C’est quoi la sobriété numérique ?

La sobriété numérique est un concept apparu il y a une dizaine d’années en France sous l’impulsion de Frédéric Bordage, ingénieur et fondateur de GreenIT. Ce terme désigne la démarche qui incite à un usage modéré du numérique et qui alerte sur l’empreinte carbone de ce secteur, notamment en matière de consommation énergétique.

La sobriété numérique a donc vocation à promouvoir les Low-Tech, l’écoconception de sites Web ainsi que des pratiques vertueuses pour diminuer l’empreinte énergétique du digital comme le recours à des énergies renouvelables pour alimenter des data centers. Ce concept a été largement repris dans les médias français récemment lorsque le think-tank The Shift Project a publié un rapport précisant, par exemple, que le streaming vidéo émet aujourd’hui autant de CO2 qu’un pays comme l’Espagne.

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Pour aller plus loin

Les entreprises privées, toutes les administrations et les grands services publics, mais aussi les particuliers sont connectés au moyen d’ordinateurs, tablettes et autres téléphones. Consommer du numérique, c’est donc à la fois la quantité d’intrants nécessaires à leur fabrication, le coût du transport, l’énergie pour se connecter mais aussi et surtout l’énergie dépensée pour faire circuler les informations à partir des Datas Center.

On peut donc définir la pollution numérique comme la résultante immédiate et directe de la consommation numérique. Cette pollution se traduit par une émission de GES (Gaz à Effet de Serre) proche de celle émise par l’ensemble des poids lourds en circulation dans le Monde. Au rythme actuel de plus 10% par an, la pollution numérique dépassera en 2035 la production de GES émise en 2020 par l’ensemble des véhicules terrestres à moteur.

En amont, chaque appareil numérique requiert entre 40 et 60 minerais et/ou métaux différents, dont certains provenant des terres rares dont l’épuisement total est prévu à l’horizon 2050. Ces prélèvements épuisent la biodiversité car les conditions d’extractions ne sont absolument pas vertueuses. Les minerais prélevés sont ensuite transformés et transportés moyennant un coût hydrocarbures qui génère des GES. La fabrication des appareils se fait en différents endroits de la planète via un transport maritime lui aussi émetteur de gaz à effet de serre.

Ainsi, la fabrication d’un Iphone se décline globalement de cette manière : conception et R&D aux Etats-Unis ; processeur et mémoire SDRAM en Corée du Sud ; écran tactile au Japon ; antenne, appareil photo et système de guidage GPS en Allemagne ; assemblage en Chine. Au final, la fabrication des terminaux représente 50% des émissions de gaz à effet de serre d’un appareil, la consommation électrique des data center environ 20% et l’utilisation du device les 30% restants.


Le streaming vidéo, un gros problème de pollution ?

L’énergie pour regarder une vidéo de 10min sur son smartphone, c’est 1 000 fois l’énergie consommée par le smartphone normalement” abonde en ce sens Hugues Ferreboeuf, du Think Tank The Shift Project. Ainsi, les grands noms du streaming vidéo, Netflix en tête, sont les premiers responsables de la pollution numérique. Et la prééminence des courtes vidéos sur les réseaux sociaux, jusque dans le milieu des médias avec la marque Brut, posent et vont continuer de poser un sérieux problème de pollution.

La difficulté pour les utilisateurs réside dans le fait que cette pollution est invisible et qu’il est donc difficile de la combattre. Dans la même veine on peut, on doit limiter nos usages, en cessant la « course à l’armement » qui voit les foyers s’équiper de toujours plus de device (en moyenne, un américain possède 10 terminaux numériques connectés) et à leur remplacement systématique tous les 18 mois (que soit via l’obsolescence programmée ou une simple “addiction” à la nouveauté).

C’est un appel à une véritable prise de conscience, voire un cri d’alarme, que relaient The Shift Project, le CIGREF, le collectif GreenIT et d’autres acteurs qui militent pour un numérique plus sobre et des usages plus raisonnés. Rien que les emails mobilisent 20% du trafic tandis que l’échange de vidéos absorbe les 80% restant, principalement via Netflix et Youtube, les réseaux sociaux et via la pornographie.

Cependant, la pollution numérique en France comme dans le monde entier provient avant tout de la conception des devices (ordinateurs, smartphones) plus que de leur utilisation. S’il nous faudra apprendre à réduire sans doute nos usages. C’est avant tout réduire la production des appareils, et donc allonger leur durée de vie, qui est le plus important aujourd’hui. Pour cela, les solutions sont notamment le recours au reconditionné, à la réparation et au réemploi, ainsi qu’à la lutte contre l’obsolescence programmée.

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Le problème à venir des objets connectés

Mais le pire reste probablement à venir car une nouvelle frénésie numérique est en marche, celle des objets connectés. Un marché gigantesque et économiquement intéressant. En 2020, on estime qu’il y aura ainsi entre 50 et 80 milliards d’objets connectés à travers le monde. Cet engouement intervient notamment sur des sujets qui sont justement liée… à la réduction de la consommation d’électricité !

En effet, un grand nombre d’acteurs pensent aujourd’hui que la technologie peut permettre aux villes et aux ménages d’économiser leur électricité, leur chauffage ou leur consommation grâce à des objets intelligents et connectés. C’est le principe de la smart city et, en ce qui concerne l’électricité, de ce qu’on appelle les smart grids. Ce concept imparfait n’est en réalité qu’un déplacement de la pollution puisque la consommation électrique des objets connectés ainsi que leur fabrication et le manque de solution concernant leur recyclage pousse en réalité à une augmentation des émissions de CO2.

Alors que s’ébauchent les principes d’une économie de la fonctionnalité, véritable rupture avec nos habitudes consuméristes, la sobriété numérique n’est pas une démarche négative de renoncement mais au contraire une démarche positive de réduction, par une hiérarchisation de nos besoins réels. C’est à l’échelle des entreprises et administrations, mais aussi et peut-être surtout, au niveau individuel, que se dessine la réduction des consommations superflues voire inutiles. Une moindre pression environnementale, un lien social différent et plus humain, dans un univers mieux partagé.

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