Les Horizons : Karell Hertzog, pouvez-vous nous présenter l’incubateur de makesense ?

Karell Hertzog : Chez makesense, il y a six ans, on a constaté que l’entrepreneuriat social émergeait en France, que des structures d’accompagnement de ces entrepreneurs se créaient, mais qu’il manquait l’accompagnement de structures très innovantes avec une forte dimension technologique. C’est là qu’a été créé l’incubateur de makesense.

Progressivement ont ensuite été créés de plus en plus de programmes et de ressources pour accompagner un nombre croissant d’entrepreneurs sociaux à tout stade de développement, de l’idée jusqu’au passage à l’échelle. On voulait aussi accompagner des entrepreneurs issus de la diversité, notamment nous adresser à des personnes issues de parcours migratoires, à ceux qui sont éloignés de l’emploi, comme des jeunes des quartiers prioritaires de la ville.

En parallèle, dans chaque programme, toutes les méthodologies développées sont accessibles à des entrepreneurs, même s’ils ne sont pas accompagnés dans nos programmes. Pour eux on a créé la plateforme de ressources Spot, où toutes nos méthodologies et nos formations sont accessibles en open source, ainsi que l’accès à nos mentors. Ainsi, n’importe quel entrepreneur en France peut trouver de l’aide sur Spot et être formé sur ses enjeux.


Quelles sont les raisons d’être de makesense et de son incubateur ?

Aujourd’hui on a tous un rôle à jouer face aux enjeux sociaux et environnementaux, et la raison d’être de makesense, c’est d’impulser et d’accélérer l’engagement de chacune des parties prenantes – citoyennes, entrepreneurs et organisations – pour créer une société plus durable et inclusive.

Pour l’incubateur, sa raison d’être est de permettre à tout entrepreneur d’avoir accès aux ressources essentielles pour développer son projet, réaliser son potentiel d’impact et résoudre les enjeux d’aujourd’hui. Avec cette vision d’accompagner toujours plus d’entrepreneurs sociaux, car nous croyons dans un entrepreneuriat qui construit une économie plus durable et inclusive. Leurs enjeux sont la viabilité économique, car le modèle économique dans l’ESS est un vrai sujet.

Depuis 2019, on voit des profils plus matures, experts de leur métier, arriver sur des projets d’entrepreneuriat social


Pouvez-vous nous expliquer ce que sont les spécificités de l’incubation chez makesense ?

Nous proposons à chaque entrepreneur un accompagnement sur-mesure, adapté à leurs enjeux, afin qu’ils ne soient jamais bloqués d’une semaine à l’autre sur leurs problématiques. Pour cela ils bénéficient d’un coaching hebdomadaire, où nous allons en profondeur sur leurs besoins d’accompagnement. En fonction de leurs enjeux nous les mettons en relation avec des mentors du réseau. 

Comme les entrepreneurs travaillent côte-à-côte dans nos locaux, un esprit de communauté très fort se forme au sein des promotions. Les entrepreneurs s’entraident et avancent ensemble sur leurs sujets dans un cadre bienveillant. 

En intégrant l’incubateur, l’entrepreneur bénéficie aussi de toutes les ressources de l’écosystème makesense, dont une communauté de plus de 200 000 bénévoles dans le monde pour être soutenus et des opportunités business pour signer leurs premiers clients.

L’incubateur a aussi la particularité d’être adossé à un fonds d’investissement, le makesense Seed 1, créé il y a deux ans pour investir sur des phases de pré-amorçage.

On voit arriver beaucoup de projets sur la transition énergétique et la mesure de la performance environnementale


Pouvez-vous nous décrire le fonctionnement du programme d’incubation ?

C’est un programme d’un an, soit six mois d’accompagnement intensif dans nos locaux, rythmés par des formations, des mises en relation avec des mentors et des points de suivi hebdomadaires,  puis six autres mois de suivi stratégique à distance. Tous les six mois, la nouvelle promotion prend le relais dans nos locaux, ce qui fait qu’on accueille deux promotions par an, en mars et septembre. Il y a deux appels à projets par an, avec environ 200 dossiers déposés et 8 lauréats finalement sélectionnés.


 

8 accélérateurs d’innovation sociale unissent leurs forces

Les incubateurs et accélérateurs Makesense, Ronalpia, Antropia-Essec, Première Brique, Atis, Ashoka, Evident et Intermade, font partie d’un collectif qui s’appelle l’Appel à Solutions. Il a pour objectif de réunir des entreprises afin de favoriser l’émergence d’initiatives collectives pour créer de l’impact à l’échelle nationale ou territoriale.

 


Quelle est le type d’entreprises que vous accompagnez ?

Notre objectif est d’accompagner des entreprises sociales au sens large, quel que soit leur statut juridique. Par contre, nous n’accompagnons que des structures dont l’objectif est d’avoir, dans leur activité, un impact social ou environnemental direct.

Au moment de leur arrivée dans le programme, les entreprises en sont souvent au stade de prototypage et des premiers retours terrain qui prouvent qu’il y a un intérêt pour leur activité, sans avoir obligatoirement lancé leur commercialisation. Ou alors, elles en sont à une phase où elles ont besoin de comprendre leur modèle, de tester, d’itérer et elles n’ont pas encore validé leur proposition de valeur. On accompagne aussi des structures qui cherchent leur modèle économique pour être pérennes.

On porte un regard fort sur le côté innovant du projet, qui apporte une valeur-ajoutée par rapport à ce qui existe déjà, et que ça réponde à un chaînon manquant de leur écosystème. Enfin, c’est très important, nous accompagnons des structures qui sont dans une logique d’impact à grande échelle. On regarde la « scalabilité » de la structure, qu’elle ait le potentiel d’impact au moins à l’échelle nationale, voire internationale.

85% des structures accompagnées sont toujours en vie après trois ans d’existence


Quelles success stories du programme d’incubation voudriez-vous nous présenter ?

Le plus connu aujourd’hui est Too Good To Go, qu’on a accompagné en 2016-2017. À leur arrivée il n’y avait qu’une personne, puis deux au bout de quelques semaines, quand ils sont partis ils étaient déjà 15, et maintenant ils sont 80. Au bout de six mois on n’avait plus de place dans nos locaux. Ce qui est intéressant, au-delà de leur énorme succès, c’est qu’ils ont compris leur rôle dans la lutte contre le gaspillage alimentaire, et l’an dernier ils ont créé le Pacte anti-gaspi qui a été signé par la plupart des distributeurs et des industriels agro-alimentaires.

Helios, qu’on accompagne en ce moment, a un début de parcours intéressant car très rapidement les fondatrices ont su se faire un nom sur le secteur de la finance responsable, et elles interviennent dans des conférences sur l’avenir de la finance. Elles viennent de clôturer une levée de fonds de plus d’1 million d’euros.

Il y a aussi Colette, pour la cohabitation intergénérationnelle entre étudiants et personnes âgées. Le fondateur avait précédemment lancé trois startups qui n’étaient pas du tout dans le domaine de l’impact. Et comme il est profondément marqué par les enjeux de lien intergénérationnel et de bien-être des personnes âgées, il a voulu y apporter sa culture entrepreneuriale. Mais il avait besoin d’être accompagné sur toute la dimension impact. Pendant le confinement ils ont créé une centaine de binômes, et ils ont clôturé une levée de fonds d’un million d’euros pour accélérer.


Voyez-vous des tendances se dessiner dans les candidatures que vous recevez ?

Depuis 2019, on voit des profils plus matures, experts de leur métier, arriver sur des projets d’entrepreneuriat social. Cette expertise renforce la qualité et la pertinence des projets et de leurs enjeux. Pour les tendances sectorielles, on voit arriver beaucoup de projets sur la transition énergétique et la mesure de la performance environnementale. Il y a aussi beaucoup de projets sur la santé, avec une réappropriation du système de soins, de l’aide au soignant et au changement du parcours de soin, et autour du bien vieillir côté aidants ou personnes âgées directement.

Une grosse tendance aussi ce sont les projets dans l’économie circulaire, et de plus en plus ce sont des projets qui lient le côté social à l’enjeu environnemental, vecteurs d’emplois, d’inclusion, d’insertion professionnelle. Je pense que sur l’appel à projets de janvier, il y en aura beaucoup sur l’insertion professionnelle et la lutte contre le chômage du fait de la situation économique.

Makesense veut former de plus en plus d’acteurs à la création et à l’animation de communautés


Quels sont les projets de l’incubateur de makesense pour 2021 ?

Nous souhaitons renforcer l’accompagnement proposé aux entrepreneurs sociaux incubés. 

Nous lançons pour cela début 2021, deux programmes d’incubation thématiques, dont l’un sur l’insertion professionnelle. A travers ces programmes, notre objectif est de renforcer la viabilité économique des projets et accélérer leur mise sur le marché grâce à une meilleure connaissance de leur secteur et de meilleures connexions avec leur écosystème. 

Nous pensons cependant que l’entrepreneuriat social n’a de sens que lorsqu’il s’inscrit dans une dynamique de coopération. Ces prochaines années nous rassemblerons donc toutes les énergies pour faire basculer une filière ou un secteur. Nous créerons ou contribuerons à des coalitions thématiques, en travaillant avec des acteurs terrains, pour identifier avec eux les problématiques prioritaires et les besoins d’innovation sociale sur le marché. L’incubateur de makesense accompagnerait alors les entrepreneurs répondant à des besoins d’innovations sociales prioritaires. 

Du côté de l’engagement citoyen, notre objectif pour 2030 est de mobiliser 10% des jeunes du monde entier autour des enjeux environnementaux et sociaux. Pour parvenir à démultiplier nos programmes d’engagement, nous formerons des citoyens, des entrepreneurs et des organisations aux méthodologies d’engagement et de communautés. 

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