En France, le secteur des transports est le premier secteur émetteur de gaz à effet de serre. Il représentait 31% de nos émissions nationales en 2019. Et si la moitié de ces émissions est liée à l’usage trop massif de la voiture individuelle, c’est bien le transport de marchandises qui arrive en seconde position et qu’il s’avère nécessaire de réduire drastiquement dans les années à venir si nous voulons atteindre nos objectifs de développement durable. Une nécessité d’autant plus importante que les comportements des consommateurs font exploser les livraisons de colis à domicile ces dernières années.

Mais la France n’est pas la seule dans ce cas. En Suisse, par exemple, les estimations de l’Office fédéral des routes et de l’Office fédéral du développement territorial réalisées en 2012 et 2013 prévoient que la densité du trafic de marchandises en Suisse devrait progresser de 37 % entre 2010 et 2040. Or, la Suisse est un territoire enclavé dans les Alpes et une extension illimitée de ses infrastructures pour le transport n’est pas possible. Cette augmentation du trafic de marchandises sur ses grands axes routiers et ferroviaires pose donc un problème physique.

Pour absorber cette croissance, le pays souhaite donc se tourner vers des solutions innovantes afin de délester les rails et les routes aux endroits critiques. C’est là toute l’ambition du projet Cargo sous terrain : un long tunnel creusé à travers le pays, qui irait du Lac Léman au Lac de Constance, afin d’assurer la livraison de colis et de produits alimentaires dans les villes.

carte du projet cargo sous terre
Le trajet prévisionnel du tunnel que compte creuser l’entreprise Cargo sous terrain


Un premier tronçon de 70 km d’ici 2031

Le premier tronçon de ce grand réseau devrait être opérationnel d’ici 2031. Il reliera les villes de Härkingen-Niederbipp et de Zurich, soit 70 kilomètres de tunnel avec une dizaine de hubs intermédiaires sur le trajet entre les deux villes. Concrètement, chaque tronçon de ce tunnel national sera ainsi relié à des hubs logistiques qui sont eux-mêmes installés dans ou à proximité de centres logistiques déjà existants afin d’assurer la liaison avec les systèmes de transport actuels (rail, route, eau, air).

Les marchandises seront acheminées dans ces centres logistiques de proximité, puis chargées/déchargées via des monte-charges dans des véhicules automatisés qui fonctionneront 24/24. Ils se déplaceront sur des rails à induction dans des tunnels à trois voies à une vitesse constante de 30 km/h. Le projet prévoit également « un rapide convoyeur de paquets pour les plus petites marchandises » qui sera suspendu au plafond du tunnel. Évidemment, la structure suisse compte sur les énergies renouvelables pour alimenter l’intégralité des tunnels et hubs logistiques.

Ce projet futuriste qui pourrait tout-à-fait sortir du cerveau d’Elon Musk s’appuie donc sur beaucoup de technologies et nécessite aussi de grands investissements. Ainsi, le premier tronçon de ce long tunnel possède pour le moment un budget estimé à 3 milliards de francs suisses, qui serviront pour la construction du tronçon mais aussi la partie software, les hubs ainsi que les véhicules souterrains et à la surface pour la livraison en ville. L’idée est en effet d’assurer le dernier-kilomètre dans les villes via des véhicules électriques.

Par la suite, d’autres liaisons verront le jour vers Bâle, Berne, Lausanne et Genève. Au total, ce sont 500 kilomètres de tunnel qui devraient être creusés d’ici 2045. L’objectif affiché par Cargo sous terrain est d’avoir un impact significatif sur les émissions de gaz à effet de serre du pays. L’entreprise espère permettre une diminution du trafic des poids lourds sur les routes nationales ainsi qu’une distribution fine et efficace dans les villes afin de réduire les nuisances sonores et les émissions de CO2. D’après l’entreprise Suisse, cela permettrait « un délestage des villes jusqu’à 30 % pour le trafic de livraison et 50 % pour les émissions de bruit ».

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Une phase de mise en oeuvre entamée en 2022

Évidemment, il va falloir creuser ces tunnels, concevoir les logiciels et les véhicules autonomes, ce qui ne sera pas neutre en carbone. Mais à long-terme, l’entreprise précise que cela pourrait avoir un impact positif significatif sur l’environnement et la santé publique. Après avoir obtenu le feu vert du parlement et le fondement légal du projet en décembre 2021 Cargo sous terrain rentre désormais dans une phase opérationnelle avec de nombreuses études de faisabilité et concertations avec les territoires concernés par ce projet ainsi que la conception de la partie logicielle pour la navigation des véhicules et la bonne gestion des flux de marchandises.

Pour fonctionner, le projet possède d’ailleurs une gouvernance intéressante puisqu’il s’appuie sur de nombreux actionnaires : des banques et assurances, mais aussi les entreprises du secteur des transports et de la logistique qui sont les premières concernées, ainsi que des entreprises technologiques comme SAP ou Siemens ou encore des acteurs innovants comme Virgin Hyperloop One.

La présence de cette dernière n’est d’ailleurs pas une coïncidence puisque les projets d’Hyperloop sont assez proche en terme de fonctionnement (tunnel et rames automatisées), même si la finalité diffère pour le moment, même si des voix s’élèvent de plus en plus pour faire de l’Hyperloop non pas un moyen de transport révolutionnaire mais une alternative pour le fret et la logistique.

Reste à savoir si ce projet aboutira dans les temps et si les bénéfices attendus à long-terme (diminution des émissions de CO2 du trafic routier) compenseront l’empreinte carbone à court-terme de ce projet pharaonique. Quoi qu’il en soit, l’idée d’utiliser des tunnels et des véhicules autonomes pour décarboner le transport de marchandise continue de faire son chemin, ce qui rappelle à nouveau l’importance du développement de nos réseaux ferroviaires pour la logistique et notamment le nécessaire développement du transport rail/route afin de réduire la place des camions sur les routes nationales et économiser ainsi des émissions de gaz à effet de serre. Cela doit aussi nous alerter sur nos modes de consommation comme la livraison de colis à domicile qui est loin d’être bénéfique pour l’environnement.

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