C’est quoi la taxonomie verte ?

La taxonomie verte européenne, c’est la première classification mondiale qui définit ce qu’est un investissement « vert ». Elle a pour objectif de donner aux investisseurs publics et privés la liste des activités pouvant être considérées comme durables grâce à leurs effets bénéfiques sur le climat et l’environnement.

L’objectif de cette taxonomie est de mettre en avant les secteurs d’activités où il est préférable d’investir pour permettre à l’Europe d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.


Pour aller plus loin

Depuis 2015, les institutions européennes ont la volonté d’encourager les investissements durables et de réorienter les flux financiers afin de les « rendre compatibles avec un profil d’évolution vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques » (Accord de Paris, Article 2.1.c). Pour mener à bien cet objectif, il est cependant nécessaire de définir concrètement si un actif peut être considéré comme durable. Et d’avoir pour cela un référentiel commun.

En mars 2020, le Groupe technique d’experts sur le financement durable (TEG) et la Commission européenne ont donc publié leur rapport final sur la taxonomie verte afin de standardiser les activités durables tout en proposant un vocabulaire commun aux acteurs européens dans le but d’éviter le greenwashing. Cette taxonomie permettra en partie à l’exécutif européen de vérifier que les 37% du plan de relance européen de 672,5 milliards d’euros destinés à la protection du climat seront bien injectés dans des activités qui permettront d’enclencher la transition verte européenne.

Au total, ce sont 70 activités économiques qui sont évaluées, représentant 93% des émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne, selon différents niveaux :

  • Activités qui sont déjà considérées comme bas-carbone et compatibles avec l’accord de Paris comme les transports bas-carbone par exemple,

  • Activités qui pourraient contribuer à la transition vers une économie zéro émission nette en 2050 mais qui ne suivent pas encore la trajectoire de la neutralité carbone comme la rénovation de bâtiments,

  • Activités qui permettent le « verdissement » ou la réduction des émissions d’autres activités, telles que l’élaboration de technologies entraînant une réduction substantielle des émissions dans d’autres secteurs comme une usine de fabrication d’éoliennes par exemple.

Ainsi, cette taxonomie verte s’adresse à deux types d’acteurs : à la fois les grandes organisations qui publient des informations à destination de leurs parties prenantes (notamment leurs investisseurs) et qui pourront ainsi démontrer facilement leur impact sur la transition bas-carbone mais aussi ceux qui utilisent ces informations tels que les acteurs des marchés financiers, les institutions de supervision financière (type banques centrales) ou encore les Etats membres lorsqu’ils s’agit d’établir des mesures publiques.

De plus, grâce à la taxonomie, un investisseur sera en mesure de déterminer exactement quelle est la part verte de son portefeuille (part du chiffre d’affaires des actifs sous-jacents qui contribue à la transition) et pourra ainsi comparer facilement la contribution de ses différents portefeuilles d’investissements à la transition vers une économie bas-carbone. Il aura de la sorte une meilleure connaissance des risques et opportunités de ses portefeuilles d’investissements.

La taxonomie européenne est un avancement important dans le domaine de la finance durable. Et quand on sait que pour réussir sa transition bas-carbone, l’Union européenne doit mobiliser 1 000 milliards d’euros entre 2021 et 2027, on comprend que cette taxonomie, visant à assurer les flux financiers et l’injection des capitaux nécessaires aux financement des activités durables, soit la bienvenue.

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Quels sont les critères d’éligibilité à la taxonomie verte européenne ?

Pour entrer dans la taxonomie verte, les activités économiques des organisations doivent contribuer à au moins l’un des 6 objectifs environnementaux définis par la TEG tout en ne portant pas atteinte aux autres :

  • Atténuation du changement climatique (impact d’une organisation sur l’environnement)
  • Adaptation au changement climatique (impact de l’environnement sur une organisation)
  • Utilisation durable et protection de l’eau et des ressources marines
  • Transition vers une économie circulaire, prévention et recyclage des déchets
  • Prévention et réduction de la pollution
  • Protection des écosystèmes sains

Ainsi, chaque activité économique alignée sur la taxonomie verte devra respecter des critères quantitatifs et qualitatifs propres à chaque objectif (seuils et méthodologies). Pour qu’une activité soit considérée comme verte, il sera également nécessaire qu’elle respecte les droits sociaux et du travail.

À l’heure actuelle, la TEG a détaillé seulement les critères des deux premiers objectifs environnementaux qui entreront en application à partir de 31 décembre 2021 mais publiera prochainement ceux pour les quatre autres objectifs qui seront quant à eux effectifs fin 2022. Il est également prévu que cette taxonomie soit revue tous les trois ans pour adapter au mieux les seuils aux évolutions scientifiques, technologiques ainsi qu’aux nouvelles activités.

Dans le secteur de la production d’électricité, sera considérée comme « part verte », l’électricité qui respectera le seuil de 100g de CO2 / kWh. Du côté de la production de béton, ce seuil est de 0,498 tonnes de CO2 par tonne de ciment.


Le nucléaire a-t-il sa place dans la taxonomie verte ?

Alors que le rapport final, paru en mars 2020, excluait le nucléaire de la taxonomie, sa potentielle intégration fait aujourd’hui débat. En effet, certains pays sont favorables à son inclusion en tant que source d’énergie bas-carbone. C’est le cas notamment de la France mais aussi de la Pologne, la République Tchèque, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie qui, dans une lettre adressée à la Commission le 19 mars, demandent « que les politiques énergétiques et climatiques européennes soutiennent toutes les voies vers la neutralité climatique, selon le principe de la neutralité technologique». Ils soulignent encore «l’indispensable contribution (du nucléaire) pour combattre le changement climatique» et y voient un moyen de soutenir l’essor des renouvelables et de l’hydrogène, sans oublier les emplois créés.

Mais cette potentielle intégration ne fait pas l’unanimité. Car si les centrales nucléaires ne produisent que très peu de CO2 en comparaison aux centrales à charbon ou au gaz et contribuent ainsi à l’objectif d’atténuation du réchauffement climatique, il n’en reste pas moins que les déchets de ces centrales restent radioactifs pendant plusieurs milliers d’années et sont donc techniquement dangereux pour l’Homme et la nature. Or le label d’investissement vert ne peut en théorie être reçu par des technologies qui portent atteinte à la prévention et au contrôle de la pollution.

Ainsi, alors que la Pologne ou la République Tchèque comptent sur le nucléaire pour limiter leur recours au charbon, l’Allemagne, qui a décidé de sortir de cette énergie d’ici 2022 suite à la catastrophe de Fukushima en 2011 est opposée aux financements européens pour cette technologie. Or, sans une telle prise en compte du nucléaire dans les plans de neutralité carbone de l’Union, les pays favorables à son utilisation peineront à financer de nouveaux réacteurs nucléaires ces derniers n’ayant dans ce cas pas accès à des obligations et des fonds à taux d’intérêts plus bas pour leur financement. C’est la crainte notamment du gouvernement français qui prévoit encore de recourir au nucléaire à 50% d’ici 2035 pour produire son électricité (contre 70% aujourd’hui).

Pour régler ce différend sur l’inclusion ou non du nucléaire dans la taxonomie européenne,, la Commission a décidé de charger son organisme de recherche interne, le Centre commun de recherche (CCR), de rédiger un rapport technique sur les nuisances environnementales de l’énergie nucléaire pour évaluer si cette énergie peut être ou non qualifiée de « technologie durable » ou « de transition » selon les règles de l’UE en matière de finance verte.

Alors que le document final sera publié courant Avril 2021, une fuite à Bruxelles, récupérée par nos confrères d’Euractiv, semble confirmer que les experts du CCR recommandent de classer l’énergie nucléaire comme un investissement environnemental. “Les analyses n’ont révélé aucune preuve scientifique que l’énergie nucléaire cause plus de dommages à la santé humaine ou à l’environnement que les autres technologies de production d’électricité”, indique le rapport. Une fois le document officiel paru, ça sera le début d’un processus d’au moins trois mois afin qu’une série de contrôles et d’approbations par différents organismes scientifiques et institutionnels aient lieu avant que l’UE puisse ou non inclure le nucléaire à la taxonomie verte.

Greenpeace, ONG farouchement opposée au Nucléaire, a dénoncé la non-objectivité du CCR sur ce sujet, le qualifiant de “service structurellement pro-nucléaire” fondé par le traité Euratom pour “créer les conditions nécessaires à la création et à la croissance rapides des industries nucléaires”. Et, bien que le CCR se soit depuis diversifié dans d’autres domaines, Greenpeace affirme que « la recherche nucléaire représente encore 25% de son activité », Euratom fournissant 532 millions d’euros au CCR pour la période 2021-2025. La Commission a rejeté ces accusations mettant en évidence les progrès scientifiques du centre depuis 1957 et l’immensité des sujets dont il traite, ainsi que l’indépendance des organes de contrôle. De longue date, le rôle du Nucléaire dans la transition écologique fait débat. Un débat clivant qui devrait être au centre de nombreuses discussions dans les années à venir.

centrale nucléaire


Le gaz, une énergie de transition ?

Les pays de l’UE sont également divisés sur la manière dont la taxonomie devrait traiter les investissements dans le gaz. En effet, sur le court terme, cette source d’énergie permet des gains de CO2 en permettant de sortir les pays du charbon, largement plus polluant. Mais, ce qu’on appelle à tort le « gaz naturel » reste une énergie fossile et la mise en oeuvre de centrales à gaz empêche durant des années la transition vers des énergies totalement décarbonnées comme les renouvelables.

Mais, selon un projet d’acte délégué rédigé par la Commission européenne et qui a fuité dans le média Contexte, il semblerait bien que le gaz soit aussi de la partie dans la taxonomie européenne en tant « qu’activité de transition ». Ce document vient en effet modifier le projet d’acte qui avait été dévoilé fin 2020 et qui excluait le gaz en introduisant deux nouvelles catégories d’activités pouvant être éligibles à la taxonomie.

La première concerne le remplacement des systèmes de chauffage urbain alimentés par un combustible fossile autre que le gaz par des systèmes fonctionnant au gaz (fossile, renouvelable ou biosourcé). La seconde renvoie au remplacement des installations de cogénération, de production de chaleur seule ou de production d’électricité seule fonctionnant avec un combustible fossile par des installations de cogénération fonctionnant au gaz (fossile ou non). 

Plusieurs critères devront néanmoins être respectés pour permettre au gaz d’intégrer l’objectif « atténuation du changement climatique » :

  • La nouvelle installation au gaz a, a minima, la même capacité que l’ancienne,
  • L’installation fortement émettrice est mise hors service alors que la nouvelle installation entre en fonctionnement fin 2025,
  • Le remplacement entraîne une réduction des émissions d’au moins 50 % de GES par kWh d’énergie produite,
  • La nouvelle installation est compatible avec du gaz bas carbone,
  • Les émissions directes de GES de la nouvelle installation sont inférieures à 270 gCO₂e par kWh d’énergie produite,
  • Il n’existe pas d’alternatives technologiques et économiques à faible émission de carbone et l’installation retirée est située dans l’une des régions en transition.

Enfin, la Banque Centrale Européenne a appelé la Commission a établir une taxonomie brune pour permettre de sortir progressivement les actifs fortement carbonés de son bilan. Ainsi, d’ici le 31 décembre 2021, la Commission devrait publier un rapport décrivant les dispositions nécessaires à la mise en place d’une telle standardisation des activités économiques nuisibles à l’environnement et au climat.

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