Créée en 2016 par 5 startups, La Ferme Digitale est une association qui fédère aujourd’hui 120 entreprises de l’agtech et de la foodtech, avec l’objectif de promouvoir l’innovation et le numérique pour une agriculture performante, durable et citoyenne. Alors que l’ensemble des activités agricoles et alimentaires connaissent une profonde transformation à cause du réchauffement climatique – dont elles subissent les conséquences de plein fouet – elles sont aussi l’une des clés pour accélérer l’adaptation et l’atténuation de ses effets : une 3ème révolution agricole dont l’association se fait le porte-voix en France.

État des lieux de l’écosystème, leviers pour accélérer et objectifs pour 2023 : nous avons échangé sur ces sujets avec Jérôme Le Roy, co-fondateur de la startup Weenat et Président de La Ferme Digitale.


Les Horizons : En 2022, les startups de l’association La Ferme Digitale ont levé 211M€ pour se développer et accélérer le passage à l’échelle de leurs solutions. Au-delà du montant, qu’est-ce que vous retenez de ce chiffre ?

Jérôme Leroy : Ce qu’on peut retenir de ce chiffre, c’est d’abord qu’il vient souligner le fort potentiel de recherche et le fort potentiel agricole dans l’hexagone, et que cela démontre que la France est un berceau de l’innovation Agritech au niveau mondial et européen.

Ensuite, au niveau de l’association, ce qu’on retient en premier lieu, c’est que l’année 2022 aura été une année diversifiée au niveau du financement de nos startups. 19 startups de l’association ont levé des fonds, avec deux catégories distinctes : d’un côté, des entreprises très innovantes et très jeunes, sur des sujets nouveaux avec un fort potentiel comme par exemple les biotech ; et de l’autre côté, il y a eu des levées de fonds de montants plus importants pour les acteurs historiques – Naïo technologies, Axioma, Agriconomie – afin de leur permettre de réaliser un passage à l’échelle industriel ou international.

D’autre part, ces levées représentent également un montant significatif. Ça n’est pas une année record pour l’association, mais les montants levés en 2022 représentent à eux-seuls presque 20% du total des montants levés par les startups de l’association depuis 2016, donc c’est une année qui est, pour nous, une année assez intéressante.


Cette année 2022 a également été celle du lancement de l’initiative #FrenchAgriTech. Qu’est-ce que cela vous a apporté ?

FrenchAgriTech est le résultat d’un travail collectif piloté par La Ferme Digitale en collaboration avec 6 réseaux représentant l’écosystème. Cela a été l’un des succès de l’année 2022 puisqu’on a réussi à créer une catégorie Agritech20 dans le programme FrenchTech, ce qui apporte à 20 startups du monde agricole une visibilité et un soutien des pouvoirs publics pour passer à l’échelle leurs solutions.

La seconde réussite, c’est qu’on a créé des groupes de travail interministériels sur des sujets de financement et de transferts de technologie avec la recherche pour essayer d’accélérer encore plus la collaboration entre les services de l’État et le monde des startups. Par ailleurs, la dynamique liée à ce rapport et au soutien du gouvernement a permis de fédérer un écosystème FrenchAgriTech avec toutes les associations du monde agricole et alimentaire : La Ferme Digitale, Co-Farming, la Foodtech, la Woodtech, la Winetech, etc.

C’était important pour la mise en valeur de cet écosystème, d’autant que l’ensemble du secteur agricole et alimentaire constitue le premier secteur industriel français aussi bien en termes de chiffre d’affaires que d’emplois. Et jusqu’ici, nos startups n’avaient pas une visibilité et un soutien à la hauteur de ce que le secteur représente dans l’économie française. Or, on le voit bien avec cette année avec 200M€ de levées de fonds pour nos startups, que la thématique devient fortement ancrée et doit permettre à la France de devenir un acteur mondial sur ce sujet. Et c’est cela que doit représenter la FrenchAgriTech à terme.


Justement, quels sont les atouts de l’écosystème français par rapport à ses concurrents ?

Notre atout principal, c’est d’abord l’historique frugalité de cet écosystème, qui a globalement été peu financé ces dernières années et qui a donc développé des modèles économiques plus résilients, avec un fort potentiel. Ensuite, notre second atout, c’est l’innovation qui provient des centres de recherche. La recherche est très forte en France en matière d’agriculture et d’alimentation, et je pense que nous pouvons créer encore davantage d’entreprises à partir de ces centres de recherche. Enfin, notre troisième atout, c’est aussi la dynamique entrepreneuriale des personnes qui sont issues du milieu agricole. Agriculteurs, fils/fille ou petits-fils/fille d’agriculteurs : beaucoup ont envie de participer à faire évoluer le secteur agricole français, qui est déjà l’un des meilleurs du monde et qui est un marché difficile. Et donc, avec un soutien de plus en plus fort de l’État sur ce sujet, il y a tous les ingrédients pour nous permettre de faire émerger de belles pépites.


Quels sont les leviers pour accélérer la création et le développement de ces pépites ?

En premier lieu, je pense qu’il faut une meilleure collaboration entre les entreprises innovantes, les acteurs institutionnels et tous les acteurs de l’écosystème agricole pour réaliser un passage à l’échelle des solutions développées. Et pour cela, il faut faciliter les transferts de technologies entre la recherche et les startups pour permettre la création de solutions et d’outils innovants qui vont créer de la valeur.

Ensuite, il faut les faire passer à l’échelle, notamment avec une diffusion à grande échelle et rapide de ces solutions et outils auprès des professionnels du monde agricole et alimentaire. Donc il y a une logique de partenariats à trouver et à mettre en place avec tout l’écosystème, notamment les acteurs historiques de la filière, pour permettre ce passage à l’échelle.

Ce qui implique un troisième sujet : celui des talents. Il faut que nos systèmes de formations puissent être adaptés aux enjeux de l’agriculture de demain. Nous devons être capables d’être plus ambitieux sur ces sujets de formation, mais aussi sur les questions d’installation et de transmission de fermes et sur les questions d’adaptation au changement climatique.


Un mot sur le climat, justement. L’année 2022 a encore été marquée par des aléas climatiques extrêmes et l’année 2023 démarre avec des anomalies de températures déjà très élevées. Êtes-vous inquiet pour le monde agricole ?

Le monde du vivant est soumis aux aléas climatiques et on peut être inquiet pour des modèles agricoles qui n’anticipent pas les évolutions du climat et qui vont se retrouver face à un mur demain s’il n’y a pas d’évolution. Après, le monde agricole est aussi un monde résilient, qui sait s’adapter, et il y a aujourd’hui de plus en plus d’outils qui existent pour s’adapter aux aléas climatiques, et de nouveaux modèles qui émergent, autour de l’agroécologie et de l’innovation, qui sont rémunérateurs, qui sont modernes et qui sont respectueux de l’environnement.

Mais pour accélérer cette transition, il faut en revenir à ce passage à l’échelle des solutions qu’on a évoqué, et sur le fait d’aider les agriculteurs à investir. Et puis il y a aussi un sujet de partenariats avec les acteurs historiques. Je pense que les acteurs innovants apportent 50% de la solution. Mais les 50% restants, ils viennent des acteurs et des filières historiques. Et ça, c’est aussi l’un de nos enjeux avec La Ferme Digitale et la FrenchAgriTech : réussir à diffuser nos innovations en partenariat avec les acteurs historiques, qui sont là depuis longtemps et qui connaissent très bien leurs marchés. Cette vision, de ce que doit être le monde agricole dans les 30 ou 40 prochaines années, elle doit être portée de manière collaborative.

De même, il y a des choses intéressantes à capter en provenance de l’étranger. Israël, par exemple, est le leader mondial en matière d’irrigation, alors que chez nous, cette problématique est très récente. Donc il y a de bonnes inspirations à aller chercher à l’étranger, en Israël, en Californie, par exemple, mais il faut le croiser avec ce que nous savons faire en France. C’est de l’hybridation. La solution, selon moi, c’est d’hybrider ce qui se fait de mieux dans les écosystèmes mondiaux et de l’adapter à nos enjeux français et européens.


Pour en revenir à l’association La Ferme Digitale, quels seront les objectifs et les grands moments de cette année 2023 ?

Nous commencerons évidemment l’année avec un temps fort au SIA 2023 où nous allons avoir un espace de 800m2, de quoi présenter 60 startups et tenir plus de 80 conférences. Ensuite, tout au long de l’année, nous animerons des évènements en région et organiserons pour sa 6ème édition, notre événement propriétaire le LFDay, qui se déroulera cette année le 13 juin à Paris.

Derrière, notre objectif, c’est de continuer toute la dynamique de soutien à cet écosystème pour lui permettre de passer à l’échelle avec une meilleure collaboration entre les startups, les acteurs agricoles historiques et les services publics. Un autre sujet, ce sera aussi de favoriser encore davantage les projets d’open-innovation entre tous ces acteurs pour faire émerger des solutions intéressantes pour les agriculteurs et les consommateurs.

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