À Belfort, le 10 février 2022, Emmanuel Macron a fait des annonces fortes concernant le futur mix-énergétique français. Notamment en annonçant une relance du programme nucléaire français, laissant entendre qu’une augmentation de 25GW à 40GW de capacités nucléaires d’ici 2050 était possible. En parallèle, le président annonce également des hausses des capacités renouvelables : 100 GW pour le solaire photovoltaïque, 40 GW pour l’éolien terrestre et 40 GW pour l’éolien offshore.
Sur ce dernier point, nous nous interrogeons : ce chiffre est-il réellement ambitieux et à la hauteur des capacités d’un pays qui possède la seconde puissance maritime mondiale et le second gisement éolien d’Europe ?
De ce que nous pouvons constater, les 40 GW d’éolien en mer sont en effet en deçà du potentiel français. Dans son étude sur les « Futurs Énergétiques 2050 », RTE présentait divers scénarios pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050, dont un scénario prévoyant que l’éolien en mer atteigne une capacité de production de 62 GW.
De son côté, la Commission européenne estime que la filière de l’éolien en mer devrait atteindre une capacité de 300 gigawatts (GW) en Europe d’ici à 2050, dont 57 GW au large des côtes françaises. Le dernier Comité interministériel de la mer (CIMER), présidé par le Premier Ministre Jean Castex, en janvier 2021, abondait également en ce sens, estimant que « sur ces 300 GW, la France dispose d’un potentiel de 49 à 57 GW et doit se préparer pour atteindre cet objectif ».
De leur côté, les associations France Énergie Éolienne (FEE) et le Syndicat des énergies renouvelables (SER) considèrent, dans l’étude prospective qu’ils ont réalisée l’année dernière, qu’une capacité d’au moins 50 GW en 2050 est réaliste et pertinente. Bref, de nombreux experts s’accordent sur le fait que notre potentiel est compris entre 49GW et 62GW.
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Éolien en mer : où en-est la France en 2022 ?
Dès lors, tout indique que notre potentiel concernant l’éolien en mer est supérieur au projet esquissé par Emmanuel Macron. Un sujet pas anodin car, 10 GW d’éolien en plus, cela équivaut à la capacité d’environ 6 réacteurs nucléaires. Par ailleurs, force est de constater que, pour le moment, la France est très en retard concernant le développement de l’éolien en mer par rapport à ses voisins européens.
Ainsi, en 2022, la France ne compte qu’une seule éolienne en mer en exploitation. Il s’agit du démonstrateur d’éolien flottant Floatgen, en service depuis 2018 au large du Croisic (Loire-Atlantique).
Entre 2022 et 2025, sept parcs éoliens offshore (d’une capacité de 3,6 GW au total) devraient voir le jour. Les premiers parcs (80 éoliennes au large de Saint-Nazaire, 62 éoliennes au large de Saint-Brieuc et 71 éoliennes au large de Fécamp) vont être mis en service respectivement en 2022 et 2023.
Par la suite, 5GW de nouvelles capacités sont prévus dans le cadre de la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) pour la période 2020-2028, notamment via des parcs déjà prévus au large des côtes normandes et des Hauts-de-France. Ce qui porterait le total de la capacité attribuée et prévue en 2030 à 8,6GW au maximum.
Le Royaume-Uni devrait atteindre 40GW de capacité installée dès 2030, soit 20 ans avant la France.
En Europe : où en est-on de l’éolien offshore ?
En Europe, il y a 5 560 éoliennes en mer qui étaient en service au 30 juin 2021. Elles représentent une puissance totale de plus de 26,3 GW. Ces capacités sont essentiellement le fait de 5 pays : le Royaume-Uni, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique et le Danemark.
Dans le détail, c’est le Royaume-Uni qui est aujourd’hui le leader européen en matière d’éolien en mer. En 2021, les UK disposaient de 11 GW de capacité installée, soit 42% du total européen, avec quelques 2294 éoliennes installées principalement au large de l’Écosse. D’ailleurs, le 17 janvier 2022, les autorités britanniques ont encore alloué 17 projets d’éolien en mer pour une capacité de 25GW. Dans ses objectifs, le Royaume-Uni ambitionne ainsi d’atteindre 40GW de capacité installée dès 2030, soit 20 ans avant la France.
Deuxième pays européen moteur en matière d’éolien en mer, l’Allemagne possède actuellement 7,7 GW de capacité installée, soit 1501 éoliennes réparties sur 27 parcs. Cela représente 31% du total européen actuel. Nos voisins germanique continuent évidemment de miser sur cette technologie et prévoient d’atteindre 30 GW en 2030 (soit trois fois plus que la France à la même date) et 70GW en 2045.
Ailleurs en Europe, on compte 2,7 GW de capacité installée aux Pays-Bas, soit 10% du total européen, avec un objectif fixé à 22 GW en 2030 (soit presque trois fois plus que la France à la même date). La Belgique compte également 2,2 GW (9% du total européen) et le Danemark, 1,7 GW, soit 7% du total européen.
À noter que l’Espagne et l’Italie font état de perspectives modestes sur le sujet : à horizon 2030, on devrait être entre 1GW et 3GW en Espagne contre 0,9GW en Italie. Cependant, le potentiel de l’éolien en mer en Méditerranée et Adriatique est plus modeste.
Une énergie de plus en plus compétitive
Ailleurs dans le monde, les progrès en matière d’éolien en mer ne cessent de se démontrer. En 2021, par exemple, la Chine a installé à elle seule 16,9 GW de capacité d’éolien offshore. Le 25 décembre 2021, elle a notamment raccordé à son réseau électrique trois parcs d’éoliennes en mer, dont le parc de Yangjiang Shapa, d’une puissance de 1,7 GW. Ce qui représente la capacité d’un EPR (1,65 GW).
Par ailleurs, l’éolien en mer posé ou flottant bénéficie d’un cadre beaucoup plus intéressant au fur et à mesure que les technologies gagnent en maturité et des parcs à grande échelle voient le jour. Les premiers appels d’offres pour les parcs éoliens offshore au Royaume-Uni, en Allemagne et aux Pays-Bas étaient attribués à environ 160€ le MW/h contre 44€ le MW/h pour le parc offshore de Dunkerque attribué en 2019 en France. Et d’après l’association WindEurope, cette tendance devrait s’accentuer sur l’éolien en mer posé (-44% en 2030 et -57% en 2050) mais aussi l’éolien flottant (-65% en 2030 et -78% en 2050).
De fait, la France – qui bénéficie du second gisement européen en matière de vent et de la seconde puissance maritime mondiale en surface – possède tous les atouts pour développer à plus grande échelle l’éolien en mer, notamment des infrastructures portuaires capables d’industrialiser cette production. D’ici 2022, la France comptera ainsi 4 usines pour la fabrication des éoliennes en mer, soit un tiers des usines européennes.
Tous les ingrédients sont donc sur la table pour une politique plus ambitieuse sur ce secteur. D’autant plus qu’en matière d’énergies renouvelables, la France est à la traîne en Europe. D’après la Commission Européenne, nous sommes d’ailleurs le seul pays des 27 à ne pas avoir atteint, en 2020, les objectifs que nous nous étions fixés sur le sujet (19,3% d’énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie contre un objectif de 23%).
Évidemment, le nucléaire est une énergie qui, en dépit de ses défauts, nous permet de disposer d’une électricité bas-carbone, et c’est tant mieux. Néanmoins, nous soulignons ici le fait que l’électricité nucléaire est bien plus vulnérable aux aléas climatiques que l’éolien et le solaire photovoltaïque. Alors que le Giec ne cesse de nous alerter sur le fait que les épisodes climatiques extrêmes vont augmenter en fréquence et en intensité dans les années à venir, nous serions bien avisés de prendre en considération ce facteur avant de nous lancer dans une politique qui engage le pays sur les 50 prochaines années.