C’est quoi l’urbanisme transitoire ?

Est définit comme urbanisme transitoire toute initiative qui vise, sur des terrains ou bâtiments inoccupés, à réactiver la vie locale de façon provisoire et ce lorsque l’usage du site n’est pas encore déterminé ou que le projet urbain ou immobilier tarde à se réaliser.

De quelques mois à plusieurs années, ces projets se déploient depuis le début des années 2010 dans des cadres juridiques sécurisés et ont fait peu à peu leur entrée dans la boîte à outils des acteurs de la ville et notamment des aménageurs. Et si ces pratiques émergent, c’est bien qu’elles répondent à des enjeux actuels qui sont à la fois urbanistiques, environnementaux et économiques.


Pour aller plus loin

De la friche au terrain vague, ces espaces délaissés ont souvent vu s’installer des usages sans titre à l’image des squats, qui ont en partie préfiguré ce que nous appelons désormais l’urbanisme transitoire.

Dans les faits, cet urbanisme prend forme dans des espaces qui sont délaissés pour des raisons variées : indécision dans la production urbaine, crise économique (désindustrialisation, délocalisations), héritage insoluble ou encore terrain condamné par la pollution des sols ou par de trop longues négociations foncières.

À ces espaces, l’urbanisme transitoire souhaite redonner de la valeur et de l’usage. En les réhabilitant, il permet de densifier les villes plutôt que de les étaler. L’urbanisme transitoire peut donc être considéré plus largement comme ce que l’on appelle l’urbanisme circulaire, qui vise à reconstruire la ville à partir de l’existant, en l’occurrence des friches ou des espaces délaissés.

À cet enjeu écologique s’en ajoute un économique. Car pour les propriétaires de ces biens délaissés, que ce soit des collectivités, des bailleurs ou encore des institutions, les coûts de maintien du bien peuvent se révéler conséquents. Rien que les coûts de gardiennage peuvent représenter parfois plusieurs centaines de milliers d’euros par an dans les grandes agglomérations.

Au contraire, en y intégrant de nouveaux occupants chargés du gardiennage et de l’entretien quotidien, ces coûts sont compressés et il est même possible de faire de ces sites vides une source de revenus marginale grâce notamment aux loyers payés par les occupants.

Nous sommes dans une phase de reconstruction de la ville sur la ville. L’urbanisme transitoire donne le droit à l’erreur : il permet de tester des initiatives et d’éviter d’emprunter de mauvaises directions.

Michel Le Faou, vice-Président de la Métropole de Lyon


Chantier participatif Jardin Invisible, quartier Saragosse Pau
Chantier participatif Jardin Invisible, quartier Saragosse Pau – CC Bruit du Frigo


Une expérimentation participative pour une appropriation pérenne

Ancré dans le contexte local, l’urbanisme transitoire s’appuie sur l’existant et s’adapte aux besoins du territoire, en impliquant activement acteurs locaux et habitants, pour transformer progressivement leur environnement urbain. En donnant la possibilité à tous de participer à la mutation des quartiers, l’urbanisme transitoire permet une appropriation des transformations par les habitants. Cette démarche horizontale est donc gage d’une appropriation pérenne et permet de préfigurer la seconde vie de ces espaces.

Cette expérimentation au service de l’appropriation, on la retrouve par exemple dans le projet mené par Bruit du Frigo dans le quartier Saragosse de Pau. Ce collectif de création urbaine a effectivement accompagné la transition des différents parcs situés en arrière d’immeubles afin d’amorcer un phénomène de mobilité sur le quartier et de préfigurer le Jardin Linéaire à venir (une future coulée verte).

Grâce à la création de six installations temporaires et réversibles et d’un parcours ponctué d’interventions graphiques et construites, ce projet a permis aux habitants de se réapproprier cet espace et ce notamment grâce à des chantiers participatifs. Durant trois ans, différents ateliers de concertation avec les habitants et les acteurs associatifs locaux ont été organisés afin d’appliquer de manière active les habitants dans cet aménagement temporaire.

Mais ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Car l’urbanisme transitoire permet une diversité de projets qui s’exprime par le foisonnement d’usages différents, de types de sites, d’occupants ou encore de localisation géographique.

Près de 2/3 des projets répertoriés en Ile-de-France son inscrits dans un périmètre de projet urbain (ZAC, NPNRU, PUP etc.) et cherchent donc souvent à déployer une stratégie de préfiguration d’usages ou d’animation du territoire dans l’attente des chantiers.

Etude de l’IAU


Transfert, un tiers-lieu transitoire situé à côté de Nantes
Transfert, un tiers-lieu transitoire situé à côté de Nantes – CC Guillaume Joly


De l’art à l’agriculture : exemples d’usages des lieux transitoires

Si ces projets puisent leur diversité dans les besoins et ressources locales, il n’en reste pas moins qu’il est possible de dégager des grandes tendances dans les usages que ceux-ci favorisent. Entre 2012 et 2017 une étude de l’IAU révélait notamment que les usages liés à l’art, la culture et les loisirs étaient en première ligne de l’urbanisme transitoire de la région Ile-de-France (25%).

Cette programmation culturelle, on la retrouve par exemple à Transfert, un projet qui prend place à Rezé, une commune limitrophe de Nantes. Transfert propose une zone d’art et de culture de 2018 à 2022, afin de réactiver le site des anciens abattoirs avant la métamorphose de ce territoire autour du projet de quartier Pirmil les Isles. Le projet s’appuie sur un aménagement progressif et partiel du site, qui favorise l’éco-construction, l’utilisation de matières brutes, la végétalisation, la récupération et la mise en place de chantiers participatifs. Les espaces bars et restauration sont des lieux d’accueil modulables et proposent des activités artistiques et culturelles : concerts, spectacles, exposition, ateliers…

« L’idée, c’est d’étudier l’impact culturel que peut avoir notre projet dans l’élaboration du futur quartier » explique le directeur de Pick up, l’association responsable du projet. L’ambition du collectif est claire : imaginer une ville différente et tester des alternatives : « 99% des villes sont des bidonvilles qui ont réussi. Nous investissons une zone vierge, et c’est au fur et à mesure que la suite va se dessiner » précise à ce sujet Nicolas Reverdito, directeur de l’association.

Transfert : un tiers-lieu culturel
Transfert : un tiers-lieu culturel installé provisoirement sur le site d’anciens abattoirs bientôt transformé en un éco-quartier


Si les usages liés à la culture à l’art et aux loisirs sont restés dominants entre 2017 et 2019, l’IAU note durant cette période une progression notable des usages liés à l’agriculture, au maraichage et aux potagers avec un taux de 19%. C’est par exemple le cas des usages qui s’opèrent à la Cité Fertile. Pendant 4 ans, ce projet d’urbanisme transitoire de la SNCF Immobilier, opère le passage entre l’ancienne gare de marchandises et le futur éco-quartier de Pantin jusqu’en 2022. Parmi les nombreuses activités qui y sont proposées, ce tiers-lieu donne accès à un potager, une serre et une cour végétalisée afin de faire découvrir aux usagers, petits et grands, la richesse du jardinage, de la biodiversité et de l’agriculture urbaine.

En outre, dans une moindre mesure, les usages liés au développement territorial et à l’économie locale se sont aussi développés (18%). Le projet Pavillon en Chantier à L’Ile-Saint-Denis est une bonne illustration de cet usage. Celui-ci prend place sur le site de l’ancien Pavillon Bourgogne dont la ville a acquis la propriété, initialement pour étendre une école. Alors que l’école s’est finalement densifiée en vertical, l’utilisation de ce site va être tout autre. L’idée est donc d’animer un quartier résidentiel à majorité de logements sociaux tout en anticipant les usages à venir dans un quartier en construction qui, situé à proximité du village olympique de 2024, est amené à beaucoup évoluer après les jeux olympiques.

Entre maison de quartier et manufacture d’artisans, le projet met l’économie sociale et solidaire ainsi que la fabrication, la réparation et le jardinage au cœur de ses activités. Les mercredis après-midi le quartier ouvre par exemple ses portes à des ateliers de réparation de vélo, des cours de menuiserie ou encore des permanences de bricolage.

Enfin, d’autres usages se développent aussi dans les projets récents parmi lesquels les bureaux, ateliers, locaux d’artisanat et fab labs ainsi que la co-construction de projets.

Depuis 2012, la moyenne des projets d’urbanisme transitoires lancés chaque année en Ile-de-France est de 17.

Etude de l’IAU
La Cité Fertile, Pantin
La Cité Fertile, Pantin – CC Adrien Roux


Un avenir prometteur pour l’urbanisme transitoire ?

Depuis 2018, l’urbanisme transitoire s’est institutionnalisé, mobilisant promoteurs, aménageurs, bailleurs, collectivités locales ou encore acteurs de la politique de la ville.

Côté acteurs publics, l’Union Sociale pour l’Habitat (USH) a ainsi publié un guide à destination des bailleurs. L’Agence Nationale de Rénovation Urbaine organise quant à elle des groupes de travail sur l’urbanisme transitoire pour les chargés de projet territoriaux intéressés. La Ville de Paris a élaboré une Charte pour systématiser, dans l’action de ses aménageurs en particulier, le recours aux occupations transitoires. Des acteurs privés s’y intéresse aussi comme le promoteur Novaxia qui a constitué un Fond de dotation spécifique dédié aux projets d’occupations temporaires, doté d’un million d’euros sur 5 ans.

« L’institutionnalisation en cours ne doit pas assécher la richesse des projets qui émergent par le bas. On ne pourra pas déployer une méthode unique sur l’ensemble des projets », explique le sociologue Benjamin Pradel. Se structurer tout en gardant la souplesse et la personnalisation de cette pratique, c’est le défi qui attend l’urbanisme transitoire.

Cette institutionnalisation s’accompagne de plusieurs réflexions sur l’évaluation des dispositifs d’urbanisme transitoire afin d’en optimiser l’impact, qu’il soit financier mais aussi sociétal. Sur ce point précis de l’impact sociétal, avec son étude publiée en 2019, l’agence Approche.s! entend démontrer l’intérêt de tels projets dans des dimensions non pas financières mais davantage sociales et urbaines. Une évaluation des externalités positives engendrée par l’urbanisme transitoire qui est la bienvenue pour crédibiliser ces pratiques et y engager les acteurs publics.

Enfin, permettre une diffusion de l’urbanisme transitoire suppose de progresser dans certains domaines. Penser les projets urbains de façon plus participative et préfigurative, diversifier les équipes de maîtrise d’oeuvre en y intégrant des sociologues, des régisseurs, des artistes, des métiers de l’éducation populaire ou encore permettre l’émergence de nouveaux métiers tels que celui de facilitateur sont autant d’axes de travail essentiel au développement de l’urbanisme transitoire. Aussi, les modèles économiques encore fragiles et incertains de la plupart des projets ainsi que le risque de gentrification qu’ils supposent sont des limites qu’il est nécessaire de prendre en considération afin d’y apporter une réponse adaptée et de faire de l’urbanisme transitoire un modèle réellement viable.


Visuel d’entrée : Cour Oratoire Les Grands Voisins, occupation transitoire entre 2015 et 2020, dans l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul à Paris. CC Yes We Camp

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