La population mondiale dépasse actuellement les 7,8 milliards d’êtres humains, et devrait atteindre les 9,7 milliards en 2050 selon l’ONU. Or, si la pression démographique s’accroît, ce n’est pas le cas de la surface des terres arables, d’autant que près de 80% de la population mondiale vit actuellement dans des régions urbaines et que l’étalement urbain devrait continuer à croître.
En parallèle, la demande alimentaire va donc s’intensifier dans les années à venir avec, en corollaire, les questions liées à la souveraineté de notre production ainsi que celles relatives aux enjeux climatiques, en particulier la gestion de l’eau. Le monde agricole est donc en recherche d’alternatives pour accroître sa résilience au climat tout en réduisant ses émissions de gaz à effet de serre, qui représentent aujourd’hui 19% des émissions totales de la France. Et parmi ces alternatives, on retrouve l’éclosion d’une tendance : l’indoor farming.
Un levier pour développer l’agriculture urbaine
En matière d’agriculture, ces dernières années ont été propices au renouveau de l’agriculture urbaine, qui trouve sa source dans diverses approches : développement de ceintures vertes en périphérie des villes ; jardins publics aggrémentés de potagers ; jardins partagés ou encore cultures sur toit ou dans des caves et parkings. l’indoor farming, des fermes verticales en intérieur, viennent compléter ce panel de dispositifs.
Ces dernières correspondent à un concept théorisé dans les années 1990 par le microbiologiste américain Dickson Despommier, auteur du livre « Fermes verticales : nourrir le monde au 21ème siècle ». Il y présente ainsi une forme d’agriculture qui consiste à faire pousser des plantes sur divers étages superposés. Cette méthode horticole a pour objet la maximisation de l’utilisation de l’espace en élevant les plantes à la verticale, ce qui permet de cultiver davantage de plantes dans un espace réduit. Actuellement, elles servent surtout pour la culture de laitue, de fraises, ou encore d’herbes aromatiques comme la basilic et la ciboulette.
Pour y parvenir, les fermes verticales ont pour contrainte de reproduire artificiellement les conditions naturelles nécessaires au développement le plus optimal possible des plantes. Les plantes ainsi cultivées peuvent bénéficier de diverses techniques telles que l’hydroponie, système dans lequel la terre est remplacée par un substrat d’argile et nourrie avec une solution qui optimise l’accès à l’oxygène, à l’eau et au nutriment. L’aéroponie est également un système utilisé. Il s’agit d’une technique de pulvérisation des nutriments nécessaires sur les racines des plantes.
Au sein de ces dispositifs, rien n’est laissé au hasard : tout est conçu pour que les plantes puissent bénéficier de conditions optimales pour favoriser leur croissance : lumière artificielle, contrôle de la température, de l’humidité et autres paramètres sont soigneusement gérés. Ce soin permanent apporté aux cultures permet aux fermes verticales d’afficher un rendement qui, selon la filière, peut dépasser jusqu’à 100 fois celui de l’agriculture traditionnelle, pour une consommation d’eau 10 fois moindre.
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Un secteur qui attire les investisseurs et distributeurs
Parce qu’elles sont urbaines et hyper-technologiques, les fermes verticales apparaissent d’ores et déjà comme très attrayantes aux yeux des investisseurs. En 2020, plus de 520 millions de dollars ont été investis dans ce secteur contre 85 millions en 2015. Un financement qui permet à la filière de se développer rapidement et d’entamer un passage à l’échelle pour quelques startups pionnières, à l’image de l’américain AeroFarms.
Si les premières initiatives ont vu le jour en Asie en 2010, dans des territoires dotés d’une forte concentration urbaine et dépendants des importations de denrées alimentaires tels que Singapour ou le Japon, en France les startups dédiées aux fermes verticales émergent de plus en plus. Parmi elles, on peut citer quelques pionniers dont Agricool, Urbanfarm, GreenHouseKeeper ou encore Jungle. Cette dernière a par exemple pour caractéristique d’être la plus grande ferme verticale de France, avec des produits commercialisés dans une soixantaine de magasins, dont Monoprix et Intermarché. En 2020, la startup a bénéficié de 42 millions d’euros d’investissements, qui l’ont aidée à développer son site de Château-Thierry : une ferme verticale de près de 50 000 plantes implantée dans une ancienne usine William Saurin.
Ailleurs en Europe, d’autres acteurs sont également très en avance sur ce sujet. L’entreprise danoise Nordic Harvest a récemment inaugurée à Copenhague une ferme qui devrait s’étendre au total sur 7 000 m² et à une hauteur de 14 étages, dont l’objectif sera de produire 1 000 tonnes de salade et herbes aromatiques chaque année. Récemment, c’est la startup Allemande InFarm qui a levé 200M$ pour accroître son développement. Elle prévoit ainsi de se développer à l’international, en Europe, mais aussi aux États-Unis ou encore au Qatar, où l’entreprise espère ouvrir son premier centre de culture en 2023. L’une des caractéristiques de cette entreprise est d’équiper directement certaines grandes surfaces de fermes verticales modulaires. Marks&Spencer, Metro, Casino et Intermarché, entre autres, font partie de ses clients.
Et si les distributeurs et les investisseurs s’intéressent de très près à cette pratique, c’est aussi parce qu’elle présente des avantages indéniables en matière de rendement, mais également sur le plan écologique.
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Une agriculture high-tech, sans pesticides et économe en eau
Les fermes verticales peuvent en effet se valoriser de détenir de multiples avantages, tels que la réduction de la consommation d’eau, estimée à environ 95% par rapport à l’agriculture traditionnelle, grâce au recours à l’aéroponie et à l’hydroponie. De plus, dans la mesure où les plantes ne sont pas en contact avec les insectes nuisibles, aucun pesticide n’est nécessaire, ce qui est assez proche du cahier des charges de l’agriculture biologique qui, cependant, ne s’applique pas aux cultures hors-sol.
En outre, l’optimisation de l’espace grâce à la verticalité permet multiplier les vertus : d’une part, elle favorise la réhabilitation de certaines zones urbaines comme certaines friches industrielles et permettent aussi de densifier la ville en créant des micro-fermes dans des espaces comme les parkings où les supermarchés. Aucune construction nouvelle n’est donc nécessaire, ce qui limite fortement l’étalement urbain et la consommation de ressources naturelles.
D’autre part, l’optimisation de l’espace limite les besoins en transports des aliments du producteur au consommateur, et réduit de fait drastiquement les émissions de CO2 qui découlent de la production. Enfin, les fermes verticales permettent de produire toute l’année et limitent les risques de perte liés aux aléas naturels. À l’avenir, elles sont donc susceptibles d’être utilisées afin de libérer des terres arables pour d’autres types de cultures, et pour répondre à la pression alimentaire mondiale grandissante.
Une alternative encore coûteuse et complexe
En revanche, comme toute solution, celle des fermes verticales n’est pas dénuée d’inconvénients et de freins à lever. On reproche ainsi à ces méthodes d’indoor farming d’être très énergivores, puisqu’elles nécessitent un éclairage artificiel à base de LEDs afin de diffuser la lumière optimale au développement des plantes. Un sujet qui va donc de pair avec le développement d’une électricité renouvelable ou bas-carbone.
Par ailleurs, le recours à ces fermes ne permet pas de résoudre toutes les problématiques liées à la production alimentaire et à la pression toujours plus forte liée à l’accroissement démographique. Notamment car elles ne sont pas adaptées à toutes les productions. Ainsi, ces fermes n’ont pas pour vocation de remplacer l’agriculture traditionnelle, mais plutôt de se positionner de manière complémentaire.
Parmi les autres freins, le coût de cette technologie est lui aussi très élevé et sa mise en place assez complexe. Pour le moment, le secteur est très largement subventionné par des fonds d’investissements mais aucune garantie sur la viabilité économique de ces startups n’en ressort encore. Cette semaine, on apprend d’ailleurs que Agricool, qui avait levé 35M€ depuis 2015 pour développer son modèle de ferme urbaine vient d’être placée en redressement judiciaire, faute d’avoir réussi à équilibrer ses comptes. En 2020, elle n’avait fait que 162 000€ de chiffre d’affaires pour près de 7M€ de pertes, selon le journal Les Échos.
Néanmoins, ces fermes high-tech représentent bien un levier pour le développement de l’agriculture de demain, dans la lignée de ce que proposent aussi d’autres acteurs comme les producteurs de protéines à base d’insectes.