Simon Bernard est CEO et Co-fondateur de Plastic Odyssey, une organisation qui lutte contre la pollution plastique. Nous l’avons interrogé sur le projet d’expédition autour du monde qu’il mène avec Plastic Odyssey, ainsi que sur le rôle des Low-Tech et de l’open-source pour initier des démarches de recyclage du plastique dans les pays à faibles revenus.


Les Horizons : Où en êtes vous du projet Plastic Odyssey ?

Simon Bernard : En 2018, on a travaillé sur un démonstrateur, sur des prototypes de machines, on a construit un petit bateau ambassadeur et effectué un tour de France avec. Cette étape nous a permis de faire connaître le projet et de rassembler une communauté de techniciens et d’ingénieurs, ainsi que de trouver des partenaires financiers. Et depuis un an, on prépare le projet grandeur nature. On a acheté un bateau de 40 mètres en octobre, un ancien bateau de recherche océanographique. Il est actuellement en chantier pour être transformé et pour pouvoir accueillir tout le centre de recyclage à bord.


Ce bateau, ce sera une sorte d’usine de recyclage flottante ?

On le conçoit davantage comme un atelier d’expérimentation ou comme un laboratoire. Il faut savoir que les déchets plastiques à la surface de l’océan, ça représente environ 1% du problème. En revanche, si on recycle un déchet sur deux dans les 20 pays les plus contributeurs, on diminue de 40% la pollution plastique mondiale. Donc en améliorant par deux le traitement des déchets dans les pays où il n’y a pas beaucoup de solutions aujourd’hui, on a un impact gigantesque.

Pour cette raison, l’objectif de Plastic Odyssey n’est pas de traiter les déchets en mer, mais de pousser le développement de solutions de recyclage au niveau local. On veut rendre inclusif tout ce qui se fait à l’échelle industrielle, en particulier le savoir faire technique sur le traitement des plastiques. Pour ça, le but est d’arriver à réunir des experts, des ingénieurs du monde entier pour développer des systèmes accessibles au plus grand nombre, qui soient simples et qui demandent peu d’investissements, dans le but de les partager et qu’ils soient répliqués.


Quelles zones avez-vous prévu de visiter ?

On va commencer par la Méditerranée du sud : Liban, Egypte et Maghreb. Ensuite, on ira en Afrique de l’Ouest et après en Amérique du Sud. La dernière étape consistera à aller dans le Pacifique Sud pour remonter en Asie du Sud-Est. En tout, le bateau partira 3 ans en mission.

bateau plastic odyssey
Un ancien bateau de recherche océanographique va servir à l’expédition de Plastic Odyssey


De manière concrète, qu’est-ce que vous allez faire ?

On veut apporter des solutions qui fonctionnent d’un point de vue technique, mais aussi socialement. Le plus gros challenge est là : partir d’une base technique et arriver à une solution qui prend en compte l’humain et les cultures locales. C’est pour ça qu’on mise sur le recours à l’open-source et aux low-tech. L’open-source, en particulier, est très adapté puisqu’on va devoir développer des solutions pour des contextes culturels qu’on ne connaît pas. Rendre accessible nos travaux, ça va permettre aux personnes qui connaissent mieux ces régions de pouvoir s’en emparer, de les modifier et de les adapter à leurs situations.

Après, d’un point de vue technique, on travaille sur toute la chaine du recyclage du plastique. En matière de tri par exemple, il faut des outils pour arriver à reconnaitre les différents types de résine. Ensuite il y a toute les opérations de préparation du plastique : le broyer, le laver, le sécher. Et enfin, il y a deux possibilités. D’abord, on peut refaire du plastique avec les déchets. On le fait fondre avec des techniques qui permettent ensuite de mouler le plastique pour en faire des objets, typiquement du mobilier urbain ou des matériaux de construction. Et pour ce qui ne peut pas être recyclé, on peut faire de l’énergie avec. Grâce à la pyrolyse du plastique, on peut notamment faire du carburant.


Un carburant pour propulser votre navire ?

Non, pas vraiment. Le bateau Plastic Odyssey est un laboratoire flottant sur lequel on va tester différents systèmes. On va y faire de la pyrolyse, mais seulement dans le but d’expérimenter les machines qui sont à bord. Donc le carburant, on va le tester pour ensuite développer des systèmes qui vont être installé dans les villes et faire marcher des générateurs, des véhicules, etc. Nous, on a vraiment comme but d’être un laboratoire mobile pour pousser l’innovation, expérimenter sur le terrain et faire en sorte que ce soit répliqué après.

Si on recycle un déchet sur deux dans les 20 pays les plus contributeurs, on diminue de 40% la pollution plastique mondiale

Simon Bernard, Plastic Odyssey


La pyrolyse du plastique, c’est une alternative viable d’un point de vue écologique ?

Si on fait un bilan global du procédé, il permet en effet d’éviter beaucoup d’émissions de CO2 car on évite d’extraire, de raffiner et de transporter du pétrole, par exemple. Et d’un autre côté, on a aussi évité que du plastique soit brûlé à l’air libre, ce qui est le cas dans beaucoup de pays. Donc c’est une solution qui n’est pas idéale, et ça ne doit pas être vu comme étant le carburant du futur. Mais c’est un moyen de traiter les déchets qui ne sont pas recyclables autrement, en attendant d’avoir de meilleures solutions.

Après, dans certains pays, faire du carburant avec la pyrolyse a moins d’impact CO2 que le recyclage, par exemple. Parce que le recyclage demande beaucoup d’énergie, et si cette énergie est produite par des centrales à charbon ou à fioul, on ne s’y retrouve pas. Donc dans quelques contextes, faire du carburant avec le plastique, ça peut être intéressant.


En matière de recyclage, sur quels types de projets allez-vous travailler ?

Ça dépend des pays. L’un des grands travaux que nous avons, c’est de faire des recherches en design et en sciences humaines pour comprendre quels usages sont pertinents en fonction de chaque pays qu’on visite ; dans le but de créer des filières adaptées et locales par type d’usage. Par exemple au Burkina Faso, on s’est rendu compte que la toiture des maisons était souvent faite en tôle. Or, ça n’isole pas les maisons et par conséquent, il y fait trop chaud et les gens ont tendance à se retrouver pour dormir dehors. Un usage pertinent qu’on va étudier dans ce pays, c’est de faire des tuiles en plastique, qui sont plus isolantes, pour réaliser leurs toitures.

Le but c’est, comme ça, de trouver, pour chaque pays, au moins une utilisation du plastique qui soit pertinente en utilisant des matériaux de construction de base : des plaques, des poutres, des tubes, des formes assez basiques. C’est ce qu’on peut faire avec des systèmes Low-Tech. Et grâce à cela, on va chercher à créer une économie locale pour que ces déchets soient traités là où ils ont été produits et qu’il servent là où ils ont été recyclés.

équipe plastic odyssey
L’équipe du projet Plastic Odyssey


Des filières de recyclage Low-Tech dans un pays comme la France, ce serait pertinent ?

Oui c’est possible. C’est complémentaire même si ça ne remplacera pas les infrastructures qui sont en place. Après, aujourd’hui, la filière en place n’est pas efficace car on ne recycle que 25% du plastique. Donc il y a du boulot à faire d’un point de vue industriel. Et peut-être aussi que la manière de collecter et traiter les déchets n’est pas rentable à grande échelle pour tout les types de plastique. Donc, dans certains cas, à petite échelle, ça pourrait être pertinent en France de créer des filières Low-Tech sur certains plastiques et pour des usages très précis.

Par exemple dans le sud de la France, l’entreprise MP Industrie fait du mobilier urbain via des déchets locaux. notamment via les déchets de l’ostréiculture pour en faire des supports d’échafaudage. C’est une application ultra-locale avec des machines Low-Tech. Après, il faut trouver des débouchés commerciaux pour ce type de projets. Ce qui est le plus difficile.


En matière de financement, où-en êtes vous ?

Aujourd’hui nous avons 4 partenaires : l’Occitane en Provence, qui est notre partenaire principal, et sinon la Matmut, le Crédit Agricole et Clarins. Le projet fonctionne avec du sponsoring. C’est ce qui nous permet de faire de l’open-source, d’ailleurs. Il nous manque encore 2 à 3 partenaires pour boucler le budget, mais c’est en cours.

Le plus difficile aujourd’hui, c’est qu’il faut penser aux alternatives pour les emballages. C’est un énorme défi.


Open-source et low-tech, ce sont deux notions inséparables ?

Pas forcément. Low-tech, c’est un terme assez difficile à définir. Pour nous une technologie low-tech aboutie, c’est une technologie sur laquelle il n’y a plus rien à enlever. Donc, en ce qui nous concerne, ça veut surtout dire « enlever le superflu ». Mais sur des systèmes qui doivent rester sécurisés. Typiquement, on peut enlever le maximum de superflu sur les machines qui effectuent la pyrolyse du plastique, mais il ne faut pas que ça devienne dangereux. C’est un des grands défis pour nous.


Quel est le plus grand défi pour gérer la pollution plastique ?

Par rapport au plastique, le plus difficile aujourd’hui, c’est qu’il faut penser aux alternatives pour les emballages. C’est un énorme défi. Dans 20 ans, on va interdire tous les plastique pour les emballages, pour les shampoings, pour l’alimentaire, pour les boissons… Or, les industriels ne sont pas prêts à ça. Les consommateurs, en majorité, non plus. Et surtout, personne ne sait comment faire. Sur ce sujet, c’est un véritable défi de rassembler des solutions et de les faire connaitre, d’autant que c’est un sujet très complexe.

Par exemple, emballer les fruits et légumes dans du plastique permet de limiter le gaspillage alimentaire… Ce qui a une utilité. De l’autre côté, si on remplace les bouteilles en plastique par des bouteilles en verre, comme le verre est plus lourd, en transport, ça finit par créer plus d’émissions de CO2. Mais est-ce qu’on a vraiment besoin de bouteilles d’eau, par exemple ? Ce n’est pas seulement le matériau qu’il faut repenser, ce sont avant tout nos usages. Il y a un gros travail à faire en matière de Sciences Humaines pour réussir la transition écologique.

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