La France a inauguré en septembre son premier parc éolien en mer, au large des côtes de Saint-Nazaire et du Croisic. D’une puissance de 480 MW et composé de 80 éoliennes, il est le premier d’une série de plusieurs projets qui verront le jour entre 2023 et 2030. Trois sont actuellement en travaux, trois autres sont déjà attribués et quatre sont en attente de mise en concurrence.

Les objectifs de la PPE (Programmation pluriannuelle de l’énergie) sur l’éolien offshore se situent entre 5 et 6 GW de puissance installée pour 2028. De son côté le gestionnaire de réseaux RTE table sur une forte accélération de cette nouvelle source d’énergie avec des projections comprises entre 22 GW et 60 GW installés en 2050 dans son rapport « Futurs énergétiques 2050 ». C’est pourquoi, afin de rattraper l’important retard accumulé sur ses voisins européens et atterrir au plus proches de ces objectifs, la France accélère nettement ces derniers mois sur les installations.

Car il faut l’admettre, ces parcs éoliens offshore ont été confrontés depuis une décennie à une farouche résistance des populations locales. Si l’on met de côté l’argument trop subjectif du paysage qui serait gâché – chacun se fera une idée -, une des raisons à l’opposition à ces parcs est celle du possible impact négatif sur les écosystèmes environnants : la dégradation de la biodiversité sous-marine locale et les risques de collision avec les oiseaux.

Il est primordial que les impacts soient étudiés en amont et suivis en aval des projets. Ailleurs en Europe, on installe des parcs en mer depuis les années 1990 et 2000. Il existe donc un vrai recul sur le sujet avec les exemples danois, belges ou hollandais. Rappelons qu’avoir une vision globale des impacts de l’éolien en mer sur la biodiversité est compliqué à mesurer car les écosystèmes sont différents et peuplés d’espèces locales. Cependant, il semblerait que les résultats des études d’impact menées ou en cours sur ces parcs attestent scientifiquement d’effets plutôt bénéfiques pour la biodiversité, une fois les parcs éoliens installés et mis en service.

effet récif éolienne en mer
Effet récif éolienne en mer du Nord- Photos de R. Krone – crédits Aurore Raoux


L’effet récif et l’effet réserve

Il a été étudié à de nombreuses reprises qu’une structure immergée en mer attirait un certain nombre d’espèces comme les moules, les crabes, les crustacés qui viennent s’y fixer. Ainsi que leurs prédateurs naturels par la suite. C’est ce qu’on appelle “l’effet récif ». Avec les fondations des éoliennes, on crée artificiellement des conditions ressemblant aux habitats naturels de cette faune. Ces conditions sont propices au développement de la vie sous-marine, il est même couramment admis que ces nouveaux habitats sont plus riches en biodiversité que les fonds meubles sur lesquels ils sont installés.

Si en plus le parc éolien est interdit à la pêche ou si on constate une baisse de l’activité de pêche dans la zone du parc, ce qui n’est pas toujours le cas, la gestion de la pêche étant très variable d’un parc à l’autre, on obtient ce qu’on appelle « l’effet réserve ». Qui est parfois même qualifié d’effet refuge : un meilleur renouvellement des stocks et un phénomène de débordement en bordure du parc, amenant à une plus grande disponibilité de nourriture à proximité des éoliennes. 

Les impacts sur l’avifaune sont aussi à surveiller et à mesurer. Les risques de collision et « l’effet barrière » si les éoliennes font office d’obstacles lors de la migration des oiseaux et les obligent à rallonger leur vol pour éviter le parc. Une grande enquête, la Bird Collision Avoidance Study, a été menée au UK à ce sujet sur le parc de Thanet. Il est ressorti des 600 000 vidéos étudiées que les oiseaux adoptaient un comportement d’évitement ou changent de cap en plein vol pour contourner les éoliennes.

Si on s’intéresse de plus près à ce que disent les études menées sur des parcs en fonctionnement, elles vont globalement dans le même sens.


Des impacts bénéfiques sur la biodiversité ?

En Belgique, 9 parcs offshore sont en fonctionnement pour 399 éoliennes. Le premier a été installé en 2008. L’Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique coordonne depuis 2008 le suivi des effets environnementaux au travers du programme de surveillance WinMon.BE. Les conclusions les plus récentes sont parues lors du rapport 2021 sorti en mars 2022. Globalement, la zone observée abrite des communautés biologiques très diverses. Après la colonisation de la proximité immédiate des éoliennes lors des premières années, les effets positifs observés localement sur les pieux s’étendent aux sédiments mous situés entre les éoliennes. Des récifs artificiels se créent entre les éoliennes et un plus grand nombre d’espèces, de poissons et de biodiversité en générale est constaté au cœur des parcs. 

Ce suivi fait état d’un réel dynamisme de vie sous-marine qui se poursuit dans le temps, en suivant des phases de développement tout à fait satisfaisantes. Notons que le choix de la Belgique a été d’interdire la pêche au cœur des parcs, ce qui a pour conséquence directe d’accélérer et d’intensifier les processus.

Côté avifaune, le déplacement des oiseaux marins causé par les parcs éoliens en mer s’est avéré être un processus complexe note l’Institut, mais la plupart des espèces semblent à présent éviter le parc alors qu’elles avaient été aperçues proches lors des précédents relevés. Pour les flux d’oiseaux chanteurs migrateurs à hauteur des rotors, les risques de collision existent, mais surtout la nuit ou lors de conditions météorologiques dégradées, sans que cela soit significatif note le rapport.

Parc éolien offshore de Belwind en Belgique - Crédits Hans Hillewaert
Parc éolien offshore de Belwind en Belgique – Crédits Hans Hillewaert


Du côté des Pays Bas, des études d’impact et de suivi ont été menées sur le parc éolien Egmond aan Zee, premier grand parc éolien construit dans la mer du Nord en 2007, et composé de 36 éoliennes. Cette étude bénéficie d’un recul de plusieurs années. Et les conclusions sont similaires : une augmentation et une diversité de la biodiversité installée au pied des turbines marines, due à l’introduction des pieux et des pierres. Les fermes constitueraient ainsi “des oasis de calme dans des zones côtières très fréquentées” d’après l’un des scientifiques de l’Institut pour les Ressources Marines de l’université de Wageningen.

Côté avifaune, l’étude montre que les oiseaux volant largement au-dessus du parc éolien ne montrent pas de réaction. A plus faible hauteur les réactions sont diverses selon les groupes concernés : certains montrent des réactions d’évitement, d’aversion, et ceux n’ayant pas vraiment de réaction d’évitement ont été régulièrement observés se nourrissant au sein du parc éolien.


Une amélioration continue à partir des études

Très logiquement il n’existe pas en France d’études sur des parcs en fonctionnement. Pour autant, en prévision du parc de Fécamp, un mât de mesures a été installé en 2015. Des plongées effectuées en 2019 et 2021 attestent de l’effet récif : le mât a été colonisé par de nombreuses espèces, et un nouvel habitat pour la vie sous-marine a été créé. Des données et échantillons très intéressants sur la biodiversité ont aussi été recueillis.

La Plateforme Océan et Climat (alliance de 90 ONG et instituts de recherche, dont le CNRS et BOREA) a conduit le projet Trophik sur le parc éolien au large de Courseulles-sur-Mer. D’après les conclusions publiés dans billet de blog chez nos confrères du Monde, il apparaît que “la présence des éoliennes a un effet local, lié principalement à l’effet récif, qui se traduit par l’apparition d’un nouvel écosystème, caractéristique des substrats rocheux, au milieu d’un écosystème de substrat meuble […] le changement de fonctionnement prédit par la modélisation n’est pas une dégradation mais un simple changement d’état, plutôt bénéfique à la diversité”.

Par ailleurs, l’IFREMER et France Energies Marines mènent également un travail de surveillance sur les impacts des éoliennes marines sur la biodiversité, et poursuivent la documentation scientifique sur ces sujets. La documentation et le suivi depuis plus de 10 ans de l’ensemble des parcs européens en conditions réelles est une source d’informations qui permet de mesurer et de travailler en continu sur des mesures d’atténuations des impacts pour le futur. Car attention tout de même, l’installation d’un parc en mer a nécessairement un impact sur les écosystèmes.

Parc éolien Princess Amalia au Pays Bas
Parc éolien Princess Amalia au Pays Bas – Crédits Mtcv creative commons


Les écosystèmes marins perturbés à l’installation

Par exemple des effets permanents par le biais du remaniement des fonds marins et des sédiments déplacés lors de l’installation du parc. Et des effets plus temporaires provenant notamment du bruit généré lors de l’enfouissement des pieux par battage ou forage. Le bruit est important mais ponctuel, et peut entraîner des perturbations de comportements des espèces locales et de communication entre elles.

Il a été constaté en Belgique que la présence de marsouins diminuait de 75% au moment de l’installation, avec un impact également sur les populations de tortues marines. La faune aura donc tendance à fuir la zone de chantier, ce qui provoquera une perte temporaire d’habitat. Il a également été montré que ces populations revenaient sur les lieux une fois les travaux achevés. Il est néanmoins possible d’installer provisoirement des rideaux de bulles permettant d’atténuer les nuisances.

Ces perturbations acoustiques concernent l’éolien posé en fondation monopieu. Il existe d’autres techniques d’éolien posé, moins perturbantes pour les écosystèmes lors de l’installation. C’est le cas de la fondation Jacket utilisée par exemple à Saint Brieuc, ou la fondation gravitaire utilisée à Fécamp. Par ailleurs, il existe aussi la technique de l’éolien flottant amenée à se développer dans le futur, mais qui en est encore au stade de projets pilotes.  Le type de fondation est arbitré parc par parc, selon de nombreux critères (fond marin, profondeur, courant…).


Un potentiel à exploiter

En phase d’exploitation, outre les risques évoqués des pales sur l’avifaune, des nuisances pourraient persister. Concernant les nuisances sonores, les études ont rapporté que le bruit sous-marin d’un parc éolien en fonctionnement est considéré comme similaire aux bruits d’origine anthropique habituels comme celui du trafic maritime. Mais il est considéré comme bien moins impactant sur les espèces qu’en phase travaux, même s’il demeure mal connu. Par ailleurs, il est apparu que les câbles sous-marins et leur champ magnétique n’ont pas d’impact sur les écosystèmes.

Il est donc bien entendu nécessaire d’étudier les zones d’installations de ces parcs en amont, exclure de fait les zones protégées, et éviter au mieux les couloirs de migration des oiseaux. Une fois installés, les parcs doivent par ailleurs faire l’objet d’une surveillance continue des écosystèmes

Quant à la question du pour ou contre les parcs éoliens en mer, il est primordial de prendre du recul. Il faut essayer de penser en même temps global et local, et d’arriver à mettre en perspective ce que peut apporter l’éolien en mer dans notre mix énergétique au regard des impacts relatifs constatés à court terme sur certains écosystèmes.

Avec une situation géographique privilégiée, la France possède le deuxième plus important potentiel de développement de l’énergie éolienne en mer en Europe. C’est aussi une opportunité industrielle à saisir avec des retombées socio-économiques conséquentes pour les territoires.

https://www.debatpublic.fr/sites/default/files/2021-09/2021-09_Eolien_mer_Sud_Atlantique_DMO_Fiche16-01.pdf
https://www.eoliennesenmer.fr/
https://odnature.naturalsciences.be/downloads/mumm/windfarms/winmon_report_2021_final.pdf
https://www.lemonde.fr/blog/oceanclimat/2020/04/20/eoliennes-en-mer-quel-impact-sur-lecosysteme/
https://www.naturalsciences.be/fr/news/item/21635



Photo illustration : Dugornay Olivier (2011). Parc d’éoliennes offshore (série 2/5). Ifremer.