L’accroissement de la population, l’aveuglement du profit ajouté à nos progrès techniques nous entraînent au pillage des océans.
Anita Conti
28 Juillet 1952, Fécamp. Anita Conti embarque à bord du navire « Bois-Rosé ». Objectif : une campagne de pêche de 5 mois au large des côtes de Terre Neuve pour chasser, dans la Mer du Labrador, les bancs de morues jusqu’aux limites des rivages du Groenland. Après de longues années passées à étudier la mer, ses ressources et les marins qui y vivent, Anita Conti prépare un récit de voyage qui paraît, l’année suivante sous le titre « Racleurs d’Océans ». L’ouvrage fait l’éloge des marins-pêcheurs mais alerte également sur la fragilité des écosystèmes marins.
En 1953, Anita Conti alerte ainsi le grand public sur les dangers de la surpêche. Dans les années qui suivront, elle ne cessera de mener des recherches sur la mer et la pêche, faisant notamment la promotion de l’aquaculture pour préserver les ressources halieutiques et proposant des recherches sur des procédés de pêche sélectifs.
La première femme à devenir océanographe
Née à Ermont en 1899, Anita Conti est décédée à l’âge de 98 ans à Douarnenez. Elevée dans une famille aisée, elle profite des nombreux voyages et séjours de ses parents pour découvrir la Mer. La passion de toute sa vie. Elle épouse en 1927 un diplomate – Marcel Conti – et entame une carrière professionnelle de relieuse d’Art. Mais sa passion première pour la mer l’emporte : Anita Conti embarque sur des navires, navigue et rédige des articles sur la Mer, illustrés de ses photos, publiés dans différentes revues féminines.
Ses papiers sont remarqués et elle devient en 1934 journaliste observatrice pour le compte de l’OSTPM (Office Scientifique et technique des Pêches Maritimes), un organisme gouvernemental aujourd’hui dénommé IFREMER (Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer). Cette constante proximité avec les marins et l’eau lui permet d’acquérir une formation autodidacte qui lui confère le titre d’Océanographe. Elle sera la première femme en France à effectuer ce métier. Son sens de l’observation, la qualité de ses notes et la pertinence de ses analyses lui permettent de contribuer à l’élaboration de nouvelles cartes maritimes et sous-marines, servant en particulier à répertorier les zones de pêche.
En 1940, pendant la Seconde Guerre Mondiale, elle embarque sur un dragueur de mines et participe également à l’évacuation de la poche de Dunkerque. De 1941 à 1947, les autorités et gouvernements successifs lui confient des missions de repérage et de cartographie des ressources halieutiques au large des côtes de l’Afrique Occidentale.
Là-bas, elle forme des artisans-pêcheurs locaux à qui elle apprend des améliorations techniques dans les méthodes de capture et de conservation des poissons. Elle participe à la création de pêcheries et à l’implantation de fumeries de poisson. Elle s’attache également à faire connaître les vertus de nouvelles espèces de poissons aux populations locales. En 1950, elle rentre à Paris à la suite d’une brève et infructueuse expérience d’une pêcherie au large de la Guinée.
Dès avant la Seconde Guerre Mondiale, elle se forge une certitude : au rythme des quantités pêchées, la ressource halieutique ne peut-être suffisamment conservée.
De la cartographie à l’écologie
En dressant ses premières cartes des zones de pêche, Anita Conti prend également en note les autres paramètres (courants dominants, température de l’eau en surface et en profondeur, salinité, force des vents) et surtout elle observe les poissons et les techniques de pêche employées par des hommes rudes qu’elle admire et qui la reconnaissent comme une des leurs.
Dès avant la Seconde Guerre Mondiale, elle se forge une certitude : au rythme des quantités pêchées, la ressource halieutique ne peut-être suffisamment conservée. Dès le milieu du siècle, l’exploitation des fonds marins tend à la surpêche. D’abord en raison des quantités pêchées, mais également pour les dommages collatéraux causés sur des poissons « non-désirés ». Même si elle admire le travail de force des marins, elle s’inquiète de ce qu’un navire de haute mer puisse capturer en une seule campagne jusqu’à 1 000 tonnes de poissons. (Aujourd’hui en moyenne, la pêche hauturière – en 180 jours de campagne en moyenne par an – représente quelque 2 700 tonnes par navire à minima). À ce rythme les prélèvements actuels de certaines espèces deviennent insupportables.
Dans ses articles, Anita Conti s’inquiétait donc de ce que la Mer puisse être considérée comme une ressource inépuisable. Elle dénonçait aussi le rejet des « faux-poissons » c’est-à-dire ceux qui n’intéressent pas les pêcheurs et qui sont rejetés sans vie. Aujourd’hui pour obtenir 15 tonnes de poissons congelés propres à la vente, ce sont 40 tonnes de pêches non sélectives qui sont prélevées (Rapport de M. Daniel Fasquelle, Député du Pas de Calais, Juin 2011). Anita Conti plaide dès les années 1940 pour que les « faux-poissons » soient conservés à bord, traités et utilisés pour nourrir les populations.
Pour autant les professionnels de la filière mettent en garde contre les effets pervers du « Zéro rejet » dans la mesure où nombre de poissons rejetés peuvent reprendre vie, et aussi parce que tout ce qui est prélevé n’est pas consommable, du moins directement, par les Humains.
J’ai vu tant d’efforts perdus, tant de masses de bêtes, de débris tout frais retomber dans cette mer dont ils venaient d’être arrachés. Les bateaux rejettent des tonnes de matières alimentaires : ailleurs, des territoires entiers sont privés de nourriture.
Anita Conti
Une pionnière en matière de pêche durable
Anita Conti a été une lanceuse d’alerte. Elle a permis une première prise de conscience de la fragilité du milieu marin. C’est une pionnière qui, dès 1960, encourageait à la création de fermes aquacoles, une activité nouvelle, pourvoyeuse d’emplois non délocalisables, permettant des circuits d’acheminement très courts. Autant de solutions et de propositions qui prennent aujourd’hui, 60 ans plus tard cependant, tout leur sens.
Pour illustrer sa vie si riche, Anita Conti a pris au total quelques 60 000 photos dont 45 000 ont constitué un fond que son fils, le Plasticien Laurent Girault-Conti, a légué aux Ports de Fécamp, Douarnenez, ainsi qu’à la ville de Lorient. Si son admiration pour les Marins qui font le « Grand Métier » est sans bornes, elle reste lucide dans ses observations lorsqu’elle écrit que « l’accroissement de la population [mondiale], l’aveuglement du profit ajouté à nos progrès techniques nous entraînent au pillage des océans ».
Jusqu’à l’âge de 85 ans, Anita Conti a navigué, alternant conférences et colloques pour partager sa passion, ses expériences et transmettre ses convictions. Avant de poser son sac dans la Baie de Douarnenez. Aujourd’hui, la surpêche pose toujours d’énormes problèmes, notamment car les techniques ont évoluées, mais dans le mauvais sens, à l’image de la pêche électrique défendue par les Néerlandais. Les ressources halieutiques mondiales sont en berne un peu partout et les écosystèmes souffrent en parallèle des effets néfastes du changement climatique via l’acidification des océans.
Plus que jamais, la pêche durable et la préservation des ressources doit se poser comme l’une de nos priorités. En ce sens, les travaux d’Anita Conti méritent d’être mis en lumière… avec 60 ans de retard.