Grâce à sa technologie 3D et à l’intelligence artificielle, la startup Kikleo récolte des données précises sur le gaspillage alimentaire dans les restaurants collectifs et commerciaux, ce qui permet ensuite de mettre en place des mesures ciblées pour réduire ce gaspillage. S’il était un pays, le gaspillage serait le 3ème plus gros émetteur de gaz à effet de serre, et ce type de technologie pourrait permettre d’améliorer nos pratiques sur le sujet. Nous avons échangé avec les deux fondateurs de la jeune pousse, Vincent Garcia et Martin d’Agay, pour en savoir davantage.
Les Horizons : Pouvez-vous nous parler de la genèse de votre entreprise ?
Vincent Garcia : Martin et moi, nous nous sommes rencontrés en école d’ingénieur, à l’INSA Lyon. C’est en 5ème année que nous nous sommes posés la question de la création d’une entreprise. Nous voulions nous investir dans quelque chose d’utile socialement, ou en lien avec les enjeux environnementaux.
En passant du temps au restaurant universitaire et au Crous, on voyait parfois revenir des plateaux presque pleins et ça nous a alertés sur le gaspillage alimentaire. Après avoir discuté avec des chefs cuisiniers, on s’est rendu compte qu’ils n’ont pas de moyens pour travailler dessus. Ils n’ont ni le temps, ni les indicateurs adéquats. À côté, nous avions des amis qui travaillaient dans l’Intelligence Artificielle, sur un outil de tri par la reconnaissance d’éléments non organiques à partir d’une photo. Nous avons rapidement fait le lien entre cette technologie et la problématique du gaspillage. Nous avons donc décidé de prendre en photo les plateaux et d’analyser automatiquement le gâchis grâce à l’IA.
Le but c’est de proposer aux restaurants des statistiques et indicateurs sur le gaspillage, le coût et l’impact environnemental notamment. On a développé un premier prototype qui nous permettait de savoir quel aliment a été gaspillé et en quelle quantité. Ensuite, on a été aidé et incubé par l’ESSEC. Notre développement a continué et, aujourd’hui, notre technologie 3D est capable d’identifier environ 80 aliments.
Comment est-ce que cela se traduit pour les restaurants ?
Vincent Garcia : Nous avons développé deux outils distincts. Le premier nous permet d’analyser les plateaux-repas, de faire des audits et des diagnostics réguliers. Le second est placé en cuisine et s’occupe de la surproduction et des pertes qui reviennent là-bas, comme par exemple les entrées et les desserts non-consommés. Ils n’ont pas été touchés mais ils seront jetés tout de même parfoispour des raisons d’hygiène.
Toutes les données sont agrégées sur une même plateforme. On y trouve des histogrammes des aliments gaspillés avec leur équivalent en euros et en émissions de GES. On peut y voir la répartition des féculents, des légumes etc. La plateforme est adaptée aux besoins de chaque client et leur permet de faire des comparaisons, d’un mois voire d’une année sur l’autre. Ces données doivent aider à prendre des décisions facilement, et à comprendre ce qui marche ou non. Grâce à la plateforme et à la précision des données, on comprend beaucoup plus rapidement ce qui pose problème.
Vous pouvez ensuite comparer les données des restaurants ?
Martin d’Agay : Nous allons travailler anonymement, à part si les restaurants nous autorisent à diffuser leurs données. Nous sommes en capacité d’analyser ces données anonymisées et de les partager avec l’ADEME par exemple. Cela peut aider à savoir si le plat unique entraîne moins de gaspillage que lorsqu’il y a plusieurs choix par exemple.
Aujourd’hui 1 personne sur 9 souffre de malnutrition dans le monde […] si on réduisait le gaspillage alimentaire de 25%, on pourrait subvenir aux besoins de ces personnes
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Vous faites de la sensibilisation ?
Martin d’Agay : L’avantage de notre solution, c’est la précision. Notre solution permet d’identifier les aliments « problématiques » par établissement. Ensuite, nous voulons sensibiliser les convives. Nous pouvons mettre en place une sensibilisation personnalisée par rapport au restaurant. Les utilisateurs peuvent savoir ce qui a été gaspillé là où ils mangent, mais aussi l’équivalent en eau et en émissions de GES. Cela peut les inciter à participer à la réduction de ce gaspillage. Comme l’analyse va être précise, on pourra avoir des solutions et recommandations précises aussi.
Vincent Garcia : C’est important de parler de l’impact social et environnemental du gaspillage alimentaire. Aujourd’hui 1 personne sur 9 souffre de malnutrition dans le monde. D’après les chiffres de l’ADEME et de la FAO, si on réduisait le gaspillage alimentaire de 25%, on pourrait subvenir aux besoins de ces personnes. C’est un chiffre symbolique puisque tout ne serait pas redistribué aux personnes en malnutrition, mais cela nous rappelle que ce gaspillage est absurde et que c’est important de travailler là-dessus. C’est le combat de tout le monde.
Avez-vous une idée d’à quel point votre solution permet de réduire les pertes financières des restaurants ?
Vincent Garcia : D’après l’ADEME, la perte sur un repas moyen est de 0,68€. Pour un restaurant de 500 convives, ça représente une perte de 85 000€ par an. L’association La Défense des Aliments a fait une étude sur le sujet dans le quartier de La Défense à Paris et le chiffre va parfois au-delà de 100 000€ de pertes par restaurant. Ce sont des sommes très importantes. En faisant économiser 10, 20 ou 30%, nous pouvons largement réduire les pertes économiques et avoir un retour sur investissement. C’est un moteur pour certains établissements. Même si l’enjeu principal reste de réduire les émissions de GES et tout l’impact du gaspillage alimentaire.
Comment vous financez-vous actuellement ?
Vincent Garcia : Avec le Covid, nous avons eu des difficultés, puisque nos clients étaient fermés. C’était compliqué parce que, pour que cette technologie soit plus efficace, nous devions la tester continuellement. Dans cette période, la Bpi, l’ADEME et l’ESSEC nous ont financés et, depuis septembre, tout va beaucoup mieux. À terme, l’idée est de valider une plus grosse levée de fonds, sûrement autour d’1M€ pour pouvoir agir à plus grande échelle et développer notre équipe. Nous avons pour objectif de développer le côté commercial, la R&D et de trouver de nouveaux partenaires
Nous voyons quand même qu’il y a un changement de conscience et que les entreprises agissent sur ce sujet
Qui sont vos clients ?
Martin d’Agay : Pour notre outil qui analyse les plateaux, c’est principalement de la restauration collective : hôpitaux, armées, restaurants scolaires. Pour l’outil en cuisine, on touche la restauration collective, hôtelière et les chaînes restaurants commerciaux, comme Flunch ou Buffalo. Nos clients ont surtout des cantines et restaurants assez importants. Nos clients historiques sont dans le milieu universitaire. Le Crous de Lyon nous accompagne depuis le début, avant même la création de l’entreprise.
Pour l’instant, nous avons signé avec une vingtaine de restaurants. Nous sommes basés à Paris et nous travaillons surtout en Île-de-France et en région Auvergne-Rhônes-Alpes, mais à terme, le but est d’être présent partout en France et de proposer notre solution au plus grand nombre. Nous sommes une équipe de cinq collaborateurs, c’est encore une petite structure mais nous allons commencer à recruter dès l’année prochaine, en fonction de la croissance de l’entreprise.
En quoi la législation actuelle vous aide concrètement ?
Martin d’Agay : Aujourd’hui, il y a plusieurs lois, comme la loi EGAlim, ou le Pacte National qui demande à ce qu’il y ait des analyses et diagnostics sur le gaspillage alimentaire, mais il n’y a pas réellement de sanctions. Dans la logique, on peut penser que ce sera le cas dans le futur. Nous voyons quand même qu’il y a un changement de conscience et que les entreprises agissent sur ce sujet. Il y a déjà des startups bien médiatisées qui donnent la marche à suivre comme TooGoodToGo ou Phénix.
D’ailleurs, nous sommes très bien reçus par les collectivités et départements. Il y a des objectifs, des demandes et des préconisations d’audits. Ça va plutôt dans le bon sens. Après, il faut que tout le monde joue le jeu si nous voulons réduire drastiquement le gaspillage de l’ensemble de la restauration.
Quelle est la suite pour votre entreprise ?
Vincent Garcia : D’abord, nous voulons développer nos outils. Le marché est très important en France et en Europe. L’idée de Kikleo c’est d’être une entreprise qui crée des solutions aux problèmes sociaux et environnementaux. Nous avons d’autres technologies et outils en tête. Nous réfléchissons toujours à de nouvelles technologies, pour les entreprises et les particuliers.