Kalina Raskin est docteure en biologie et Directrice Générale du CEEBIOS depuis 2017, un organisme dont le rôle est d’accompagner au développement du biomimétisme en France. Elle interviendra vendredi 31 janvier lors de la Maddykeynote sur le thème de la nature et de la construction. Nous l’avons interrogé sur le développement du biomimétisme en France et notamment sur le rapport entre biomimétisme et urbanisme dans le cadre de la Transition Écologique.



Les Horizons : Quelles sont aujourd’hui les références françaises en matière de biomimétisme ?

Kalina Raskin : C’est assez large en fonction des secteurs d’activité. On connaît beaucoup le biomimétisme sous l’angle d’innovations comme le Velcro, mais c’est un sujet qui se développe davantage chaque année. Dans les exemples de pépites françaises on trouve par exemple M2i Life qui développe des systèmes de lutte contre les ravageurs des cultures par voie bio-inspirée, en se basant sur les phéromones naturellement produites par les ravageurs. Il y a aussi l’hydrolienne de la start up EEL Energy. c’est une hydrolienne ondulante inspirée des comportements des organismes marins.


Quels sont les exemples en matière d’architecture ?

On retrouve de plus en plus d’acteurs dans ce domaine. On peut citer l’agence In Situ par exemple, avec des inspirations sur la ventilation termitière mais aussi sur la structuration des bâtiments ou encore la lumière. On peut citer aussi les façades à microalgues de l’agence X-TU, qui permettent de mieux réguler la température.


Le biomimétisme est l’une des clés pour le développement des villes durables ?

L’architecture, c’est un domaine sur lequel nous travaillons beaucoup avec le CEEBIOS. Nous avons un collectif d’acteurs qui s’est constitué sur ce sujet, avec des promoteurs immobiliers, des constructeurs, des architectes. Ensemble, on a la volonté de pousser le plus loin possible une démarche vertueuse et régénérative des projets urbains.

bâtiment façade biomimétisme
Exemple de biomimétisme appliqué au bâtiment : des façades dotées de microalgues qui permettent de réaliser des économies d’énergie.


Quels sont les enjeux de cette démarche ?

Notre ambition est de prendre les écosystèmes naturels et les systèmes vivants comme modèles pour repenser à la fois les enjeux techniques du bâtiment, mais aussi, à plus grande échelle, de repenser les projets urbains de demain. Comment faire en sorte que la ville, elle-même, puisse rendre les mêmes services à la nature que les écosystèmes vivants qu’elle a remplacé ? C’est à dire, comment faire pour que la ville de demain purifie l’air, purifie l’eau, soit construite à partir d’éléments locaux, soit accueillante vis à vis de la biodiversité… plein de choses qui paraissent du bon sens, en fait.

On commence voir des briques élémentaires émerger là-dessus, et bien sûr, on arrive en convergence avec toute une série d’autres actions menées en faveur de l’écoconception dans le bâtiment, par exemple. Mais ce qui est intéressant c’est que le biomimétisme apporte un cahier des charges assez global et finalement il donne une référence : le vivant. C’est cette vision là du biomimétisme que nous poussons : le vivant comme référence.

le biomimétisme apporte un cahier des charges assez global et finalement il donne une référence : le vivant


À quelle échéance on peut imaginer avoir des résultats probants ?

On commence à voir émerger des choses intéressantes. Récemment, la ville de Biarritz à mis en place un appel à projets pour la création d’un pôle dédié au biomimétisme marin. La volonté de la ville a été de lancer un concours architectural régénératif en prenant le cahier des charges du vivant comme cahier des charges de départ. Il y a des projets absolument remarquables qui ont été sélectionné. Cela va donner des bâtiments de très haute qualité environnementale en prenant ce cahier des charges du vivant.

Après, les démarches bio-inspirées ou de biomimétisme dans le secteur de la construction, cela va se décliner progressivement sur des sujets très techniques, comme de nouveaux processus de construction, de nouveaux processus de gestion de la lumière. Chaque architecte, bureau d’étude, fournisseur et centre de compétences dans le domaine du bâtiment va progressivement apporter des briques élémentaires sur ces notions. L’objectif du collectif qu’on a crée, c’est ensuite de faire la synthèse de ces briques élémentaires et de comprendre où sont les freins, qu’ils soient techniques ou politiques.


Quelles sont les clés pour accélérer dans ce domaine ?

L’objectif du collectif d’acteurs que nous avons mis en place, c’est justement de construire ensemble ce qu’il va falloir mettre en place comme mesures pour faire apparaître le biomimétisme comme critère dans les cahier des charges. Il faut des programmes de recherche, des centres techniques, que d’autres collectivités territoriales explorent ce domaine.

Le biomimétisme, c’est à la fois un outil de transition écologique, de réflexion alternative sur l’industrie et un argument en faveur de la conservation de la biodiversité. Après, il y a 200 équipes de recherche en France sur le biomimétisme, donc on ne part pas de rien. Mais pour aller plus loin, je crois qu’il faut d’abord regarder comment créer un enthousiasme politique sur ces sujets. Ensuite, il y a le sujet de la formation. Comment est-ce qu’on forme les futurs architectes et les futurs ingénieurs au biomimétisme ?

eastgate building
Inspiré des termitières, l’Eastgate Building est un exemple mondialement connu de biomimétisme.


Quels sont les freins au développement du biomimétisme ?

Un des freins aujourd’hui, c’est qu’on ne forme absolument pas les concepteurs au biomimétisme. Et au-delà, il y a la problématique du transfert de connaissance de la biologie vers les autres disciplines. Et donc la question de la collaboration de différents métiers avec les biologistes.

Il y a aussi des méthodologies de conception à repenser. C’est à dire qu’aujourd’hui, la diversité des connaissances dont on a besoin implique d’avoir des protocoles de conception et d’innovation nouveaux sur lesquels travailler. Ça suppose aussi de se doter d’outils qui permettent de faciliter l’accès à la donnée biologique, qui est aujourd’hui extrêmement dispersée.

Avec le CEEBIOS, on s’appuie beaucoup sur le Museum d’Histoire Naturelle, à Paris, qui est l’une des trois plus grandes entités mondiales sur la connaissance de la biodiversité. Le fait est qu’il n’y a pas assez de données sur les espèces qui sont exploitables par d’autres domaines disciplinaires. On peut retrouver facilement des publications rédigées par des biologistes pour des biologistes. Mais il faut créer une réinterpretation de ces données biologiques pour les autres acteurs.

Enfin, je pense qu’il faut aussi que l’État s’engage davantage sur ces sujets. Il le fait aujourd’hui par le biais du Ministère de la Transition Écologique et par l’ADEME, mais il faudrait que l’ensemble des moteurs de l’état se saisisse du sujet. La France est dotée d’un patrimoine remarquable qui contient 10% de la biodiversité mondiale. Il faudrait que le biomimétisme soit étudié dans les différents ministères, comme celui de l’industrie ou de la Recherche.

Comment faire en sorte que la ville puisse rendre les mêmes services à la nature que les écosystèmes vivants qu’elle a remplacé ?


Cela implique aussi des synergies avec d’autres domaines ?

Oui, on est évidemment amené à regarder les nouvelles pratiques qui se développent comme l’agroécologie, mais on considère que c’est un sujet sur lequel il y a un réseau d’acteurs qui est déjà assez bien structuré. Ce sur quoi on s’oriente, ce sont les matériaux, la construction, l’énergie ou encore la transmission du signal.

La gestion de l’information, c’est important car le vivant à tout misé sur l’information. On est tous bourré de capteurs qui fonctionnent avec des supports organiques, avec des systèmes extrêmement sobres, et on veut travailler sur ces sujets là, afin de pousser, par exemple, vers la sobriété numérique.

Comment les entreprises s’emparent du sujet ?

Les entreprises sont très intéressées par le biomimétisme. Avec le CEEBIOS, on accompagne une quarantaine de grands groupes industriels, dont une trentaine de groupes français qui cherchent à s’approprier le biomimétisme.

L’Oréal, par exemple, a une cellule en interne sur ces sujets. RTE s’engage également sur cette voie, notamment pour le développement de l’éolien offshore. Renault a fait tout un travail de recherche pour penser le véhicule décarboné de demain en s’inspirant des humains, en particulier de la gestion énergétique des sportifs pour optimiser la consommation des véhicules. Suez environnement a lancé des travaux sur les zones humides artificielles afin d’améliorer l’efficacité de ses stations d’épurations, pour séquestrer des polluants supplémentaires.

Propos recueillis par Guillaume Joly.