Marc Lafosse est océanographe de formation, président directeur général de la société d’ingénierie Energie de la Lune, Président de Bluesign, organisateur de Seanergy, forum international dédié aux énergies de la mer. Il est également président de la commission Energies Marines Renouvelables, du Syndicat des Energies Renouvelables.



Les Horizons : Marc Lafosse, on parle de plus en plus, dans le débat public, de l’éolien en mer. Où en sommes-nous sur ce sujet en France ?

Marc Lafosse : En effet, dans les différentes énergies de la mer, il y a d’abord l’éolien en mer, qui peut être soit posé soit flottant. C’est un sujet sur lequel la France s’est positionnée, notamment au travers de sa PPE, et qui est à nouveau sur le devant de la scène suite à l’annonce par le Président de la République, à Belfort, il y a quelques semaines, d’un souhait d’atteindre 40GW d’éolien posé et flottant d’ici 2050. Un signal positif pour la filière qui a été renforcé quelques jours plus tard par la signature d’un pacte, signé par le Premier Ministre Jean Castex, à Port-la-Nouvelle, afin d’entériner cette trajectoire pour la filière industrielle.

Aujourd’hui il y a 7 parcs en mer qui ont été attribués au travers de différents appels d’offres. Le premier, au large de Saint-Nazaire, est actuellement en construction et les autres vont suivre.

C’est une dynamique qui permet de structurer une véritable filière industrielle française dans ce domaine. Aujourd’hui, il faut savoir qu’un tiers des usines qui construisent des éoliennes offshore en Europe sont installées en France, et que la filière de l’éolien en mer, ce sont donc des emplois français. Que ce soit pour les sous-stations électriques, pour les nacelles, les pâles, les composants électriques et électroniques, nous avons à Cherbourg, au Havre, à Montoir-de-Bretagne et sur les chantiers de l’Atlantique à Saint-Nazaire, des acteurs qui recrutent sur ces métiers. L’éolien en mer, ce doit être environ 5 000 emplois en France à l’heure actuelle (4 850 emplois en 2020 selon l’observatoire des énergies de la mer, ndlr).


Pourtant, de nombreux pays européens comme le Royaume-Uni, le Danemark, l’Allemagne ou les Pays-Bas sont plus avancés que nous sur l’éolien en mer. Qu’est-ce qui explique ce décalage ?

Il y a eu du retard sur la construction des parcs, mais nous n’étions pas si en retard que cela par rapport aux autres pays européens lorsque les premiers appels d’offres ont été lancés, en 2012. Par contre, derrière, il y a eu beaucoup de recours juridiques qui ont amené du retard sur la construction des parcs. Il y a aussi eu, ces dernières années, des évolutions législatives importantes pour résoudre certains blocages. Par exemple, il y a encore quelques années, vous pouviez remporter un appel d’offres pour un parc éolien en mer, et ensuite, il y avait un débat public qui était organisé. Désormais, le débat public a lieu avant l’attribution.

Il y a aussi eu un choix politique de privilégier les compétences françaises pour la construction de ces parcs, ce qui a amené, au démarrage, des prix qui n’étaient peut-être pas compétitifs. Mais, si on regarde l’évolution des projets lancés en France depuis 2012, on constate que nous sommes désormais les plus compétitifs en Europe grâce à l’installation d’une véritable filière sur le territoire. Le parc éolien en mer au large de Dunkerque, attribué à 44€ le MWh, est le plus compétitif d’Europe en matière de prix.

Un tiers des usines qui construisent des éoliennes offshore en Europe sont installées en France


Outre l’éolien en mer, quelles sont les autres énergies de la mer qui existent aujourd’hui ?

En dehors de l’éolien posé et de l’éolien flottant, qui est une nouvelle technologie, il y a deux voire trois familles technologiques. D’abord, il y a l’hydrolien, qui consiste à capter les courants marins. Le gisement est plus petit que l’éolien offshore, mais en France, il est assez significatif. Nous avons plusieurs zones de courants très forts, dont le courant le plus fort d’Europe, le Raz Blanchard, qui est situé en Normandie, à l’Ouest de la péninsule du Cotentin. Là-bas, il y a deux projets de fermes pilotes qui sont en instruction par l’État.

Il y a aussi une hydrolienne qui a été mise à l’eau à Ouessant, car les sites isolés offrent de vraies perspectives pour cette technologie. Il y a un troisième site intéressant dans le golfe du Morbihan et un quatrième sur l’île de Bréhat, en Bretagne nord. Ces 4 sites représentent un potentiel de 30MW qui pourraient être installés d’ici 2025. 30 MW, cela représente 30% de l’objectif fixé par la Commission Européenne dans sa feuille de route sur l’hydrolien et le houlomoteur, donc c’est intéressant de savoir que nous avons ce potentiel en France.

Ensuite, après l’hydrolien, il y a donc l’énergie de la houle. C’est un sujet encore moins mature, mais il y a aussi des démonstrateurs qui existent. Il y en a un au Croisic, notamment, et un autre en baie d’Audiarn avec du houlomoteur intégré directement dans une digue afin de produire une digue à énergie positive. En Espagne, il y a également des démonstrateurs au large de Bilbao, à Gibraltar et sur les Îles Canaries. Il y en a aussi en Écosse, au Canada.

Après, les énergies de la mer, ce sont aussi des énergies calorifiques qui vont récupérer de l’eau froide, par exemple pour refroidir des bâtiments. Nous avons là-aussi, en France, des savoirs-faire d’installation, de fabrication, d’ingénierie sur ce qu’on appelle le SWAC (Sea Water Air Cooling, ou thalassothermie en français).


Il y a un réel potentiel à ces énergies par rapport à notre transition énergétique ?

Oui tout-à-fait. Il existe une étude qui démontre, par exemple, qu’en équipant tous les linéaires côtiers avec des houlomoteurs, nous pourrions couvrir l’intégralité des besoins énergétiques de la planète. Sur l’hydrolien, par contre, le marché est plus petit car il dépend des courants forts. On estime le gisement à 100 GW à l’échelle de la planète, là où l’éolien représente 4 500 GW. Donc l’hydrolien, c’est un marché de niche. Par contre, en France, le courant du Raz Blanchard représente à lui seul un potentiel de 4 GW. C’est 4% du gisement mondial et cela représente l’équivalent d’un EPR. Donc ce serait dommage de s’en passer.


Quels sont les freins à lever pour industrialiser ces technologies ?

Pour être bon à l’export et lancer une industrialisation, il faut le savoir-faire. En France, nous avons de très bons énergéticiens, un excellent réseau de chercheurs, particulièrement dans le secteur maritime, et nous avons aussi des chantiers navals, ce qui est très important. Typiquement, si les Chantiers de l’Atlantique n’avaient pas su faire de paquebots, il n’auraient pas pu se lancer dans les sous-stations électriques. Donc il faut continuer de structurer ces filières.

Ensuite, avant de pouvoir industrialiser, il faut absolument avoir des installations en France. Donc il faut arriver à trouver des financements et des mécanismes de soutien pour créer des fermes pilotes. C’est un sujet très important. Et puis il y a aussi un sujet juridique pour faire en sorte, notamment dans l’éolien offshore, de raccourcir les délais entre la date d’attribution du parc et le début des chantiers. Il a fallu 10 ans entre 2012 et 2022 pour que le premier parc voit le jour. C’est évidemment trop long.

Il existe une étude qui démontre, par exemple, qu’en équipant tous les linéaires côtiers avec des houlomoteurs, nous pourrions couvrir l’intégralité des besoins énergétiques de la planète


On entend souvent des critiques sur l’impact des énergies marines sur la biodiversité marine. En tant qu’océanographe, pouvez-vous nous dire quelle est la part de vérité là-dessus ? 

Jusqu’à maintenant, j’ai toujours confirmé que ces technologies avaient un impact positif sur la biodiversité. Quand vous mettez une éolienne dans l’eau, cela crée un récif, et sur ce récif vient se fixer des organismes qui attirent les poissons et les mammifères marins. Toutes les études réalisées sur les parcs éoliens en mer à l’étranger viennent confirmer que cet effet récif vient augmenter la biodiversité.

J’en profite d’ailleurs pour préciser que s’il n’y avait pas eu l’éolien offshore, nous n’aurions jamais autant étudié la biodiversité sur nos littoraux. L’État vient d’ailleurs d’allouer 50M€ dans un observatoire de l’éolien offshore pour qu’il puisse y avoir un suivi scientifique non-partisan de l’Ifremer et des bureaux d’études, pour pouvoir bien suivre tout cela. Raconter, par exemple, que les pêcheurs ne pourront pas pêcher au niveau des parcs éoliens, c’est faux. Tous les câbles sont enfouis dans les sédiments, donc il est tout à fait possible de venir pêcher dans la zone.

Sur le salon Seanergy, c’est un sujet que nous allons d’ailleurs traiter à travers une exposition qui reprendra toutes les fakes news qui tournent autour des énergies de la mer, ce qui nous permettra d’avoir des discussions plus argumentées avec le grand public sur ces sujets.


Le salon seanergy aura justement lieu du 15 au 17 juin au Havre. C’est la 6ème édition de ce sommet. Qu’attendez-vous de cet évènement ? 

Nous nous sommes fixé plusieurs objectifs, le premier étant de réunir la grande famille européenne des énergies de la mer. Nous attendons 3 500 visiteurs et 230 exposants. Nous aurons aussi 90 conférenciers et environ 500 rendez-vous d’affaires. Il y aura également des visites techniques.

Ensuite, dans le débat, au sein même de la profession, je pense qu’il y aura beaucoup à dire et à apprendre de la situation en Ukraine, en matière de souveraineté énergétique et industrielle. Nous avons également des sujets importants pour mettre en avant les PME locales qui, en France, peuvent participer à l’essor et la structuration de cette filière.

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