L’agriculture utilise environ 70% des prélèvements mondiaux d’eau souterraine. Or, la demande alimentaire devrait augmenter à minima de 50% d’ici 2050. Ce qui signifie que les besoins en eau de l’agriculture, mais aussi ceux des villes, vont augmenter significativement. Une situation préoccupante puisqu’en même temps, les changements liés au climat devraient accentuer les phénomènes de sécheresse et de stress hydrique. (voir les cartes des impacts du changement climatique de l’Agence Européenne de l’Environnement).

Les projections de l’ONU montrent que 40% de la population mondiale sera confrontée à des pénuries d’eau en 2050. La gestion durable des ressources en eau fait donc logiquement partie des Objectifs de Développement Durable. À ce sujet, il existe une opportunité, pour une meilleure gestion de l’eau, que nous n’exploitons pas en France : la réutilisation des eaux usées. Cela se pratique pourtant dans d’autres pays. En Israël, par exemple, pas loin de 80% des eaux usées sont réutilisées. Singapour réutilise 30% de ses eaux usées. En Europe, l’Espagne est à 14%. Et la France, seulement 0,6%.


Une solution prônée par la FAO

C’est en particulier, la réutilisation des eaux usées traitées à des fins d’irrigation pour les cultures agricoles qui nous intéresse, puisque l’agriculture est le premier secteur concerné, mais aussi le plus important pour subvenir à nos besoins. Et bonne nouvelle, les eaux traitées des stations d’épuration représentent un intérêt particulier pour irriguer les cultures : elles sont riches en fertilisants d’origine organique. La FAO, qui prône la réutilisation des eaux usées traitées, précise ainsi que si la totalité de ces « eaux noires » était valorisé, on réduirait de 30% les engrais azotés et de 15% les engrais phosphatés.

Cette réutilisation des eaux usées est particulièrement adaptée aux cultures urbaines et péri-urbaines, qui se situent à proximité des stations d’épuration. Elle peut s’avérer également intéressante pour l’irrigation des espaces verts. « Jusqu’à présent, réutiliser les eaux usées pour l’irrigation s’est révélé efficace lorsqu’effectué non loin des villes où ces eaux sont largement disponibles et gratuites ou bien à bas coût et où il existe un marché pour les produits agricoles » abonde en ce sens M. Marlos De Souza, qui porte le sujet pour la FAO.

Il existe plusieurs exemples d’exploitations agricoles françaises qui utilisent des eaux épurées pour irriguer leurs champs. C’est notamment le cas à Château-Renault, près de Tours, où la station d’épuration rejette les eaux usées traitées dans la rivière locale (la Brenne) de novembre à avril. En revanche, de mai à octobre, ces eaux sont réservées pour l’irrigation. Deux agriculteurs en bénéficient chaque été. Cette réutilisation des eaux usées leur permet d’irriguer environ 170 hectares de cultures céréalières sans avoir à puiser dans les nappes souterraines. 130 000 m3 d’eau sont ainsi recyclées.

Grâce à ce procédé, ce sont aussi 4,5 tonnes d’azote par an qui ne sont pas déversées dans la Brenne, à une époque de l’année où son débit ne permet pas de diluer correctement ces apports. Or, les débits des fleuves et rivières en France devraient diminuer de 10% à 40% dans les prochaines années en raison des modifications climatiques. D’où l’importance d’accroître la réutilisation des eaux usées traitées, si ce n’est pour une meilleure gestion de l’eau, au moins pour une gestion écologique de nos cours d’eau.


Tripler la part des eaux usées réutilisées d’ici 2025

La réutilisation des eaux usées n’a été officiellement autorisée en France qu’en 2010, bien que cette possibilité a été offerte dès 1991 par la directive européenne Eaux Résiduaires Urbaines. Suite aux Assises de l’eau en 2019, le gouvernement a affiché l’objectif de tripler la part des eaux usées traitées d’ici 2025. C’est à dire, passer de 0,6% à 1,8%. Là où l’Italie est déjà à 8% et l’Espagne à 14%. Une maigre ambition qui s’explique historiquement par une certaine passion règlementaire française pour la sécurité sanitaire.

Un point qu’il ne faut évidemment pas négliger. Car il est essentiel de garantir une qualité maximale de ces eaux pour tout ce qui concerne l’irrigation de cultures alimentaires. Mais cette qualité peut-être garantie aujourd’hui par les agences de l’eau. Par ailleurs, certaines techniques d’irrigation permettent de ne pas mettre l’eau directement en contact avec les fruits ou légumes concernés. Par ailleurs, nous possédons aujourd’hui du recul sur le sujet avec plusieurs exemples – à l’image de Chateau-Renault – qui portent sur une dizaine d’années à réutiliser ces eaux noires. De quoi être rassuré sur ce sujet.

L’autre principal frein au développement de ces projets concerne le coût des installations et surtout son financement. À Chateau-Renault, par exemple, le dispositif de réutilisation des eaux usées a coûté près d’un million d’euros. La rénovation de la station d’épuration 2,66 millions d’euros. Avec un financement assuré par la ville, le département, l’agence de l’eau et les agriculteurs concernés.

Pour être développé à grande échelle, ces projets doivent en effet faire intervenir différentes parties prenantes : les collectivités, les agences de l’eau, les agriculteurs… et pourquoi pas aussi les citoyens ? En effet, la gestion de l’eau, plus que jamais, se doit d’être un projet collectif porté par l’ensemble de la société.

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