Le secteur du numérique, dans son ensemble, est aujourd’hui responsable de 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. C’est plus que la pollution du secteur aérien (qui plafonne autour de 3%). Ce qui veut dire également que la pollution numérique, chaque année, équivaut à effectuer 116 millions de tour du monde en voiture (soit 116 x 42 000 kilomètres). Un constat global qui pousse de plus en plus d’acteurs à s’interroger sur la durabilité du numérique dans un monde où la technologie semble être le paradigme incontournable à chacun de nos problèmes.

Ainsi, dès lors que l’on voit émerger partout des concepts de smart buildings, de smart cities ou encore de smart grids qui reposent sur le numérique et les objets connectés ; dès lors que la transition écologique de grands secteurs comme l’agriculture, l’alimentation ou la mobilité semble également passer par des applications, des capteurs connectés et des robots ; et dès lors que même la réponse d’un pays comme la France, face à une crise sanitaire sans précédent, aboutit également à la sortie d’une application mobile de tracking, une question se pose : doit-on, coûte que coûte, se laisser submerger par ce qui pourrait rapidement devenir la plus grande source de pollution au monde ?


Le numérique, c’est un peu plus qu’un smartphone

En matière de pollution numérique, les travaux de certains organismes, comme le think-tank de Jean-Marc Jancovici The Shift Project, ont permis de mettre en lumière certains chiffres emblématiques comme le fait que le streaming vidéo émet chaque année 300 millions de tonnes de CO2, soit l’équivalent d’un pays comme l’Espagne. Un effort de vulgarisation essentiel qui permet de créer une prise de conscience chez les particuliers.

Mais le numérique est évidemment une notion bien plus large que les seuls sites web et applications mobiles que nous connaissons. Cet univers du numérique comprend aussi l’intégralité de nos terminaux (smartphones, tablettes, ordinateurs), les objets connectés, les écrans et les téléviseurs, les boxes, décodeurs et équipements wi-fi, sans oublier les réseaux de télécommunications, les serveurs et les data centers. Ainsi que tous nos câbles USB, nos chargeurs de téléphones, d’ordinateurs, nos clés 4G, etc. Sans mentionner les consoles de jeux vidéos et autres appareils ménagers connectés.

D’où l’importance de comprendre que la pollution numérique ne se limite pas à des éco-gestes comme celui de vider sa boite mail ou de regarder une vidéo Youtube en 144p. En majorité, elle réside d’ailleurs dans les phases de production et conception de tout ces équipements que nous utilisons. Par exemple, la conception d’une simple télévision génère autant de CO2 qu’un aller-retour Paris-Nice en avion.

Le problème, c’est que le nombre d’appareils que nous utilisons est devenu rapidement délirant. En 2019, 4,1 milliards d’utilisateurs se partageaient 34 milliards d’équipements numériques. Soit 8 équipements par personne en moyenne. Sans compter que la durée d’utilisation de nos appareils est relativement faible. Par exemple, un utilisateur d’Iphone change d’appareil en moyenne tous les 20 mois. Et même sans changer, la durée de vie moyenne d’un Iphone est estimée à plus ou moins 4 ans. Quant à savoir ce que ces appareils deviennent une fois abandonnés par leurs utilisateurs, on estime que le poids des DEEE (Déchets d’équipements électriques et électroniques) au niveau mondial représente chaque année l’équivalent de 5 000 fois le poids de la Tour Eiffel. Ce qui fait beaucoup de métaux… extraits dans des conditions sociales et écologiques plus que discutables et parfois honteuses.

On estime ainsi à 48 milliards le nombre d’objets connectés en circulation en 2025, contre 1 milliard en 2010.

Et c’est là toute l’ampleur du problème : nous exploitons des ressources naturelles pour produire trop d’équipements qui ne durent pas assez longtemps, et qui sont très consommateurs en électricité. Pour réduire l’empreinte environnementale du numérique, il faut donc agir sur deux éléments : d’une part miser sur une électricité bas-carbone et, d’autre part, travailler sur une réelle sobriété en matière de conception et d’usage.


La pollution numérique d’ici 2025

Si l’on se réfère aux travaux du Shift Project ou sur l’étude de l’empreinte environnementale du numérique mondial effectuée par GreenIT, la pollution du numérique mondial pourrait encore augmenter d’ici 2025 si les choses restent telles qu’elles sont actuellement, jusqu’à peser 5,5% des émissions mondiales de GES.

Evidemment, cette évolution mondiale implique de fortes disparités entre les différentes régions du monde, à commencer par les pays développés dans lesquels la croissance de la demande sur certains appareils – comme les smartphones et ordinateurs – devrait rester relativement flat. Là où cette demande pourrait exploser dans certains pays d’Asie et d’Afrique. Mais en valeur absolue, l’empreinte environnementale du numérique devrait croître en particulier via l’essor des objets connectés.

D’ici 2025, ils pourraient être responsable d’environ 30% à 40% de la pollution numérique puisqu’on les retrouve un peu partout : mobilier urbain et immeubles pour les smart cities, dans les capteurs et outils qui facilitent l’agriculture de précision, dans les objets ménagers (réfrigérateurs, aspirateurs) ainsi que dans les voitures. On estime à 48 milliards le nombre d’objets connectés qui seront en circulation en 2025, contre 1 milliard en 2010.

Il en va de même avec les télévisions numériques, dont le nombre devrait passer de 525 millions en 2010 à 1,2 milliard en 2025. Sans compter que ces appareils sont systématiquement connectés à un décodeur lui même connecté à la fibre ou à une box, et que le renouvellement de ces équipements constitue déjà une source de pollution. Enfin, la taille des écrans de télévision ne cesse d’augmenter au fur et à mesure des années, et mécaniquement, leur consommation d’électricité également.

À cela, il faut aussi ajouter les impacts des réseaux et infrastructures (les data centers représentent 10% de la consommation électrique française par exemple), tout comme l’installation de nouveaux équipements pour le déploiement de la 4G et de la 5G. Donc, pour résumer : le numérique est aujourd’hui un très gros pollueur… mais ça n’est que le début si nous ne modifions pas certaines pratiques en matière de production et d’usage.

Le poids des déchets d’équipements électriques et électroniques au niveau mondial représente chaque année l’équivalent de 5 000 fois la Tour Eiffel


Produire moins et consommer mieux

À l’évidence, une part significative de ces impacts pourrait être réduite par le recours à une électricité bas-carbone et renouvelable. On sait par exemple que certaines grandes marques du numérique tentent de s’inscrire dans cette démarche, à l’image du partenariat entre Google et Neoen, qui doit permettre au moteur de recherche d’alimenter ses data centers grâce à des éoliennes.

Mais pour réduire l’impact du numérique sur la planète, il faut d’abord se pencher sur la production de ces appareils, qui est responsable – selon les études – de 35% à +de 50% de cette pollution. Ce qui passe notamment par l’éconception des appareils et des services, par une augmentation de leur durée de vie, par la suppression des pratiques d’obsolescence programmée, par une meilleure réparabilité des objets et par le fait de favoriser leur mutualisation et leur réemploi.

Une révolution en matière de paradigme économique qu’on retrouve cependant à l’oeuvre dans presque tous les secteurs d’activité, et qui peut aussi être un vecteur d’opportunités à saisir. Il n’y a qu’a regarder pour cela le succès de la startup française Backmarket, leader sur le marché des produits électroniques reconditionné, et qui favorise la seconde vie et la circulation de nos appareils numériques.

D’après le rapport de GreenIT, réduire le nombre d’objets connectés, le nombre d’écrans plats, écoconcevoir les services numériques et augmenter la durée de vie des équipements sont autant de mesures qui auraient permis maintenir l’empreinte 2025 du numérique à son niveau de 2018. Et ce malgré l’ajout de 1,1 milliard d’utilisateurs supplémentaires.

Pour aller plus loin, il faudrait alors se pencher sur deux autres aspects : le développement d’un numérique low-tech et sa juste articulation avec nos besoins. Une autre voie possible qui miserait sur des technologies et équipements de pointe pour des usages complexes (faire des prévisions météorologiques, par exemple) et un numérique robuste, low-tech et simplifié à l’extrême pour ce qui ne nécessite vraiment pas de superflu (un bon vieux sms pour lire son bulletin météo, par exemple).