En plaçant l’agriculture et l’alimentation en seconde position de ses 17 objectifs de développement durable, l’ONU pointe du doigt les différents défis qui agitent l’agriculture mondiale aujourd’hui, et qu’on peut résumer en trois grandes catégories :

– Réduire ses impacts négatifs sur l’environnement,
– Maintenir un niveau de production suffisant pour faire face à l’accroissement de la demande,
– Maintenir un revenu décent aux agriculteurs et agricultrices.

Un triple défi auquel il faut ajouter les probables mutations de nos régimes alimentaires qui pourraient chambouler la demande sur certains produits comme la viande (dont la demande pourrait diminuer) ou encore les légumineuses (dont la demande pourrait augmenter). Et le tout dans l’optique d’assurer une sécurité alimentaire équitable entre les différentes zones du globe.

Sans oublier qu’en parallèle, il faudra adapter nos pratiques agricoles au changement climatique, et subir un certain nombre d’incertitudes, comme par exemple l’évolution du comportement des bioagresseurs en raison des modifications du climat, l’évolution de la qualité nutritionnelle des aliments ou encore les progrès ou non de la génétique.

À ce titre, d’ici 2050, l’agriculture mondiale devrait subir d’importants changements à la fois en matière de production, de commercialisation et de pratiques. En se basant sur des rapports de l’INRAE (Institut National de Recherche pour l’Agriculture et l’Environnement) et de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation), plusieurs grandes tendances semblent émerger à ce sujet.

chiffres malnutrition monde source ONU


Hypothèses concernant l’évolution des terres agricoles disponibles

De manière globale, l’INRAE estime que les surfaces cultivables mondiales ne devraient pas évoluer beaucoup d’ici 2050, stagnant autour de 5 milliards d’hectares.

Des besoins qui augmentent

Ce chiffre masque cependant de fortes disparités à l’échelle des territoires. Ainsi, les régions d’Afrique Subsaharienne devraient voir la surface de leurs terres cultivées être multipliée par deux en raison d’une explosion démographique et d’un rattrapage nutritionnel. Une situation similaire devrait se produire en Inde qui arriverait alors à une presque saturation de ses terres cultivables. L’Amérique latine, l’Océanie et les pays asiatiques (hors Chine) devraient également voir leurs besoins en surfaces agricoles augmenter dans les prochaines années.

La France, et plus largement l’Europe de l’Ouest et du Sud, verront également leurs besoins augmenter. Une problématique sur nos territoires où l’artificialisation des sols n’est plus possible afin de répondre aux enjeux climatiques.

Des besoins qui diminuent

À l’inverse, certaines régions du monde devraient voir leurs besoins en terres cultivées diminuer dans les 30 ans qui viennent. C’est particulièrement le cas des pays d’Europe de l’Est ainsi que de la Russie, dont la population devrait stagner ou diminuer dans les prochaines années. Ces pays pourraient ainsi dégager environ 50 millions d’hectares de surplus de terres.

Des surplus qui pourraient devenir de véritables avantages comparatifs pour répondre aux effets du changement climatique et à la modification de nos régimes alimentaires. En Europe, par exemple, l’augmentation de régimes incluant davantage de cultures d’oléoprotéagineux (colza, soja, pois, tournesol) – en réponse à la nécessité de réduire l’impact de l’agriculture sur l’environnement – pourrait profiter de ces surplus de terres afin de réduire nos importations.

chiffres agriculture mondiale


Vers un développement de « surplus de terres » en Europe de l’Est

On peut imaginer que l’augmentation de la population mondiale va impliquer une augmentation de l’urbanisation des territoires. Or, cette urbanisation accentue les effets négatifs du changement climatique (perte de la biodiversité, diminution des zones boisées et zones humides essentielles au stockage du carbone). De nombreux pays arriveront donc probablement à la limite de leurs surfaces agricoles disponibles dans les années à venir. Ils devront alors se tourner vers l’international pour subvenir à leurs besoins.

Les régions qui vont dégager des surplus de terres (USA-Canada, Europe de l’Est et Russie) pourraient ainsi les mettre à profit afin d’assurer la sécurité alimentaire mondiale tout en produisant des cultures ayant un impact positif sur l’environnement. Ces pays étant des pays développés, ce sont ceux où la consommation en produits d’origine animale devrait diminuer au profit d’un régime plus conséquent en nouvelles protéines (algues, insectes mais aussi légumineuses).

À l’heure actuelle, par exemple, 80% des importations européennes d’oléagineux concernent le soja cultivé en Amérique du Sud. Une culture qui se fait au détriment des prairies naturelles et des forêts, en premier la forêt Amazonienne. Mettre à profit nos terres cultivables pour développer des légumineuses pourrait ainsi réduire notre dépendance aux importations tout en ayant un impact positif sur l’environnement. Selon les scenarios de l’INRAE, la mise en culture des surplus de terres en Europe centrale et Europe de l’Est pourrait permettre la production de 4 millions à 44 millions de tonnes de soja chaque année. La Russie pourrait en produire entre 52 et 132 millions de tonnes. Entre 41 et 123 millions de tonnes pour la zone Canada-USA.

L’idéal serait cependant que les surplus de terres servent à des combinaisons de différentes protéagineuses (soja, colza, pois, tournesols, etc.) car ces cultures ont aussi des propriétés en matière de captation de l’azote dans le sol, par exemple, qui permettrait de réduire l’usage d’intrants chimiques. L’augmentation de ces cultures figure parmi les recommandations de la FAO et sont au coeur des pratiques agroécologiques.

chiffres production légumineuses france
chiffre production soja France


Vers un développement de l’agroécologie en Europe

La pression de l’agriculture européenne sur les écosystèmes ainsi que l’évolution des exigences de la société en matière d’alimentation imposent aux pays européens de repenser leurs modèles. À minima, de réduire l’utilisation d’intrants chimiques (pesticides, insecticides) dans les exploitations.

Cependant, ces modèles agricoles doivent également évoluer en prenant en compte une autre problématique : la diminution probable – au moins en France et en Europe du Sud – des ressources en eau. L’augmentation du stress hydrique durant l’été, période de plus forte croissance des cultures, entrainerait mécaniquement une diminution des rendements et donc augmenterait le besoin en terres cultivables et/ou la dépendance à d’autres pays.

C’est là qu’entrent en jeu l’agroécologie et l’agriculture de précision. Il s’agit d’un ensemble de pratiques agricoles qui consistent surtout à limiter le recours aux produits phytosanitaires et le travail intensif des sols en les substituant par des solutions basées sur les écosystèmes naturels. Il ne s’agit pas de revenir au moyen-âge mais bien d’adapter des pratiques ancestrales en s’appuyant sur les progrès de la science et de la technologie.

C’est un mélange entre des pratiques simples (comme le recours à de petites parcelles, à des associations de cultures, des rotations régulières, à une couverture végétale des champs, à l’agroforesterie ou encore à la permaculture) et des pratiques complexes (utilisation de la technologie, du numérique, d’études scientifiques pour suivre et optimiser les performances des cultures).

Quelques articles pour comprendre l’Agroécologie

 

Des études de l’INRAE qui tendent à prouver que : 

 

Des travaux sur : 

 

En France, ce modèle est notamment porté par l’INRAE qui possède une vaste unité de recherche (environ 500 scientifiques) qui travaillent sur ce sujet. En accord avec les prévisions faites sur les modifications des régimes alimentaires et les besoins en terres cultivables, l’agroécologie pourrait donc rendre nos modèles agricoles plus performants en matière de rendements (donc besoin de moins d’espace) et plus résilients aux modifications du climat.

Récemment, l’INRAE s’est d’ailleurs rapproché de 23 autres organismes de recherche en Europe afin de co-construire une démarche entre agriculteurs européens et scientifiques autour des problématiques suivantes :

– Développer des systèmes de production plus résistants aux maladies
– Exploiter le potentiel de la sélection végétale
– Développer l’agriculture de précision

agrivoltaisme
l’agrivoltaisme : une solution pour protéger les cultures tout en produisant de l’énergie ?


Des sources d’incertitudes concernant cette étude prospective

Evidemment, cette étude réalisée par l’INRAE en association avec Pluriagri comporte des sources d’incertitudes et des perspectives de recherche supplémentaires.

En premier lieu, elle se base sur des estimations en matière de rendements qui s’appuient sur des statistiques (en matière de pluviométrie, température, concentration de CO2) mais qui pourraient varier différemment dans les années à venir. D’autre part, elles incluent des évolutions techniques estimées par la FAO mais qui restent difficiles à évaluer.

Enfin, elle se base sur un monde hypothétique où les mécanismes économiques, sociaux et politiques actuels prévaudraient encore dans 30 ans.

Par ailleurs, des recherches complémentaires sont nécessaires pour approfondir deux sujets. Le premier concerne les progrès de la génétique. Ils permettraient peut-être (ou non) de sélectionner plus facilement des cultures capables de suivre les évolutions du climat. Le second concerne l’évolution du comportement, du nombre et de la diversité des bioagresseurs qui, en fonction des évolutions du climat, pourraient impacter les rendements des cultures.

En dernier point, des recherches récentes mettent en évidence le lien entre la concentration atmosphérique en CO2 et la qualité nutritionnelle des produits végétaux récoltés. Un lien qui se traduit par une baisse des teneurs en protéines, oligoéléments et vitamines.

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