En France, en moyenne, ce sont plus de 20 000 hectares d’espaces naturels qui ont été artificialisés chaque année entre 2006 et 2016. Bien que des efforts aient été réalisés durant cette période pour réduire l’accroissement de l’artificialisation des sols en France, permettant par exemple de passer de 33 000 hectares artificialisés en 2011 à 22 400 en 2016, l’évolution des surfaces dénaturées est repartie à la hausse depuis 2017.

Or, un sol artificialisé est un sol imperméabilisé, qui vient dégrader le fonctionnement de son écosystème : la gestion des eaux de pluie ainsi que la biodiversité sont directement impactées, et le sol, en plus de ne plus être en capacité de nous alimenter, peine à absorber le carbone de l’atmosphère, rôle pourtant essentiel à la lutte contre le réchauffement climatique.

Alors que les spécialistes s’entendent à dire que l’artificialisation des sols en France est supérieure à la moyenne européenne et qu’elle augmente plus rapidement que la population, le gouvernement français s’est engagé en 2018 dans son Plan National Biodiversité à « limiter la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers pour atteindre l’objectif de zéro artificialisation nette ». Mais, quand on sait que pour atteindre cet objectif d’ici 2030, il est nécessaire de réduire de 70% le taux d’artificialisation annuel et de restaurer plus de 5 500 hectares par an, on comprend vite qu’il est urgent d’agir. Et surtout de changer de paradigme.

Plusieurs leviers sont mobilisables pour réduire cette artificialisation. Il est possible de densifier les espaces, en intensifiant les usages des lieux sous-utilisés et en construisant sur des zones déjà artificialisées. Mais il est aussi possible de mener des opérations de renouvellement urbain en transformant les bâtiments existants afin qu’ils répondent aux nouveaux usages ou en réhabilitant les friches.

En effet, la reconversion des friches industrielles ou commerciales consiste à recycler et réhabiliter le foncier déjà artificialisé. Dans un contexte de forte pression foncière mais surtout environnementale, cette application des principes de l’économie circulaire au domaine de l’urbanisme constitue une réelle opportunité pour l’aménagement durable de nos territoires.

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friche industrielle


Les friches : des erreurs du passé qui coûtent chères

Une friche est un site ou un bien immobilier, bâti ou non, dont la fonction initiale a cessé et dont l’état, la configuration ou l’occupation, ne permettent pas un réemploi sans une intervention préalable. Une intervention bien plus coûteuse que de construire sur un territoire vierge, mais qui représente pourtant un enjeu majeur en matière d’urbanisme durable. L’Ademe estime à 150 000 hectares, la surface des territoires en friche dans l’hexagone. Elles résultent bien souvent de l’arrêt d’une activité industrielle, ferroviaire ou commerciale. Et la fin de ces activités laisse souvent derrières elles un passif, en matière de pollution, qui représente un frein à leur réhabilitation.

Selon l’Agence, pour des opérations d’aménagement qui concernent des superficies de plusieurs hectares, il n’est donc pas rare d’avoir près de 20% du foncier correspondant qui est contaminé. Pour les opérations de moindre envergure, inférieur à deux hectares, de type promotion immobilière par exemple, la pollution peut impacter jusqu’à 50% des surfaces d’emprise. Ainsi, face à ce passif écologique et au manque de réalité de marché qui permettrait une certaine rentabilité, la réhabilitation les friches sont bien souvent laissée de côté pour de nouveaux projets d’aménagement qui empiètent sur les terres agricoles en périphéries des villes. Une activité moins coûteuse et moins complexe.

Pour changer les choses, le Gouvernement compte déployer 300 millions d’euros dans le cadre du plan de relance, pour soutenir et financer le développement durable des programmes de transformation des terrains artificialisés et de reconversion des friches. Les maîtres d’ouvrages lauréats bénéficieront ainsi de subventions pour couvrir une partie des dépenses de ces opérations.

Certaines régions souhaitent également pérenniser ce fonds friche en épongeant tout ou partie des déficits des opérations de recyclage des espaces urbains. C’est par exemple le cas de la région Auvergne Rhônes Alpes qui, à travers le réseau ID Friches, apporte un accompagnement financier à ces opérations de réduction de friches industrielles polluées. Depuis une dizaine d’années on voit aussi le développement d’établissements publics fonciers dont le travail est de mettre en place ce recyclage urbain. Certains territoires jouissent de compétences plus développées dans le domaine comme la région lilloise mais aussi la Loraine ou la Normandie.

De plus, depuis 2010, l’Ademe apporte aussi son soutien à la reconversion des friches polluées. Entre 2010 et 2016 l’Agence a aidé à financer 95 opérations dans le domaine de l’aménagement, de la promotion immobilière et de l’équipement public. En tout, elle a apporté 38,5 millions d’euros d’aides pour 217 millions d’euros de travaux de dépollution.

Selon l’Ademe, ces actions de soutien auraient conduit à la reconversion de 490 hectares de foncier. Mais elle estime que ce sont au final 762 hectares de sols agricoles qui n’ont pas été artificialisés grâce à ses aides en prenant en compte les besoins en infrastructures et équipements publics que ces hectares auraient nécessité dans le cas contraire. Cela représente donc, selon l’Agence, l’équivalent de 1 000 terrains de foot qui n’ont pas été artificialisés.

Réhabiliter une friche suppose un handicap de complexité, de coûts comparatifs mais aussi de coût en soi car même si l’on vient équilibrer le cadre fiscal et réglementaire entre étalement et renouvellement urbain, les erreurs du passé viennent encore entacher le bilan.

Sylvain Grisot, urbaniste et fondateur de dixit.net


Repenser notre gestion mais aussi notre production de friches

À ce frein économique s’ajoute la complexité d’une telle opération. En effet, construire à partir de l’existant demande de nouvelles compétences par rapport à un territoire vierge. Premièrement, car il y a un certain nombre de sujets techniques à traiter comme la dépollution des sols ou encore la présence d’amiante. De plus, car certaines friches ont accueilli un nouvel écosystème qui n’est pas forcément dégradé et dont il faut alors comprendre l’intérêt et la pérennité.

« Là où construire du neuf est un projet assez cadencé et linéaire, lorsque l’on travaille sur l’existant il est nécessaire de faire des allers retours entre le plan et le programme, d’ajuster les ambitions au fur et à mesure que l’on comprend mieux les problématiques qui émergent en cours de chantier. Trop souvent, on essaye de faire de la réhabilitation de friches comme on gère un projet en extension alors que ce sont deux natures différentes. En Belgique par exemple, des formations spécifiques de chef de projet pour le recyclage des friches se développent » nous éclaire Sylvain Grisot.

Mais, finalement l’enjeu est double. Il ne s’agit pas seulement de développer des compétences pour réhabiliter nos espaces abandonnés, il s’agit également d’anticiper les usages futurs de nos bâtiments afin d’arrêter de produire de nouvelles friches. Tout l’enjeu, en parallèle, consiste à savoir rallonger la durée de vie de nos bâtiments afin d’éviter le statut complexe de friche.

Il est donc nécessaire de réfléchir à des équipements qui ne deviendront pas obsolète lorsque les usages évolueront mais s’auront se réinventer. Il s’agit aussi de questionner l’utilité et la réelle valeur ajoutée des projets d’aménagement. C’est l’exemple de la station de métro parisienne Haxo, qui n’a jamais été ouverte parce qu’elle ne répondait pas à un réel besoin des habitants. Ou alors seulement par des adaptes d’exploration urbaine.

Ce n’est pas uniquement une question de réhabilitation, il s’agit aussi d’anticiper les futures friches. Car aujourd’hui encore notre façon de faire la ville génère ses propres friches. Selon l’agence d’urbanisme de Lille, sur les 1 000 hectares en friches de la métropole, 300 étaient des zones d’activités économiques récentes. 

Sylvain Grisot, urbaniste et fondateur de dixit.net


L’exemple de l’écoquartier Fives Cail de la métropole Lilloise

Autrefois occupés par le groupe Fives, ce sont 25 hectares qui abritent désormais le projet Fives Cail à cheval entre Lille et la commune d’Hellemmes. Abritant jusqu’en 2001 l’industrie qui a réalisé de grands ouvrages tels que les ascenseurs de la Tour Eiffel, le tunnelier du tunnel sous la Manche ou encore les structures du pont Alexandre III à Paris, cet espace a fini par tomber en friche.

Mais fort de son potentiel, ce lieu n’a pas longtemps été abandonné. Situé à quelques pas des grandes connexions routières de la Métropole Européenne de Lille et à proximité des stations de métro Fives et Marbrerie, le site offre une accessibilité remarquable en étant localisé à seulement trois stations du centre de Lille et des deux gares lilloises. Ajouté à cela l’ampleur du site, ses qualités architecturales et patrimoniales ainsi que son histoire sociale, il n’en fallait pas plus pour que la Métropole Européenne de Lille, la ville de Lille et la commune Hellemmes décident ensemble dès 2002 de relever le défi de réhabiliter ce lieu.

La Bourse du Travail inaugurée en 2013 marquera symboliquement la renaissance de Fives Cail. A partir de 2015, ce sont de nouveaux usages qui y ont été imaginés grâce à la mise en place d’ateliers riverains qui impliquèrent les habitants dans les réponses en aménagement qu’ils souhaitaient apporter à leurs nouveaux besoins. Désormais, le lieu accueille le lycée hôtelier international de Lille, mais aussi Les Halles Gourmandes qui proposent un food-court, une cuisine solidaire partagée, un incubateur culinaire ainsi qu’une serre agricole expérimentale.

L’ancien pavillon d’entrée de l’usine a lui été transformé en un incubateur d’entreprises alors que les grandes halles font désormais office de gymnase municipal à destination des lycéens et collégiens en semaine et des associations le soir et le week-end. On y retrouve aussi des espaces de travail et des lieux de rencontres ouverts à tous. Alors que la deuxième phase du projet va être lancée en 2021, à termes, le site comptera 1 200 logements (logements sociaux et propriétés abordables) mais aussi un parc de 3,5 hectares et l’implantation de la piscine intercommunale Fives Hellemmes.

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