Alors que l’impact carbone actuel du secteur du numérique avoisine les 15 millions de tonnes équivalent CO2 (eqCO2) par an, ce qui équivaut à 2% de l’empreinte carbone totale de la France, se pourrait-il que le déploiement de la 5G vienne éloigner un peu plus la France de son objectif de neutralité carbone en 2050 ?

Vendue par les opérateurs mobiles comme l’innovation permettant un débit ultrarapide, une fluidité incroyable et une consommation énergétique plus responsable, la 5G, sur le papier, semble avoir de nombreux atouts pour séduire. D’ailleurs, le 15 septembre 2020, le président Emmanuel Macron a annoncé que la France allait « prendre le tournant de la 5G« . Au-delà de l’usage que les particuliers pourront en faire (qui ne semblent pas prioritaires aujourd’hui), la 5G ouvre en effet la voie à de nouvelles avancées technologiques dans le domaine de l’agriculture, des transports ou encore de la télémédecine, et qui pourraient nous aider à relever les défis du monde de demain.

Mais toutes les bonnes idées ont un coût environnemental. Et celui de la 5G est loin d’être neutre à l’heure actuelle. Le Haut Conseil pour le Climat estime ainsi que la 5G pourrait ajouter entre 2,7 et 6,7 millions de tonnes éqCO2 en 2030 à l’empreinte carbone du numérique français, dont 1,8 à 4,6 millions de tonnes éqCO2 proviendrait des émissions importées, et 0,8 à 2,1 millions de tonnes éqCO2 de l’augmentation de l’utilisation d’électricité en France.

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Les avantages qui justifient le déploiement de la 5G

Alors que ce réseau mobile dernière génération a déjà fait son entrée en 2019 dans des pays comme la Chine, la Corée du Sud ou les Etats-Unis, il arrive désormais en France, avec la promesse de nous apporter de nouveaux usages dans des domaines tels que l’industrie, les véhicules autonomes, la santé, l’agriculture ou encore le streaming.

« Un réseau ultrarapide » disent-ils. Par sa rapidité de navigation, la 5G serait 100 fois plus rapide que la 4G actuelle (qui n’est, rappelons-le, toujours pas déployée sur l’ensemble du territoire français). Une vitesse qui permet de télécharger des films à la vitesse de l’éclair ou encore de contrôler des objets à distance tels que des drones ou des voitures connectées. En effet, le contrôle d’objets à distance n’est possible que si le temps de latence, c’est-à-dire le temps de réactivité des antennes réseau, est considérablement réduit.

Des applications qui pourraient intéresser, par exemple, le secteur minier afin de déléguer l’exploration des galeries souterraines à des drones afin de renforcer la sécurité et la productivité des travailleurs. La mine suédoise Boliden Kankberg fait office de pionnière en la matière dans le cadre d’un projet financé par l’Union européenne. Mais cela permettrait aussi de développer, sans doute, davantage de drones pour accroître le potentiel de l’agriculture de précision, faciliter la conduite autonome ou le déploiement des smart grids, ces réseaux électriques qui permettent de développement des villes intelligentes.

Les pro-5G promettent également des avancées du côté de la télémédecine. Même si, depuis déjà plusieurs années, nous sommes capables sans 5G de procéder à des opérations chirurgicales télé-monitorées. Mais, et ce n’est pas rien, la 5G devrait rendre plus performante la qualité d’image transmise !

Il y a évidemment des choses intéressantes avec la 5G, c’est indéniable. Mais ces avancées technologiques justifient-elles vraiment le coût environnemental qui y est associé ?

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Un déploiement dangereux pour l’environnement

Car le déploiement de la 5G risque d’induire des émissions directes de gaz à effet de serre (construction et déploiement des infrastructures) et/ou indirectes par effet rebond. En effet, la fabrication et l’utilisation de nouvelles infrastructures, terminaux et services pour les usages de la 5G génèrent nécessairement des émissions de GES.

Fabriquer de nouveaux smartphones compatibles avec la 5G suppose aussi une accentuation de l’épuisement de ressources non renouvelables telles que les énergies fossiles et les minerais. D’autant plus que d’ici quelques années, nos équipements deviendront obsolètes car non compatibles avec la 5G, ce qui générera une quantité importante de déchets qui sont souvent très peu recyclables.

De plus, cette technologie va demander un déploiement nettement plus massif d’antennes au niveau national avec en moyenne 30% de sites supplémentaires, ce qui accentue d’autant plus la problématique des matériaux nécessaires à la mise en place de ce réseau 5G. Enfin, l’arrivée de la 5G fait peser des risques sur la qualité des prévisions météorologiques. En effet, si la 5G utilise à l’avenir la bande de fréquence autour de 26 GHz qui n’a pas encore été attribuée, « il risque d’y avoir des interactions avec les fréquences utilisées par les satellites d’observation de la Terre » selon le rapport.

La hausse attendue des émissions liées à la 5G est liée à un renouvellement plus rapide des terminaux existants, à l’apparition de nouveaux terminaux mais aussi à l’extension de l’infrastructure numérique avec davantage d’antennes et de data centers

Corinne Le Quéré, Présidente du Haut Conseil pour le Climat


6,7 millions de tonnes d’équivalent CO2 en plus d’ici 2030 avec la 5G ?

Ainsi, face à ce sujet controversé et à la demande du Président du Sénat, le Haut Conseil pour le Climat a fait paraître, le 17 décembre 2020, son rapport sur les émissions carbone de la 5G.

Afin d’étudier ces émissions, le Haut Conseil pour le Climat a dressé trois scénarios de déploiement : un scenario fort dans lequel la 5G viendrait couvrir tout le territoire en fréquence 3,5 GHz ainsi qu’un faible qui correspond au cahier des charges de l’Arcep et dans lequel la couverture du territoire en fréquence 3,5 GHz ne concernerait que les zones denses et une partie des zones peu denses. Le moyen, quant à lui, n’a pas vocation à être réaliste mais seulement à donner un ordre de grandeur de ce qu’aurait pu être l’impact carbone d’un déploiement de la 5G moins ambitieux en écartant la fréquence 26 GHz.

Malgré de nombreuses incertitudes qui pèsent encore sur le déploiement de la 5G (niveau de couverture du territoire, renouvellement des terminaux, nouveaux usages…), le HCC conclut de ces scénarios que, contrairement à ce que répètent les opérateurs, l’impact carbone du déploiement de la 5G ne sera pas neutre.

Selon ses calculs il pourrait ajouter entre 2,7 et 6,7 millions de tonnes d’équivalent CO2 en 2030. « Une augmentation significative » par rapport à l’empreinte carbone actuelle du numérique, que le HCC évalue à environ 15 Mt d’équivalent CO2 en 2020, soit l’équivalent des émissions de GES émis par le secteur aérien.

Les trois quarts des émissions de GES supplémentaires induites par la 5G sont liées à la fabrication des antennes, de centres de données et, bien sûr, des terminaux (smartphones, objes connectés…). Le quart restant est lié aux usages. Ce qui n’est pas non plus totalement neutre.


En outre, toujours selon la même instance, la consommation électrique supplémentaire avoisinerait 17 TWh à 40 TWh d’ici 2030, soit la production de 3 à 7 réacteurs nucléaires. Et là non plus ce n’est pas neutre, car la réussite de la transition énergétique vers davantage de renouvelable passe aussi par une meilleure efficacité de notre consommation.

En résumé, selon le HCC, la 5G va augmenter nos émissions de GES sur le secteur du numérique et va également augmenter notre consommation d’électricité. Il faut donc espérer que cette technologie nous permettent, en parallèle, de réduire d’autant nos émissions de GES ou d’apporter des bénéfices à la société qui méritent cet investissement environnemental.

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Maîtriser l’impact carbone de la 5G : les recommendations du Haut Conseil pour le Climat

Le Haut Conseil pour le Climat, quant à lui mise sur des recommandations afin de limiter l’impact carbone de la 5G :

  • Éclaircir les enjeux climatiques en amont d’un déploiement de technologies telles que la 5G. Selon le HCC, l’attribution des prochaines bandes de fréquences pour la 5G (notamment celle de 26 GHz) devra être soumise à une évaluation de ces technologies au regard du climat. Le HCC promeut aussi l’adaptation du Code européen des télécommunications, afin de rendre explicite la possibilité de limiter leur déploiement pour des raisons environnementales.

  • Imposer la maitrise de l’empreinte carbone aux opérateurs disposant de fréquences 5G. Pour ce faire, le HCC recommande de mandater l’Arcep pour inclure des engagements volontaires dans le cahier des charges d’utilisation de la 5G qui seront présents en amont de l’attribution des prochaines bandes de fréquences. Pour celles déjà attribuées, une renégociation des modalités d’utilisation des fréquences pourra être menée afin d’introduire des engagements de maitrise de l’empreinte carbone. En cas de non respect ou d’insuffisance de ces engagements, l’HCC préconise de rendre ces engagements obligatoires.

  • Tenir compte des effets sur la demande d’électricité et de ses implications pour le système européen d’échange de quotas d’émissions. Selon le HCC, il est nécessaire de vérifier que le déploiement de la 5G ne modifie pas substantiellement la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) du fait d’une augmentation importante de la demande d’électricité. De plus, le HCC préconise de veiller aux inégalités qui pourraient naître du mouvement des prix de l’électricité sur le marché européen du carbone.

  • Agir sur les émissions importées liées au numérique par l’offre d’équipements. Selon le HCC il faudrait faire adopter au sein de l’Union européenne des normes de réduction des émissions importées liées aux équipements électriques et électroniques, ainsi que des normes pour la réparabilité et la durabilité. Le HCC recommande aussi d’utiliser l’affichage environnemental sur les produits électroniques mis en vente afin d’avertir le consommateur.

  • Informer, sensibiliser et responsabiliser les particuliers et les entreprises aux bonnes pratiques qui évitent le gaspillage ou l’utilisation disproportionnée d’énergie associée aux services numériques. Le HCC préconise dans ce cas d’éduquer les utilisateurs sur les impacts de leurs usages de la 5G et si besoin, de porter la question de la priorisation des développements technologiques et de leurs usages dans le débat public.

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