Nous voici maintenant à la croisée de deux routes divergentes […] une autoroute douce et rapide sur laquelle nous progressons à grande vitesse, mais qui, à la fin, nous conduit au désastre. […]. L’autre route – la moins fréquentée – nous offre notre dernière, notre unique chance d’atteindre une destination qui assure la préservation de notre Terre.
Rachel Carson
C’est au cours de l’année 1962 que le grand hebdomadaire The New-Yorker publie par épisodes le nouveau livre de Rachel Carson. Un ouvrage qui fait l’effet d’une bombe et qui déclenche un battage médiatique important ainsi qu’une fureur « anti-Carson » aux Etats-Unis.
Fruit de quatre années de recherches, « Silent Spring » (Le printemps silencieux) vise explicitement le DDT, un produit phytosanitaire particulièrement utilisé dans le modèle agricole intensif américain. Elle y dénonce la nocivité de ce produit pour la biodiversité via des passages explicites « ces insecticides ne sont pas des poisons sélectifs, ils n’identifient pas particulièrement l’espèce que nous voulons supprimer […] on les utilise uniquement à cause de leur virulence […] ils détruisent toutes les vies qu’ils rencontrent ».
Les retombées médiatiques de cet ouvrage sont fracassantes. Elles finissent par pousser le Président J.F Kennedy à demander au Congrès des Etats-Unis qu’une Commission entende Rachel Carson. La scientifique américaine pose ainsi les premières pierres qui vont conduire, quelques années plus tard, à l’interdiction du DDT aux Etats-Unis et dans le Monde. Son parcours et cette victoire pour la nature font de Rachel Carson l’une des pionnières de l’écologie moderne.
Le citoyen [a le] droit de se sentir en sécurité chez [lui] à l’abri des poisons répandus par d’autres personnes […] cela doit ou devrait être un des droits humains fondamentaux.
Rachel Carson
Biologiste et passeuse de sciences
Née en 1907 à Pittsburgh (Pennsylvanie) et décédée en 1964 à Silver Spring (Maryland), Rachel Carson est une scientifique américaine bardée de diplômes, après avoir suivi de brillantes études en biologie et zoologie – ainsi qu’en génétique à la célèbre Université Johns-Hopkins. Douée pour l’écriture, autant littéraire que scientifique, cette femme indépendante se passionne d’abord pour la mer. Biologiste marine et zoologiste, elle se démultiplie menant de front ses activités de recherche, la rédaction de nombreux articles et même la préparation d’émissions de radio visant à vulgariser ses connaissances scientifiques auprès de jeunes auditeurs.
Ses connaissances du milieu marin lui ont permis de publier trois ouvrages « Under the sea-wind » (Sous le vent de la mer) en 1941. « The sea around us » (La mer qui nous entoure) en 1951, qui rencontre un vaste succès auprès du grand public. Et enfin « The edge of the sea » (Le bord de la mer) en 1955.
Lorsqu’elle publie Silent Spring, Rachel Carson change de terrain et permet à des millions d’américains de prendre conscience de la fragilité du naturel, du lien de cause à effet entre le règne animal et la survie de l’espèce humaine. Elle y dénonce également le principe de la monoculture dont les rendements sont démultipliés par l’usage de pesticides qui éliminent certains nuisibles, mais qui – par ricochet – finissent par perturber les écosystèmes. Une remise en cause toujours d’actualité près de 60 ans plus tard.
Deux ans après la parution de son dernier livre, Rachel Carson est emportée par un cancer. Elle qui, précisément, alertait dans cet ouvrage des liens et risques entre ces biocides de synthèse et la prolifération de tumeurs malignes. Ses travaux sont aujourd’hui considérés comme fondateurs des mouvements écologistes. À titre posthume, elle fut honorée de la plus haute distinction civile américaine, la médaille présidentielle de la liberté.
Un Prix Rachel Carson a également été créé en 1991 en Norvège. Son académie récompense depuis, tous les deux ans, une femme dont l’engagement en faveur des causes environnementales est remarquable. En 2019, Greta Thunberg a, par exemple, reçu le Rachel-Carson-Prisen. À cette occasion, le Washington Post titrait d’ailleurs, dans son édition du 31 mai 2019 « Why DC needs a statue of Rachel Carson ? ». Un hommage de plus, parmi tant d’autres.
« Une folle anti-progrès » et « hystérique »
Dans les années 1950 et le début des années 1960, en pleine période de croissance économique, de modernisation et de consumérisme, les premières sensibilités « écologiques » sont – déjà – au mieux ignorées, au pire attaquées par les lobbies industriels et scientifiques. Le livre et les idées de Rachel Carson en font les frais.
La réplique médiatique à la sortie de cet ouvrage est forte, virulente et sans nuances. Dans l’Amérique conservatrice et puritaine des années 1960, le célibat de Rachel Carson est stigmatisé avec de lourds sous-entendus homophobes. Parce qu’elle est une femme, ses compétences scientifiques sont également contestées et ses détracteurs la disent (entre autres insultes) « hystérique ». En outre, à l’époque des grandes tensions géopolitiques entre Washington et Moscou, elle est également accusée d’être communiste.
Monsanto publie une parodie de son livre intitulé « The Desolate Year », une « année de la désolation » décrivant un monde sans pesticides dans lequel amenant à la famine puisque les insectes auraient donc ravagé toutes les cultures. D’autres dénoncent également «une folle, anti-progrès qui plaît aux adorateurs d’aliments bio » (W Darby, « Silence Miss Carson », Chemical and Engineering News, vol. 40, oct. 1, 1962).
Nous devons commencer à compter les nombreux coûts cachés de ce que nous sommes en train de faire.
Rachel Carson
Chercheuse, scientifique et sensible aux effets de la nature, Rachel Carson a défendu ses idées sans se faire la porte-parole d’un mouvement militant, mais simplement en décrivant des observations et des faits. Son combat contre ces biocides s’est échelonné sur plusieurs années, en compilant longuement des données scientifiques irréfutables, en dépit de campagnes visant à la décrédibiliser. Elle a conduit l’opinion publique à une prise de conscience, d’autant plus significative, que l’administration Kennedy s’est montrée sensible à ses thèses.
Son témoignage devant le Congrès a ainsi fortement marqué les esprits et convaincu certains sceptiques. Il a néanmoins fallu quelques années pour que la réglementation américaine n’interdise définitivement l’usage du DDT.
Depuis 1972 (1970 en France), ce produit cancérigène et reprotoxique (qui empêche la reproduction des oiseaux par stérilité et extrême fragilité des coquilles d’œufs) est donc considéré depuis comme un polluant organique persistant dont la vente est interdite.
Mais à partir de 1974, soit deux ans plus tard, la firme Monsanto commence à produire le Glyphosate.