Le territoire français est le 4ème territoire le plus boisé en Europe. Avec plus de 16 millions d’hectares de forêts, le pays est ainsi doté d’une ressource intéressante pour accompagner sa transition écologique, alors que le bois est désormais prisé sur de nombreux aspects : pour la construction durable (notamment avec l’avènement de la RE2020) ; mais aussi pour proposer des alternatives aux emballages en plastique ou encore pour le chauffage.

La filière forêt-bois inclut ainsi la sylviculture, l’exploitation forestière, le travail du bois, les secteurs de l’énergie, de la construction, de l’ameublement et de l’aménagement ainsi que le secteur industriel par la production de papier, carton ou emballages. Cette filière porte 392 700 emplois directs et 62 000 emplois indirects, soit 454 700 emplois au total.

En outre, la forêt joue un rôle majeur pour l’équilibre environnemental : stockage du carbone, préservation de l’eau en tant qu’épurateur, réservoir de biodiversité… Un des enjeux majeurs de la transition écologique est donc de concilier la sauvegarde d’un tel rôle et l’utilisation nécessaire de la ressource précieuse qu’est le bois.

Arnaud Godevin est directeur de l’Ecole Supérieur du Bois de Nantes, une des deux écoles du bois en France. Formé en tant qu’ingénieur bois à l’ENSTIB d’Epinal, il intègre l’ESB dans un premier temps qu’enseignant. Il devient directeur de l’établissement en 2007. Pour Les Horizons, il a accepté de revenir sur de nombreux sujets : l’état de la filière française, les éléments qui doivent lui permettre de mieux se structurer ainsi que les apports que l’on peut attendre de l’innovation.



Les Horizons : Arnaud Godevin, comment se porte la filière bois française aujourd’hui ? 

Arnaud Godevin : C’est une filière chahutée. Elle dépend beaucoup de la consommation de bois dans la construction. Pendant très longtemps, le bois était extrêmement marginal dans ce secteur mais, depuis 10 ans, on sent un intérêt grandissant et durable pour le bois. Depuis 5 ans, on voit d’ailleurs émerger de nouveaux entrants : des acteurs qui ont besoin de revisiter leur empreinte carbone et qui sont à la recherche de matériaux biosourcés.

À l’ESB, nous discutons beaucoup avec les trois majors du BTP que sont Eiffage, Bouygues et Vinci et ce que l’on constate, c’est que les questions ne sont plus les mêmes qu’il y’a quelques années : l’heure n’est plus à se demander si le bois doit servir de matériau de construction, mais plutôt de savoir comment on répond aux problématiques environnementales avec le bois, comment on sécurise la ressource, et comment est-ce qu’il est possible de la prélever.  


En 2019, la filière accusait un déficit commercial extérieur de 7,4 milliard d’euros. Ce déficit s’expliquerait par une spécialisation peu favorable. Pouvez-vous nous en dire plus ?  

Tout dépend des données que l’on prend en compte pour calculer ce déficit, notamment si le papier est compté ou non. En France, nous importons beaucoup de bois d’Europe du Nord. C’est une situation qui s’explique par l’appétence du marché pour le résineux. Ces pays commerçaient majoritairement avec des clients Européens, mais la conjoncture actuelle [contentieux entre les États-Unis et le Canada, reprise effrénée de la Chine, NDLR] met les filières des pays du Nord en situation de tensions. Résultat des courses : la machine s’emballe et nous sommes moins bien servis qu’en temps normal. C’est logique puisque nous sommes dépendants de l’internationalisation des approvisionnements. Mais c’est aussi fâcheux car nous possédons bois à portée de main et, pourtant, nous dépendons de ce qui se passe aux États-Unis ou en Chine. 

Pour aller plus loin, voir notre dossier thématique sur les matériaux biosourcés dans la construction durable


Le bois est présenté comme une des principales ressources d’avenir dans différents secteurs, la construction au premier rang. Pensez-vous que la filière française est suffisamment développée pour répondre à une telle demande ?

Nous sommes confrontés à un problème qui est que la ressource forestière française est majoritairement composée de feuillus alors que le marché se tourne davantage sur le résineux. Ce n’est pas un constat immuable, il est possible de mieux valoriser les feuillus, ce qui permettrait de redonner du souffle à la forêt, d’une part, et à l’industrie d’autre part.

La filière est capable de faire face aux enjeux d’avenir mais elle doit investir plus et mieux s’organiser. Il y a du travail à faire. J’espère qu’au terme des Assises de la forêt et du bois, nous verrons des mesures d’organisation de la filière se mettre en place, des mesures qui permettront de rendre l’ensemble plus efficace. 

L’heure n’est plus à se demander si le bois doit servir de matériau de construction, mais plutôt de savoir comment on répond aux problématiques environnementales avec le bois


La Cour des Comptes estime que « la forêt demeure encore partiellement exploitée [et que ] seule la moitié de son accroissement annuel est récolté ». C’est ce qui explique la situation de tension actuelle de la filière ?

C’est juste. Cela veut non seulement dire que l’on ne détruit pas la forêt, mais aussi que la production de matière première est à la hausse. Autrement dit, nous ne prélevons pas suffisamment. Quand on compare notre modèle avec celui de l’Allemagne, un modèle qui a fait ses preuves, on se rend compte qu’il y a là-bas beaucoup plus d’emplois à l’hectare.

Cela doit nous ouvrir des perspectives, sans oublier à nouveau le bémol que j’évoquais précédemment : le marché mondial est tourné vers les résineux. Il faut que l’on s’adapte. On doit réapprendre à mettre du feuillu dans la construction comme il y a cent ans. Ce qui passe par un accroissement important en R&D. Aujourd’hui, la filière investit peu alors qu’elle a intérêt à le faire.

On doit réapprendre à mettre du feuillu dans la construction comme il y a cent ans


Une partie de la réponse réside donc dans la capacité des constructeurs à s’adapter au bois français ? 

Oui et on commence déjà à le voir. Je vous disais que l’on discutait avec les majors du BTP. Dans les carnets de commandes des maîtres d’ouvrage, on retrouve des consignes qui imposent l’usage de bois local. On a les ressources, la forêt française n’est absolument pas en danger. On a tendance à faire des amalgames avec ce que l’on peut observer au Brésil ou en Indonésie, mais ce sont des situations qui n’ont strictement rien à voir.

Je comprends que voir une partie de forêt coupée peut choquer les riverains, mais je crois qu’il faut réapprendre la patience. Le problème dans le rapport de l’Homme à la forêt est un problème de rapport au temps. En règle générale, quand un propriétaire forestier coupe une forêt, il replante derrière ou laisse une régénération naturelle s’installer. Il faut juste être patient. Mais qui, aujourd’hui, est capable d’attendre 30 ou 40 ans pour voir ça ? C’est une durée qui n’est pas compatible avec un mandat électoral, une durée qui n’a aucun sens d’un point de vue industriel.


Comment maintenir, voire accroître, la capacité de stockage du carbone des forêts françaises alors que le bois est appelé à devenir une ressource fortement prisée pour relever les défis de l’avenir ? 

Ce qui est mal compris par le grand public, c’est la capacité de stockage du bois. Le bois que l’on utilise dans les bâtiments, c’est du carbone stocké. On ne va pas pouvoir mettre la forêt sous cloche en disant naïvement « si on ne touche à rien ça va bien se passer ». La forêt va faire face à des évolutions et il faut, à ce titre, l’accompagner. Il faut prélever pour alimenter une industrie qui en a besoin tout en veillant à maintenir le patrimoine biologique.

Il n’y pas d’incompatibilité entre prélever des arbres et gérer les problématiques environnementales. Il faut simplement faire preuve de mesure et d’intelligence pour valoriser au mieux la forêt. Couper un arbre pour le mettre directement dans une chaudière, ce n’est pas la valorisation idéale, par exemple.

Lire aussi : le bois-énergie est-il un faux ami du climat ?


Entre 2015 et 2018, la moitié des soutiens publics à la filière forêt-bois a été consacrée au bois énergie. Pensez-vous que la filière bois doit continuer à se structurer pour alimenter la production d’énergie ? 

Quand on fait des travaux de taille en forêt, tous les bois que l’on obtient ne sont pas tous exceptionnels. On a alors une ressource, que l’on appelle la plaquette forestière, qui ne peut pas servir à grand-chose à part à alimenter des chaudières. Dit autrement, le bois-énergie n’est pas tellement une industrie qui tire du bois de la forêt pour alimenter les chaudières. C’est plutôt l’industrie de la transformation du bois qui pousse du bois vers les autres industries. On doit continuer à alimenter le bois-énergie car on dispose d’une matière dont on ne saurait pas faire autre chose.  


Que peut-on attendre de l’innovation pour le développement de la filière ? 

La filière forêt-bois investit 0,45% de son chiffre d’affaires en R&D. À titre de comparaison, ce chiffre s’établit à 8% pour l’automobile. Évidemment il ne s’agit pas d’une filière high-tech, mais il existe des raisons d’y consacrer plus de moyens. En effet, plus on va pérenniser la mise en œuvre du bois, plus on va garder le bois transformé longtemps, et donc plus on va valoriser la ressource.

Innover c’est s’assurer qu’il n’y a pas un dépérissement qui peut venir poser problème dans la vie du bois. Il faut innover sur des questions évidentes : le bois et le feu, le bois et l’humidité. Il faut investir pour trouver de nouveaux usages, de nouveaux assemblages, de nouveaux systèmes de préservation. En résumé : il faut doper les performances naturelles du bois.


Qu’en est-il de la question du réemploi ?

L’avenir de la filière passera forcément par le réemploi. Le but, à terme, est de répondre à la question suivante : comment un bâtiment déconstruit peut-il être source de matière première ? Finalement, c’est aussi sur la question de la traçabilité que l’on doit attendre des progrès. Aujourd’hui, personne ne sait qualifier la performance d’un bois qui a servi de matériau de construction en retraçant son histoire. Pour que notre exploitation du bois soit soutenable il faut appliquer les principes de l’économie circulaire : réemploi, réutilisation, répétabilité, recyclage. 


Visuel d’entrée : crédit ESB, photographe Philippe Cauneau

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