Thibaud Hug de Larauze et ses associés font partie de ces entrepreneurs investis dans la mouvance « Tech for Good » qui consiste à créer de nouveaux business modèles ayant un impact positif sur l’environnement. Ils sont les fondateurs de Back Market, une place de marché dédiée à la vente de produits high-tech reconditionnés. Une manière de lisser l’empreinte écologique de certains produits.

En quelques années, Back Market est devenue une véritable pépite présente à l’international. La start-up a notamment levée 45 millions d’euros l’été dernier. Interview avec ce spécialiste français du reconditionné, qui nous explique sa vision et ses ambitions pour la suite.

Backmarket permet plus de sobriété numérique
Thibaud Hug de Larauze (backmarket) et Jean-Noël Guertz (Cycloponics) lors de la Maddy Keynote 2019


Les Horizons : Pour commencer, est-ce que tu peux nous présenter rapidement Back Market ?

Thibaut Hug de Larauze : Back Market c’est la première place de marché qui permet à des consommateurs d’accéder à des milliers de produits qui ont été remis à neuf par des professionnels certifiés. Back Market existe depuis quatre ans, c’est un service qui est proposé dans 6 pays : en France, en Espagne, en Allemagne, en Italie et en Belgique. On est ouvert aux USA depuis un peu moins d’un an également. On est un peu plus de 150 aujourd’hui : la majorité à Paris mais on a également 30 salariés à Bordeaux et 6 personnes à New-York. 


Qui sont vos concurrents aujourd’hui sur ce marché des produits reconditionnés ?

Les produits reconditionnés sont vendus sur des sites généralistes comme Amazon, Ebay, Craiglist, Wallmart et d’autres… C’est en partie la raison pour laquelle Backmarket existe ! Parce que sur les plateformes généralistes, en tant que consommateur, tu ne connais pas vraiment la qualité du produit que tu achètes. Cela va dépendre du vendeur. Chez Backmarket, la majorité des produits que nous vendons, ce sont des produits qui sont extrêmement chers à neuf (les produits électroniques et high-tech, ndlr). La seule alternative au neuf, ce sont les produits d’occasion. Mais « occasion », ça veut dire qu’il n’y aura pas de garantie. Et ça fait un petit frisson quand tu dépenses 300 euros en sachant que si le produit ne fonctionne plus dans trois jours, il n’y a pas de recours.

Les produits reconditionnés que nous proposons, eux, ils sont remis à neuf par des professionnels qui les vérifient et qui les garantissent. Ils offrent ainsi un prix moins cher que le neuf et de la réassurance. C’est la strate entre l’occasion et le neuf. On a crée Backmarket en partant de ce constat : « le reconditionnement, c’est fantastique, mais les circuits traditionnels ne sont pas fait pour ça ».

Plus tu offres de vies à un produit, plus tu lisses son empreinte écologique


Comment est-ce que tu sélectionnes les vendeurs sur votre marketplace, tout le monde peut s’y inscrire ? 

Alors on a un cahier des charges de sélection de vendeurs, en fonction de leurs process, de la manière dont ils testent leurs produits. On vérifie quels sont les points de contrôle, les exigences qu’ils ont sur la vérification des batteries, des écrans, on regarde où est-ce qu’ils sourcent leurs pièces détachées, etc. Ensuite, on regarde s’ils sont capables de répondre aux besoins du e-commerce, c’est à dire, d’expédier les produits eux-mêmes, de gérer le service client quand il y a un problème sur le produit, de gérer la réparation et le renvoi dans un temps réduit des produits, etc.

Une fois qu’il y a le feu vert qui est donné, on a une période d’on-boarding où le vendeur sera limité en terme de ventes par jour. Il sera limité à cinq ventes par jour au début, pendant 40 jours. C’est une manière pour nous de pouvoir récupérer un maximum de data sur la fiabilité de ses produits, le taux de panne, la façon dont il gère ses SAV, etc. Ces données, elles permettent de créer un score de qualité. Et ce score de qualité, c’est un peu le juge de paix de Backmarket. C’est ce qui va faire qu’on sélectionne dynamiquement une offre plutôt qu’une autre. Ça c’est la grande particularité de notre offre. Même s’il y a 40 vendeurs qui ont le même produit en stock, nous on aura un seul vendeur affiché pour le consommateur, et celui qui a été sélectionné c’est celui qui a le meilleur score de qualité. Comme ça, le consommateur achète toujours à un vendeur qui est recommandé par la communauté.


Combien de clients avez-vous et qui achète sur Back Market ?

On a passé le millions d’utilisateurs il y a deux mois. Ensuite, on a vraiment tout type de personnes. Autant d’hommes que de femmes. On a un ton de voix et un positionnement de marque qui est assez jeune, historiquement. Mais on s’est rendu compte qu’il y avait autant de gens autour de 40-50 ans qui achètent sur la plateforme que de gens qui ont entre 18 et 25 ans. En fait, tout le monde consomme des produits electroniques donc tout le monde peut être intéressé par le reconditionné.

la réparation d'un smartphone


Tu semblais dire (lors d’une table ronde pendant la Maddy Keynote, NDLR) que l’arguement écologique, ce n’est pas l’argument de vente vous concernant ? 

Non, l’argument pour le consommateur, c’est d’abord le combo prix/garantie. J’achète un produit moins cher, fiable et de qualité, avec de la réassurance en cas de problèmes. Et ensuite, oui, je me rends compte que c’est bien pour la planète. C’est fondamentalement le cercle vertueux du reconditionné. Plus tu offres de vies à un produit, plus tu lisses son empreinte écologique. Après le servir comme un argument d’achat auprès des consommateurs, nous on pense que c’est une connerie. En revanche, éduquer le consommateur après l’acte d’achat, c’est ce qu’on fait. On explique assez simplement pourquoi un produit reconditionné est meilleur pour la planète qu’un produit neuf… Mais parce que le consommateur a déjà fait son achat, on pense qu’il est dans une posture dans laquelle il est plus réceptif au message. 


Un produit tech on peut le reconditionner à l’infini ? 

On en voit de plus en plus revenir et repasser sur la plateforme. Typiquement on a des produits qui ont six ans d’âge qui sont vendus sur Backmarket. Ils ont souvent déjà été vendus plusieurs fois. La limite elle se situe surtout au niveau du logiciel sur les produits électroniques. Je pense aux tablettes, aux ordinateurs et smartphones. À un moment quand les OS ne sont plus maintenus par les fabricants et que les applications qui sortent ne sont plus supportées, l’utilisateur va se séparer de son produit parce qu’il ne répond plus à son besoin.

Le reconditionnement, c’est fantastique, mais les circuits traditionnels ne sont pas fait pour ça


Qu’est ce qui se passe pour un téléphone qui ne peut pas être reconditionné ?

On a un service qui permet aux consommateurs de revendre leur ancien produit. Mais si un appareil ne peut pas être remis en circulation, il ne sera pas racheté par un professionnel, car s’il n’y a plus d’offre sur ce produit c’est qu’il n’y a plus d’intérêt économique à le reconditionner et à le remettre en vente. À partir de là, il n’y a plus qu’une seule alternative raisonnable pour l’environnement : c’est le recyclage.

Cependant, aujourd’hui le problème n’est pas trop là. Il faut surtout que les consommateurs prennent conscience qu’ils peuvent revendre leurs appareils, même s’ils sont cassés, même si l’écran est cassé, même s’il ne s’allume plus. Chez Backmarket, on rachète ces produits pour les remettre en circulation. Alors que la plupart du temps, ils sont gardés dans des tirroirs, des placards et puis le jour d’un déménagement, ils terminent à la poubelle. Ça, c’est vraiment dommage, donc on a un travail de pédagogie à faire aussi là dessus pour éduquer le marché sur cette possibilité de rachat.


Les constructeurs aujourd’hui, n’ont pas l’obligation de récupérer les anciens téléphones ? 

Alors il y a une écotaxe qui a été créée en Europe. Donc dès que tu achètes un produit électrique ou électronique, tu payes la DEEE qui va servir à financer le recyclage de ces appareils. Mais ça finance le recyclage et pas la réutilisation. Il y a une limite ici car écologiquement, ça n’a pas de sens de faire passer le recyclage avant le réemploi. Concernant le constructeur, il n’y a généralement pas de gestes hormis la DEEE. Ce sont surtout les distributeurs qui sont obligés de récupérer les produits. Mais là aussi, il y a une limite car la plupart du temps, ils les envoient directement au recyclage.

Fondateurs Backmarket


Les initiatives comme backmarket peuvent-elles changer les choses à ce niveau ? 

J’espère ! Nous on le fait de manière assez pragmatique en disant aux gens : « ton appareil, il a un prix, ne le jette pas ! ». Après, on parle aux institutionnels également mais ce sont des temps beaucoup plus longs et c’est du temps pour nous aussi de s’immiscer dans ces conversations. On a espoir qu’il y ait des législations qui passent dans ce sens là, qu’on défiscalise par exemple la réparation ou la réutilisation, un peu comme ils font en Suède.


Sur ce sujet le gouvernement propose un indice de réparabilité sur les produits tech, ça va avoir un impact d’après toi ?

En tout cas je pense que c’est un bon début. Parce que les fabricants sont plutôt dans un sujet d’ergonomie, de prix, que de réparabilité et réutilisation. Tu pourrais même penser, si tu vois le monde en noir, que ça les avantage de ne pas rendre leurs appareils trop réparables. Mais tous les constructeurs ne sont pas malveillants, loin de là. Et afficher cet indice de réparabilité, ça va quand même créer une contrainte chez eux, de se dire « J’ai un label à aller chercher, c’est important, donc je vais faire en sorte qu’on puisse réparer plus facilement mes produits, et donc donner un accès à mes pièces détachées ».

La petite faiblesse de cette loi qui va sûrement passer, c’est que seulement les professionnels qui sont agrées vont avoir le droit d’acheter ces pièces détachées. À priori, le grand public n’y aura pas forcément accès. Alors qu’il faut favoriser la réparation pour tous. Même si nous, on est les premiers à dire que c’est parfois trop difficile et trop technique. Mais je pense que c’est un peu le danger que ce soit les marques qui contrôlent qui peut être agrée ou pas, et que ça limite le réflexe de la réparation chez les particuliers. C’est important de structurer un accompagnement pour le consommateur, qu’il sache ce qui est réparable et combien ça coûte de le réparer. 


On voit justement de plus en plus de Fablab ou de repair café, c’est une prise de conscience des consommateurs ? 

Je ne sais pas expliquer le pourquoi de l’apparition de ces espaces. Technologiquement, c’est hyper marrant, et j’invite tout le monde à aller dans un fablab. Après je ne suis pas encore convaincu du modèle scalable de ces solutions parce que typiquement, une machine à café, c’est quelque chose que tu peux transporter facilement. Mais dès que c’est un frigo ou une machine, tu dois accompagner la réparation et ça doit être un professionnel qui s’en occupe car ça demande tout un set d’outils spécifiques. Mais démocratiser l’accès aux tutos de réparation et aux pièces détachées, je trouve ça hyper bien. Il y a des business qui vont se créer autour de ça. Les fablab ne sont pas encore des business, mais ça va dans le bon sens. Ça va dans le sens de la couture, du DIY et de toutes les pratiques liées à l’économie circulaire.


Du coup le Fairphone, c’est l’avenir ? 

Le Fairphone c’est super ! On adore cette boite chez Backmarket. Ils ont vraiment monté un produit qui marche, qui répond à plein de problématiques de user, qui respecte l’environnement aussi bien dans leur politique sociale de recrutement, leur sourcing, leur production de pièces détachées… C’est vraiment un boulot de dingue qu’ils ont réussi à faire. Mais en nombre d’unités vendues, ça reste infime, je ne sais même pas si c’est 0,1% des ventes de téléphone dans le monde. Il y a une problématique de scalabilité du modèle, comme dans chaque modèle économique. Ils ont réussi à franchir de super paliers et j’espère qu’ils vont continuer. Maintenant il faut aussi aller plus loin que ça. Il faut que les appareils qui sont produits massivement par tous les autres constructeurs prennent mieux en compte ce sujet environnemental.


Quels sont les ambitions pour Backmarket dans les mois à venir ?

Il y a deux gros enjeux pour Backmarket désormais, c’est l’internationalisation. On doit continuer de porter notre message le plus loin possible. Dans la tête des consommateurs, il faut créer cette alternative qui dit « ok, je suis pas obligé d’acheter neuf, j’ai une autre possibilité qui s’appelle le reconditionné, et j’ai un supermarché dédié à ça, c’est Backmarket ».

En second point, il y a la structuration de ce marché. Aujourd’hui, on est au centre du jeu, c’est nous qui faisons la curation des usines, par exemple, et on travaille beaucoup sur le sujet de la qualité. L’idée, c’est de savoir comment on accompagne ce marché face à la fréquence de renouvellement des nouveaux produits qui est toujours plus rapide. Aujourd’hui, tous les 6 mois, tous les ans, il y a un nouveau produit qui sort… un tel avec un écran incurvé, un tel avec une nouvelle batterie… Les acteurs du reconditionnement doivent s’adapter à ces nouveaux produits à chaque fois pour comprendre comment les réutiliser, les réparer et les refaire tourner.

Chez Backmarket, on a les utilisateurs qui viennent sur notre palteforme pour acheter ces produits, donc on a la data pour aider les acteurs du reconditionnement. Notre enjeu, c’est de redistribuer ces données pour aider les professionnels à toujours mieux faire leur travail, à améliorer la qualité de leurs process, de leurs produits. L’accompagnement sur la qualité, c’est passionnant et ce sera le grand sujet pour nous.

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