs, les machines sont impressionnantes, de l’ordre de 20/23 MW. Cela permet de réduire le nombre de turbines.

Je suis curieux de voir ce que donneront les AO flottants 5 et 6 car nous n’avons pas de courbes de référence sur les technologies du flottant. Il existe des AO finalisés dans d’autres pays mais qui ne correspondent pas aux critères des AO français. Nous devrions avoir des résultats plus hétérogènes que pour le posé. Il n’y a pour le moment pas de référence du coût et du juste prix d’un parc éolien flottant en Méditerranée. C’est extrêmement intéressant comme projet. Ce sont les premières références à établir. Ces projets vont être structurants pour la suite, toute la filière va regarder de très près les résultats.


Quel est votre regard sur les débats plutôt houleux autour de l’éolien en France ?

L’éolien en mer en France est encore relativement épargné par ce débat, parce que nous n’avons qu’un parc ouvert. Aujourd’hui la quasi intégralité des AO est à au moins 20 km des côtes. Les paysages énergétiques sont en train de changer en France. Ça ne fait aucun doute. Les modes de consommation basés sur les hydrocarbures ont invisibilisé la production de l’énergie sur le territoire. Nous avons certes les raffineries et le stockage, mais c’est un leurre car les sites de production ne sont pas en France. Or, si on veut sortir des hydrocarbures, il va falloir davantage s’habituer à avoir des objets énergétiques dans nos paysages. Le problème du débat actuel est aussi qu’on ne le présente pas comme ça.

Il y a également une notion d’habituation. L’éolien est un objet nouveau, il faut du temps pour se l’approprier. Et même si l’éolien flottant peut être une réponse car on peut en théorie s’éloigner des côtes, en Méditerranée on est très vite en territoire de l’éolien flottant de par la bathymétrie.

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