À l’heure actuelle, chacun d’entre nous produit en moyenne 150 litres d’eaux usées par jour. Pourtant 4,5 milliards de personnes sont dénuées de solution d’assainissement soit plus de 60% de la population mondiale selon l’Agence de l’Eau. Un constat alarmant d’un point de vue sanitaire, économique et environnemental. Face à ce constat, de 2002 à 2015, Bernard Benayoun et Myriam Lankry se sont lancés, aux côtés de la société Phytorem, dans une activité de recherche et développement afin de proposer des stations d’épuration écologique et économique.
Ils ont orienté leurs travaux vers le bambou, une plante aux capacités importantes de phytoremédiation c’est-à-dire d’assainissement. Ensemble, ils ont installé une cinquantaine de bambousaies qui font office de stations d’épuration en France continentale, en Guinée Conakry, en Côté d’Ivoire, au Mexique ainsi qu’à la Réunion. Ces 100 000 m² de bambou implantés peuvent profiter à l’équivalent de 40 000 habitants.
Mais en 2018, conscient que les vertus du bambou ne s’arrêtaient pas à ses capacités de phytoremédiation, Bernard Benayoun et Myriam Lankry ont voulu aller plus loin dans leur démarche et ont crée Bamboo For Life. Un projet qui consiste à proposer ces stations d’épuration aux collectivités locales, aux industriels de l’agroalimentaire ou au secteur de l’hôtellerie mais aussi de développer d’autres activités liées aux capacités du bambou. Cette initiative leur aura valu le trophée des entrepreneurs positifs décerné par le CPME et l’Ademe en 2019.
Nous avons une technologie, le Bambou-Assainissement, mais 4 fonctionnalités réelles : l’assainissement, la production de biomasse, la séquestration de carbone et le rafraichissement bioclimatique. C’est le principe même de l’économie circulaire que de réunir plusieurs fonctionnalités dans une seule et même technologie.
Bernard Benayoun, président de Bamboo For Life
Des bambousaies pour traiter les eaux usées
En premier lieu, Bamboo For Life propose donc des stations d’épuration des eaux usées, 100% végétales grâce à la technologie brevetée Bambou-Assainissement et validée par l’Agence de l’Eau dans le cadre des effluents vinicoles. Cette innovation s’appuie sur les qualités naturelles du bambou qui permettent la phytoremédiation.
En effet, la densité des racines de cette plante permettent le développement en grande quantité de bactéries capables de dégrader les éléments polluants. De plus, le bambou profite d’un taux de croissance exceptionnellement élevé (jusqu’à 1m par jour) ce qui fait de lui un organe de traitement très performant, naturellement extensible (10% de sa surface en plus tous les 2 ans) et d’une durée de vie illimitée en raison de son auto-régénérescence. Enfin le bambou à l’avantage de pouvoir s’implanter sur tout types de sols et de climats et de se développer sans nécessiter d’intrants chimiques.
Toutes ces qualités transforment donc les bambousaies en stations d’épuration aussi insolites qu’efficaces. Au préalable, les effluents à épurer sont cependant prétraités (dégrillage, dessablage et dégraissage). Ils sont ensuite distribués de manière homogène sur l’ensemble des plantations. Les polluants et la matière organique dont ils sont constitués sont alors dégradés par les micro-organismes qui se développent sur les systèmes racinaires des bambous. Une fois dégradée, la matière organique est transformée en éléments minéraux (azote, potassium, phosphore) qui constitueront par la suite les nutriments des bambous nécessaires à leur croissance.
Une fois les eaux usées purifiées par le système racinaire, une partie est prélevée par la plante et évapotranspirée par son feuillage alors qu’une autre regagne les nappes phréatiques. Contrairement aux stations classiques, cette solution ne produit ni boue d’épuration ni rejet dans le milieu naturel. Alors que le traitement des boues représente une partie importante des coûts d’exploitation des stations classiques, la technologie Bambou-Assainissement présente donc un réel avantage économique.
La commune de Miramas située dans les Bouches-du-Rhône abrite une station d’épuration qui profite de cette innovation. Avec ses 3 000 m² de bambousaie, elle traite jusqu’à 120 m3 d’eaux usées par jour.
Des stations d’épuration végétales économes
Un avantage économique qui est renforcé par une nouvelle vision du financement de ces stations d’épuration. Alors qu’avec une station d’épuration classique, la mairie se voit contrainte de payer un service de traitement des eaux sur plusieurs années, Bamboo For Life propose de financer ses stations avec des partenariats privés-publics grâce au système des SEMOP. La mairie apporte alors les eaux usées de ses administrés ainsi que le foncier nécessaire tandis que les sociétés d’investissements se chargent d’apporter les capitaux qui financeront la mise en place de la station. Bamboo for Life se positionne alors comme un prestataire de service dans le cadre de cette société projet.
Enfin, les stations proposées par la startup s’inscrivent dans une démarche d’écologie industrielle. En proposant leur solution aux entreprises, la startup prône la mutualisation des moyens afin d’optimiser les capacités de la bambousaie tout en réduisant les coûts des organisations.
Du côté des collectivités, on retrouve aussi cette démarche d’écologie industrielle puisque les déchets des administrés d’une collectivité deviendront, grâce à cette technique, la ressource des autres. En l’occurrence ces eaux usées pourront notamment servir au service de végétalisation de la ville par exemple, pour faire croitre des îlots de bambous sur des parcelles urbaines. Ainsi, cette technologie mobilise de nombreuses parties prenantes qui peuvent toutes y trouver une réponse différente à leurs besoins pour un seul et même investissement.
Par une porte d’entrée, les eaux usées, on met en place un schéma de circularité complet en faisant de ces eaux une ressource qui permettra la valorisation de la biomasse de bambou en sortie de circuit.
Myriam Lankry, co-fondatrice de Bamboo For Life
Des eaux usées à la valorisation du bambou, un schéma de circularité vertueux
Un avantage économique qui s’étend au-delà de l’activité d’épuration. Car si les bambousaies peuvent représenter des stations d’épuration à coûts réduits, elles permettent aussi de mettre en place un modèle économique novateur pour de telles stations par la revente de biomasse de bambou. En effet, les eaux usées servent ici de ressource en venant nourrir le bambou qui pourra à son tour être valorisé. Cette biomasse représente une source d’énergie propre et renouvelable qui peut servir à un usage domestique ou industriel. Bambou for Life souhaite notamment s’en servir pour répondre aux demandes d’alimentation des centrales thermiques.
La biomasse de bambou a l’avantage de pouvoir être exploitable dès la 4ème année de pousse, d’être un excellent combustible et d’être disponible en quantité abondante. En effet, le bambou atteint sa taille adulte dès son premier mois de croissance (10 à 25 mètres de hauteur avec 5 à 20 cm de diamètres suivant les espèces). Un quart de la bambousaie est coupée chaque année dès la 4ème année d’où une biomasse très importante.
En outre, nombreuses sont les autres valorisations qu’il est possible de donner au bambou. Ses fibres longues peuvent être utilisées dans de nombreuses filières telles que l’industrie textile et il représente un matériau biosourcé pour le domaine de la construction. Soumis à de très forte chaleur il produit aussi du charbon actif qui peut être utile pour purifier l’eau et l’air et pour des usages thérapeutiques.
Du bambou pour renforcer la résilience de nos villes
Les bambousaies sont aussi un levier intéressant pour renforcer la résilience de nos villes. Elles permettent notamment de lutter contre les îlots de chaleur urbains par les effets combinés « canopée » et « adiabatique » qui offrent un air plus frais. En effet, le feuillage dense du bambou offre un ombrage total (canopée) au sol et réduit l’impact calorifique des rayonnement solaires (atténuation de 80% de l’ensoleillement).
De leur côté, les eaux évapotranspirées par les feuillages créent un rafraîchissement de l’air appelé rafraîchissement adiabatique. Alors que le changement de l’eau de l’état liquide à l’état gazeux consomme de l’énergie, cette consommation s’effectue sous forme de chaleur présente dans la zone d’évaporation et provoque donc un rafraîchissement conséquent du milieu environnant.
Ainsi, des zones végétalisées parcellisées composées de bambou peuvent être intégrées en villes et pourront permettre une diminution des températures ambiantes et des sols de l’ordre de -3 à -8°C en pays tempérés et de -10 à -20°C en pays chauds ou tropicaux, le tout sans odeur ni défiguration des paysages par les usines de traitement.
En outre, les bambous sont aussi des puits à carbone naturels. Tout au long de sa croissance, le bambou séquestre jusqu’à 60 tonnes de carbone par an pour chaque hectare de bambou planté. Alors que la capture et le stockage du carbone est un enjeu majeur dans la lutte contre le réchauffement climatique, cet effet induit de la station d’épuration offre une mesure d’atténuation directe du changement climatique.
Enfin, opter pour des bambousaies comme station d’épuration c’est aussi lutter contre l’artificialisation des sols. En effet, alors que les stations Bambou-Assainissement peuvent venir compléter les services de stations d’épuration existantes par un système hybride, elles peuvent aussi venir les remplacer quand celles-ci ne répondent plus aux normes de traitement des eaux. Ainsi, elles s’inscrivent alors dans une démarche d’urbanisme circulaire en permettant le recyclage de ces espaces ce qui va permettre de perméabiliser à nouveaux les sols anciennement artificialisés par la station classique. Dans cette logique, les bambousaies pourraient aussi jouer un rôle dans la dépollution des sites industriels grâce à son effet de purification sur les toxines présentes dans le sol.
Pour les nouvelles stations d’assainissement, la startup favorise l’assainissement urbain décentralisé afin que ces stations de bambous puissent se développer en fonction du développement démographique. « Ainsi, pour 12 000 équivalents habitants, on va pouvoir créer plusieurs ilots d’assainissement qui représenteront chacun 300 équivalents habitants par exemple » nous éclaire Myriam Lankry. Cela permet à la fois d’avoir des réseaux plus courts tout en permettant un assainissement et une végétalisation satellisée. Une innovation qui s’inscrit donc, dans bien des facettes, dans les enjeux du développement durable.