Offrir une seconde vie sur la terre ferme à des bateaux qui ne sont plus en état de naviguer. C’est le concept développé par Bathô, une entreprise à visée sociale et environnementale qui réinvente le concept de chantiers navals. Basée sur le principe du réemploi et de l’économie circulaire, l’entreprise ouvre la voie à une filière de recyclage des bateaux.
Ainsi, voiliers, vedettes et autres embarcations de plaisance en fin de vie sont intégralement transformés en chambres d’hôtes, salles de réunion ou espaces de jeux pour enfants. C’est au choix car tout est personnalisable. Même si dans la plupart des cas le principe de chambre/salon des cabines de bateaux est conservé, l’usage qui en est fait est nouveau. On peut tout à fait parler d’upcycling professionnel ; une tendance émergente en matière d’économie circulaire.
Et c’est une bonne nouvelle qui a été annoncée mi-mars par l’entreprise. En effet, le fond Amundi Finance et Solidarité est entré au capital de la jeune entreprise. Amundi est le leader européen de la gestion d’actifs en épargne solidaire. Cet investissement va notamment permettre à Bathô de pérenniser son développement. Les 2 fondateurs l’assurent : « L’entrée d’Amundi au capital va nous permettre de développer nos fondamentaux comme l’approvisionnement durable en circuits courts, l’économie de ressources, les coûts évités des déchets, l’écoconception de nos produits et de nos services, l’économie de la fonctionnalité et la recherche d’utilité sociale, qui sont aux cœurs de notre projet, puis la reproductibilité de notre modèle sur d’autres territoires ».
Un million de bateaux sont immatriculés en France actuellement dont 300 000 sont hors-service et non recyclés ou réutilisés
Un chantier naval original entre tradition et innovation
Implantée à Rezé, sur les bords de Loire près de Nantes, l’entreprise perpétue plus d’un siècle de tradition de chantiers navals dans la région. Après avoir connu son âge d’or aux alentours des années 70, cette activité avait disparu à la fin du siècle dernier. 5 chantiers navals exerçaient encore jusque dans les années 80 à Nantes. Le dernier a fermé en 1992 face à la concurrence de plus gros constructeurs. “C’est donc une vraie satisfaction d’en ouvrir un aujourd’hui sur un concept original” sourit Romain Grenon.
L’idée a germé dans la tête de Romain et Didier, les 2 fondateurs, suite aux grandes manoeuvres entamées par le gouvernement en 2017 pour réglementer le traitement des déchets. Il faut ajouter à cela une opportunité de marché incroyable comme le détaille Romain “1 million de bateaux sont immatriculés en France actuellement dont 300 000 sont hors-service et non recyclés ou réutilisés”. C’est ainsi que l’entreprise a vu le jour fin 2017 et s’est installée début 2018 dans ses ateliers rezéens. C’est là-bas que les mythiques Calife, Sangria ou Edel des années 60 à 80 reprennent vie pour devenir des habitations insolites pouvant accueillir jusqu’à 4 personnes.
Et c’est un franc succès. En un an et demi, l’entreprise a retapé et livré 10 bateaux, et emploie pas moins de 6 personnes en CDI. Avec un accent tout particulier mis sur l’économie sociale et solidaire, avec des parcours de formations et d’aides à l’insertion de personnes en marge des circuits classiques de l’emploi. Batho s’occupe de tout dans le process : trouver les bateaux à remettre sur pied, les transformer, les livrer chez les clients et les installer. L’intégralité de la transformation a lieu dans les ateliers : menuiserie, composite, peinture, agencement, etc. Un aménagement extérieur avec terrasse, escalier et taud vient parfaire le tout.
À leur sortie les Bathô sont tout confort et connectables aux réseaux d’eau et d’électricité. Il faut compter environ 2 à 3 mois de travail, et le prix final livré clé en main oscille entre 20 000€ et 25 000€. Les bateaux sont faits sur mesure et quand cela est possible des matériaux de réemploi sont utilisés (chutes de bois notamment pour l’intérieur, et du liège pour l’isolation).
Le réemploi, filière complémentaire du recyclage
On parle beaucoup ces derniers temps de lutte contre le gaspillage et d’économie circulaire, mais qu’en est-il du recyclage des bateaux ? La mise en place d’une écotaxe au 1er janvier 2019 est bien un premier geste pour l’écologie et le recyclage dans le secteur naval. Mais le constat est implacable. Faute de repreneurs et de filières de recyclage en place, des centaines de milliers de bateaux de plaisance arrivent en fin de vie et doivent être détruits. Or, plus de 90% de ces bateaux sont construits en polyester qui est l’une des pires matière à traiter, ne se recyclant pas. Seules issues : l’enfouissement ou l’incinération. Ces process coûtent chers – environ 2 000€ par bateau – et ont des impacts terribles sur l’environnement.
C’est là qu’intervient Bathô. Gratuitement ou pour 1€ symbolique, l’entreprise se propose donc de récupérer les bateaux dormants chez des particuliers (généralement dans un vieux garage ou au fond d’un jardin) ou entreposés dans un coin de zones portuaires. Et de leur offrir une nouvelle vie. Cela permet aussi aux anciens propriétaires d’évacuer un bateau stocké pour rien et de limiter la pollution. Bathô est ainsi soutenue par l’ADEME et l’APER, nouvel éco-organisme piloté par la Fédération des Industries Nautique, dans le but de mettre en place et de promouvoir la filière naissante du recyclage des bateaux.
L’hôtellerie de plein-air constitue le premier marché de l’entreprise, dont les deux tiers sont des campings. Bathô explore également d’autres types de clientèles comme les particuliers qui cherchent une pièce en plus dans leur jardin. La jeune structure reçoit aussi des sollicitations pour des jeux d’enfants ou des bateaux salle de réunion (par exemple le futur trimaran/salle de réunion de la société Kara Technology à Angers). Des restaurateurs pour une déco originale, ou des hôtels pour des jacuzzis uniques, sont également venus aux nouvelles.
Le réemploi pour penser la ville de demain ?
Et pourquoi pas demain travailler sur des bateaux plus grands, comme des péniches ou des chalutiers ? Pourquoi pas créer de toutes pièces un quartier éco-conçu en réemployant des bateaux ? A l’instar du quartier De Ceuvel à Amsterdam, où partis d’une friche polluée au nord d’Amsterdam, des urbanistes ont créé un quartier d’affaires avec des péniches et des barges abandonnées et restaurées pour l’occasion. Un modèle d’éco-urbanisme réussi qui donne des idées. “Ce serait génial !” en convient Romain.
Autre projet en réflexion, réemployer des bateaux pour en faire des habitations d’urgence. Avec un processus d’intégration de la population au projet, et donc faire participer les futurs habitants à la construction de ces Bathô. Et de la même manière créer ainsi un quartier d’habitations eco conçues. Dernier projet dans les cartons, le chantier travaille en collaboration avec Bio-T-Full, une association pour la promotion de l’agriculture urbaine, sur un bateau nourricier fonctionnant sur le principe de l’aquaponie.
Le champ des possibles pour le réemploi des bateaux est donc vaste. Et à la question de savoir si Bathô pourrait faire des émules en France ou en Europe, Romain l’assure, il n’y aura pas de problème à transmettre l’idée. Mais attention, sous certaines conditions car la logique est différente de celle du monde des startups. Pas question de faire du business à tout prix et de perdre l’essence de base du projet, lui qui assure vouloir gérer cette belle aventure “en bon père de famille”.