L’autoconsommation, individuelle ou collective, permet à une ou plusieurs personnes de consommer l’électricité qu’ils produisent grâce à leurs propres moyens de production, le plus souvent à partir de panneaux solaires photovoltaïques. Une manière de produire et de consommer localement l’énergie qui émerge depuis quelques années et qui fait partie des grandes tendances à suivre en matière de transition énergétique.

Nous sommes allé creuser ce sujet avec Loïc Blanc, co-fondateur de la coopérative Enercoop en région Midi-Pyrénnées, qui a notamment porté l’une des premières installations opérationnelles d’autoconsommation collective en France.


Loïc Blanc, pourquoi l’autoconsommation est une notion intéressante ?

Loïc Blanc : L’autoconsommation est une pratique intéressante car elle fait partie des nouveaux usages de production et de consommation, mais aussi parce que c’est l’un des meilleurs exemples de fonctionnement en circuit-court en dehors de l’alimentation. Même si c’est difficilement tangible en matière d’énergie puisque les électrons se mélangent sur le réseau, cela montre tout de même que le fonctionnement de l’énergie – du producteur au consommateur – peut être aussi simple que dans l’alimentation.

Par ailleurs, l’autoconsommation a aussi cette vertu de simplifier la question de la production énergétique. Il y a beaucoup de personnes qui pensent encore que ça n’est pas légal de produire sa propre électricité, ce qui est faux. Entre autres, cela permet aussi aux consommateurs de se rendre compte de leurs usages et de pouvoir les modifier.

Enfin, il y a des avantages économiques liés à l’autoconsommation. Cela ne signifie pas qu’on va nécessairement produire moins cher que les circuits classiques, mais le gros avantage, c’est qu’on va sécuriser sur le long-terme le coût de notre consommation d’énergie. Parce que si j’installe une unité de production dont la durée de vie est en moyenne de 30 ans, alors je connais le coût de cette énergie pendant 30 ans. L’autoconsommation, elle apporte une certaine sécurité par rapport à cela.


Quelle forme prennent les projets d’autoconsommation ?

Alors, d’un côté, on a l’autoconsommation individuelle. Je mets des panneaux photovoltaïques sur mon toit et ils alimentent ma consommation résidentielle. Généralement en complément de ce que le réseau me fournit, et si j’ai une production trop importante, j’ai la possibilité soit de la stocker, soit de la réinjecter sur le réseau.

Ensuite, il y a les modèles d’autoconsommation collective. C’est à dire qu’une unité de production va servir plusieurs usagers réunis dans une logique de mutualisation, avec une clé de répartition de la production et de la consommation de chacun. Un peu sur le même modèle que les charges communes d’une copropriété. Il faut comprendre que l’autoconsommation, ça n’est pas l’autarcie.

Il y a énormément d’usages nouveaux pour les collectivités, pour les professionnels ou pour les particuliers qui peuvent émerger du concept d’autoconsommation


Vous avez des exemples de projets ?

Chez Enercoop, nous avons monté un modèle pilote très rapidement, en 2018, en Aveyron, à Saint-Affrique. C’est l’une des 10 premières installations d’autoconsommation collective à fonctionner sur le territoire. C’est nous qui avons investi dans les moyens de production et qui sommes la personne morale organisatrice (PMO), c’est à dire l’entité qui gère notamment la répartition entre les deux clients, une Biocoop et une clinique vétérinaire. Ce qui veut dire, dans cet exemple précis, qu’on a installé l’unité de production sur le toit de la Biocoop, et qu’on fournit cette électricité aux deux acteurs.

On est aussi entrain de monter d’autres projets actuellement, dont celui de Montfaucon dans le Lot (46).


Avec quels résultats ?

Sur le projet de Saint-Affrique, on est pleinement opérationnel depuis l’année dernière (Mars 2019, ndlr), avec des résultats qui vont au-delà de nos objectifs. On a un taux d’autoproduction pour le consommateur de l’ordre de 41% et et un taux d’autoconsommation au niveau de la production de 68%.


Quelle est la différence entre les deux ?

La différence réside dans le fait qu’on a une capacité de production qui est limitée, mais une capacité de consommation qui est illimitée. Donc, dans la totalité de ce qui a été produit, 68% a été autoconsommé par nos deux clients. Et côté consommateur, dans la totalité de leur consommation, 41% provient de l’autoproduction.

L’énergie, c’est du long-terme. Une centrale solaire que vous mettez sur un toit, elle va durer 30 ans.


Quels sont les freins au développement de l’autoconsommation aujourd’hui ?

Aujourd’hui, le principal frein c’est l’acculturation par rapport à notre relation à la consommation d’électricité. Même si le sujet prend de l’ampleur, on reste très focalisé sur une production centralisée de l’énergie.

Et puis il y a la dimension économique qui joue beaucoup, dans le sens où ce qui est souvent recherché aujourd’hui, c’est une vision court-termiste qui n’est pas forcément le bon axe de réflexion. L’énergie, c’est du long-terme. Une centrale solaire que vous mettez sur un toit, elle va durer 30 ans. Donc il faut penser au coût de l’énergie sur son cycle de vie et avoir une vision à plus long terme.

Après ça il n’y a pas vraiment de freins. Il faut évidemment faire des études de faisabilité, trouver des prestataires pour se lancer… Mais là-dessus, il y a des territoires très actifs, il existe des aides régionales pour inciter les porteurs de projets à faire le premier pas, par exemple.

Et côté perspectives, nous attendons aussi la transposition en France de la notion de communauté énergétique que prévoient la nouvelle législation européenne sur l’énergie et la loi Energie-Climat. Celle-ci doit faciliter l’accès aux marchés de l’énergie aux citoyens, collectivités locales et/ou acteurs économiques qui s’organisent collectivement pour créer des projets ou des activités reconnues comme bénéfiques pour les territoires et la transition énergétique, mais qui pour autant, n’ont pas les mêmes moyens financiers et techniques que des opérateurs privés. L’autoconsommation collective entre pleinement dans ce cadre.

Il y a beaucoup de personnes qui pensent encore que ça n’est pas légal de produire sa propre électricité, ce qui est faux.


À qui s’adressent ces projets ?

Il y a un fort potentiel de l’autoconsommation collective en milieu péri-urbain, par exemple, sur des zones commerciales ou des zones industrielles. Car ce sont des zones où il y a énormément de toitures qui ne sont pas utilisées et qui peuvent accueillir ce genre de projets.

La problématique et le frein étant que toutes ces toitures ne sont pas éligibles à accueillir du photovoltaïque. D’ailleurs, que les nouveaux bâtiments qui sortent intègrent dans leurs cahiers des charges la possibilité d’accueillir des panneaux photovoltaïques sur leurs toits est un véritable enjeu à ce sujet.

Mais le potentiel de l’autoconsommation s’exprime aussi dans les zones rurales. Notre coopérative en Midi Pyrénées met en exploitation des petits parcs solaires, qui utilisent moins d’un hectare de prise au sol, et qu’on développe particulièrement pour les zones rurales afin de produire de l’énergie qu’on vend au réseau Enercoop pour nos clients. À partir de là, pourquoi ne pas étudier la possibilité, par exemple, de produire collectivement une partie de la consommation d’un village de 150-200 personnes ? Où se servir de l’énergie solaire pour alimenter une flotte de véhicules électriques à disposition des habitants du villages ?

Il y a énormément d’usages nouveaux pour les collectivités, pour les professionnels ou pour les particuliers qui peuvent émerger du concept d’autoconsommation. En milieu urbain, ça peut être très intéressant pour les bailleurs sociaux, par exemple.

Sur ce sujet, l’idée qu’on pousse avec Enercoop, c’est d’arriver à créer ce qu’on appelle des boucles énergétiques locales. C’est à dire rendre de la résilience aux territoires en alliant des moyens de production locaux avec de la consommation locale. C’est redonner la possibilité aux citoyens et collectivités de se regrouper pour ce type d’opérations, sans forcément s’appuyer sur des fournisseurs.

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