Les conséquences du réchauffement de la planète se font déjà sentir aujourd’hui dans de nombreux endroits du globe. Entre autres exemples, en France, les chaleurs remarquables du mois de Mars et la période de gel du mois d’Avril a par exemple mis à mal une grande partie de notre production viticole et arboricole. Cette semaine, il va faire environ 30°C aux abords du cercle polaire arctique. À Taïwan, une vague de chaleur extrême vient de causer une saturation du réseau électrique qui a privé 4 millions de personnes d’électricité.

Dans le même temps, l’Agence Internationale de l’Énergie vient d’annoncer dans sa roadmap pour un système énergétique mondial neutre en carbone, qu’il ne fallait surtout plus s’engager dans des investissements visant l’exploitation de nouveaux gisements pétroliers, gaziers et charbonniers si l’on veut respecter les objectifs de lutte contre le réchauffement climatique. Ce qui n’est pas nouveau, mais qui mérite d’être clair de la part de cette institution.

Un point d’autant plus important que, depuis quelques temps, un voile commence à se lever sur le rôle que joue le monde la finance dans la lutte contre le réchauffement climatique. Malgré les discours affiché et teintés de greenwashing, malgré l’Accord de Paris ou le One Planet Summit, les grandes institutions financières mondiales sont effet les premières à soutenir le développement des énergies fossiles et autres industries polluantes

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épargne et énergies fossiles


Pourquoi les banques mondiales vont à rebours de l’Accord de Paris ?

Selon le travail effectué récemment par plusieurs ONG BankTrack, Rain Forest Action Network ou encore Reclaim Finance, ONG dirigée par Lucie Pinson,  les plus grandes banques mondiales auraient dirigé 1 900 milliards de dollars vers des projets d’énergies fossiles dans les 3 ans qui ont suivi l’Accord de Paris signé en 2015.

Pourtant, tout investissement supplémentaire dans des projets d’exploitation d’énergies fossiles ne fait qu’accentuer considérablement le retard déjà pris sur le respect des objectifs fixés lors de la COP21.

Rien qu’en France, les 4 plus grandes banques du pays que sont le Crédit Agricole, BNP Paribas, la BCPE (Banque Populaire, Caisse d’Epargne) et la Société Générale, orientent encore 70% de leurs financements énergétiques vers les énergies fossiles comme le pétrole, le gaz naturel et le charbon. En 2018, les émissions causées par les investissements de ces 4 banques dans ces ressources étaient estimées à 2 milliards de tonnes en équivalent CO2 ce qui représente 4,5 fois plus que les émissions de CO2 de la France entière cette même année. D’après l’ONG Oxfam, elles ont investies plus de 100 milliards de dollars dans les énergies fossiles en 2020, en hausse de 22%

Pour l’ONG Oxfam France, par leurs choix de financement, les banques françaises nous emmènent vers un monde à +4°C


Pour les principales ONG qui travaillent sur le sujet, deux raisons principales expliquent ce choix. D’abord, l’attrait des banques pour les énergies fossiles s’expliquerait par une logique financière court-termiste, mais efficace, qui met la rentabilité immédiate au cœur de leurs choix d’investissement.

Ensuite, cela s’explique par un lien historique entre les industries les plus polluantes et les banques. Un lien qui remonte à la Révolution Industrielle, à l’époque où ces énergies fossiles connaissaient leur heure de gloire et participaient à l’essor économique et industriel de l’Europe puis des États-Unis. Ainsi, la majorité des grandes banques mondiales détiennent encore dans leurs bilans des actifs et des liens hérités de cette période et sont ainsi, en quelque sorte, dépendantes de ces industries.

Cependant, à l’aube d’une nouvelle révolution qu’est la transition écologique, retirer de tels actifs de leurs bilans pourrait s’avérer lucratif.

Selon le Climate Bond Initiative, pour 66 milliards de dollars d’obligations alignées avec les objectifs de l’Accord de Paris, 90 milliards de dollars ne le sont pas.


Pourquoi les banques et autres acteurs financiers ont intérêt à accélérer leur transition ?

Pour les banques, assureurs et autres acteurs financiers, la transition écologique et sociale représente évidemment une source de risque et suppose de rompre avec la logique dominante du court-termisme et du retour rapide sur investissement. En particulier dans le domaine de l’énergie car les nouvelles opportunités du marché (éolien, solaire photovoltaïque ou thermique, hydrogène, biométhane, captage de CO2, géothermie, technologies de stockage de l’électricité, etc.) ne sont pas encore à maturité et qu’aucun système ne prévaut sur l’autre.

Pourtant, elles ont tout intérêt à accélérer leur transition vers des investissements durables. D’abord pour réduire l’aggravation du changement climatique. Ensuite, pour réduire d’autres sources de risques qui pèsent sur leurs actifs.

Car, inexorablement, les produits financiers liés aux énergies fossiles risquent de chuter drastiquement à moyen/long terme. BlackRock, le 1er gestionnaire d’actifs au monde, estime par exemple avoir perdu 50 milliards de dollars ces 10 dernières années en raison de ces investissements dans les énergies fossiles.

Selon ATTAC, en 2016, chaque fois que l’économie mondiale a investi un dollar dans les énergies renouvelables, trois dollars l’ont été dans les énergies fossiles.


De plus, alors que le réchauffement climatique entraîne des événements météorologiques extrêmes de plus en plus fréquents et de plus en plus intenses, les banques et assurances se retrouvent en première position pour prendre en charge les dégâts collatéraux. Une autre source de risque pour ces institutions. L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution de la Banque de France estime ainsi que 10% du portefeuille des assureurs français est soumis au risque de « transition », ce qui représente 250 milliards d’euros pour assurer les coûts supplémentaires engendrés par les événements climatiques.

Enfin, le grand public est aussi de plus en plus enclin à défendre la transition écologique. Si les banques gagnent de l’argent en finançant des entreprises peu vertueuses, elles perdent en réputation et se mettent à nouveau en situation de risque. Accusée d’être à l’origine de feux de forêts en Californie en 2018-2019, la société d’électricité américaine PG&E a par exemple du se déclarer en faillite suite à la chute de son cours en bourse.


La finance verte, une transition superficielle ?

Consciente de cet intérêt croissant, les banques traditionnelles se sont donc mises à proposer du vert un peu partout, notamment via des produits financiers comme le livret Développement Durable ou encore des Green Bonds (un green bond est un emprunt obligataire émis sur les marchés financiers par une entreprise ou une entité publique pour financer des projets contribuant à la transition écologique).

Mais l’opacité du secteur de la finance et ses logiques de marché ne garantissent pas la réelle efficacité de ces produits. Par exemple, pour les livrets Développement Durable, en théorie, 10% de l’épargne est utilisée sous forme de crédits aux particuliers qui souhaitent réaliser des travaux d’économie d’énergie. Ce qui est bien. Mais en pratique, le reste est attribué sous forme de crédits à des entreprises sans que celles-ci ne soient soumises à des critères sociaux ou environnementaux. Ce qui limite de fait le caractère « durable » de ces livrets.

Les quatre plus grandes banques françaises orientent encore 70% de leurs financements énergétiques vers les énergies fossiles contre 20% vers les énergies renouvelables

Oxfam France


Il en va de même pour les Green Bonds, puisqu’aucun standard précis ne caractérise aujourd’hui la dimension environnementale des projets financés. Dans le passé, ces green bonds, par leur manque de caractère contraignant, ont par exemple permis de financer de grands barrages ou des projets de charbon en Chine. Les enjeux actuels portent donc notamment sur la qualification verte des projets, enjeu auquel le projet de taxonomie verte européenne tend à répondre en définissant selon des critères précis ce qui peut être considéré comme un investissement durable.

De son côté, l’ISR, l’investissement socialement responsable, regroupe quant à lui un certain nombre de fonds qui contiennent des actions et obligations cotées en Bourse, choisies en fonction de critères financiers mais aussi extra-financiers : environnementaux, sociaux, de gouvernance… En réalité, ils servent tout de même à financer des entreprises aux actions controversées, qui nient les doits humains ou participent à la dégradation de l’environnement.

helios banque
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Des labels, ONG et outils au service de la finance durable se développent

Heureusement, un choc de conscience est entrain de s’opérer aujourd’hui pour lever le voile sur l’opacité et la duplicité du monde de la finance vis à vis de la transition écologique. À côté des ONG qui font un travail remarquable, des labels, des banques et des outils voient le jour pour éclairer l’épargnant et l’orienter vers des alternatives plus durables.

Ainsi, en ce qui concerne l’investissement socialement responsable, il est possible de se référer au label Greenfin, par exemple. Créé et soutenu par le Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire, il garantit aux investisseurs (banques, assurances et épargnants) que les produits financiers auxquels il est attribué contribuent effectivement au financement de la transition énergétique et écologique.

Les fonds Greenfin sont labellisés par Novethic et sont aujourd’hui au nombre de 33. On retrouve notamment depuis la création du label en 2016 le fond Sycomore Eco Solutions mais aussi Eiffel Gaz Vert ou dernièrement Corporate Green Bond. Autre label pertinent qui concerne cette fois-ci l’écosystème de l’économie sociale et solidaire : le label Finansol qui atteste véritablement de l’utilité sociale et/ou environnementale d’un produit financier.

Il est aussi possible de choisir des ISR recensés par la Financière de Champlain, société de gestion qui sélectionne les entreprises financées selon des critères stricts. Cela permet donc de choisir des entreprises selon leur politique de gestion des déchets, réduction des GES, respect du droit des employés et sous-traitants…

Il y a plus de 5 000 milliards d’euros qui sont dormants sur des comptes épargne et des comptes courants en France, alors qu’il faudrait 1 000 milliards d’euros par an pour financer la transition écologique.


Éclaircir les épargnants sur les pratiques financières des différentes entités c’est aussi la mission que s’est donnée Reclaim Finance. Cette organisation, à mi-chemin entre une ONG et un think-tank, entend jouer un rôle de contre-pouvoir citoyen pour ne pas laisser croire que l’action en cours des acteurs financiers traditionnels est suffisante. Ainsi, Reclaim Finance suit et analyse les activités des acteurs financiers, élabore des recommandations auprès des décideurs économiques et politiques, accompagne les plus sincères dans la transformation de leurs pratiques et expose publiquement les impacts réels des acteurs financiers dont les pratiques détruisent l’environnement et freinent les régulations publiques en matière climatique.

Combattre l’opacité de la finance c’est aussi ce que propose l’application RIFT. Lancée par Lita.co, cette application permet de découvrir tout ce que finance notre épargne. Une sorte de Yuka de la finance. Pour cela, il suffit de scanner ses placements grâce aux données récoltées auprès des institutions financières et de plusieurs indicateurs stratégiques. Il est ainsi possible de découvrir à quoi est utilisée notre épargne, qui la gère, quels secteurs sensibles en bénéficient, quel est son impact environnemental et écologique…

Dans un second temps, l’application RIFT propose à ses utilisateurs de recenser leurs conviction pour découvrir des produits d’épargne en adéquation avec leurs valeurs. Car l’utilisateur peut parfois manquer de visibilité quant aux alternatives durables au système bancaire traditionnel, alternatives qui pourtant existent pour certaines depuis longtemps et sont aujourd’hui en plein essor.

l'équipe We Do Good
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Ces acteurs qui font de notre épargne un outil à la transition écologique

Certaines banques, pionnières en la matière, placent depuis de nombreuses années l’impact positif et la transparence au cœur de leur fonctionnement. C’est par exemple le cas du Crédit Coopératif ou encore de la NEF.

Concrètement, cela se manifeste pour le Crédit Coopératif par exemple par des produits tracés c’est-à-dire que les clients peuvent choisir les secteurs, projets ou structures spécifiques vers lesquels leur agent est investi par la banque ou encore par des produits d’influence qui leur permettent d’orienter leur argent vers les entreprises ayant les meilleures pratiques environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) et ainsi de les encourager à progresser. Ainsi par exemple, 100% des financements du Crédit Coopératif dans le secteur de la production énergétique sont consacrés aux énergies renouvelables.

D’autres structures et notamment des néo-banques se développent aussi ces dernières années pour prendre le contre-pied de la finance traditionnelle. En France, ces acteurs s’appellent Green Got, Goodvest ou encore Helios.

La proposition d’Helios c’est de garantir que pas un seul euro n’ira dans des entreprises ou des projets qui représentent un risque pour le climat et la biodiversité

Maëva Courtois – Helios


Cette dernière, 2 mois après son lancement, vient par exemple d’annoncer qu’elle finançait un premier projet dans le domaine des énergies renouvelables, en l’occurence un projet de centrale solaire en partenariat avec l’entreprise française Akuo Energy.

Une autre alternative pour accompagner la transition du monde de la finance, ce sont les actionnaires activistes. L’association de défense des animaux PETA a par exemple acheté des actions LVMH, Hermès, Guess, Under Armour, Ralph Lauren ou encore Burberry, ce qui lui donne une voix au conseil d’administration pour faire entendre ses réclamations.

Enfin, des plateformes de financement participatif telles que Lita.co, Sowefund, We Do Good, Wiseed ou encore Miimosa permettent aussi aux citoyens de re reprendre le pouvoir sur leur épargne via du crowdfuning, du crowdequity ou des prêts à court-terme. Ces alternatives facilitent le financement de projets dans l’économie réelle et font de plus en plus appel à l’épargne des français en éveillant leurs consciences sur le rôle clé que peut jouer leur argent dans la transition écologique.

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