À l’occasion du Congrès International du Bâtiment Durable Cities to Be à Angers début septembre, nous avons posé quelques questions à Hervé Allègre, Délégué Général de l’Institut pour la Ville Durable, devenu France Ville Durable après sa fusion avec le réseau Vivapolis. Nous l’avons interrogé sur les composantes essentielles des villes de demain, sur les exemples les plus aboutis à l’heure actuelle, mais aussi sur les nombreux freins au développement de ces territoires durables. Avec une problématique en toile de fond : comment passer de la théorie à l’action, en prenant en compte l’urgence climatique ?
Les Horizons : Hervé Allègre, quelle est votre définition de la ville durable ?
Hervé Allègre : Une ville durable c’est une ville sobre, inclusive, attractive et résiliente. Mais aussi démocratique et tournée vers l’humain. Une ville dans laquelle les citoyens trouvent toute leur place. La ville, elle est au service des Hommes. On peut se dire que ce que je viens de dire sont des banalités, mais si on relit à une échelle non européenne, ça n’est pas une évidence. Et puis, en matière de ville de durable, il y a une question de taille qui s’impose, car il y a des niveaux d’échelles plus faciles à travailler que d’autres.
Pour réfléchir à cela prenons du recul : qu’est ce qui séduit les non-européens dans la ville européenne ? C’est une ville dans laquelle on peut et on a du plaisir à se déplacer à pied. Prenons l’exemple d’une ville de la taille d’Angers. Elle a toutes les fonctions éducatives, les fonctions de santé, les fonctions d’alimentation, de logement, de déplacement. En Europe c’est probablement à peu près à la bonne taille.
Pourtant, on a souvent l’impression que la ville durable est un concept réservé aux métropoles…
La vraie question est : “est ce que la ville durable serait réservée aux métropoles, parce qu’elles ont des moyens ?” Jusqu’ici, on était encore dans la culture des métropoles en France. Mais à un moment, on en touche les limites. Oui les métropoles ont les moyens de la transformation parce qu’elles ont des budgets facilement modulables.
Trouver des moyens pour créer de l’intelligence ou se faire aider par de l’intelligence quand vous êtes Paris ou Lyon, c’est plus simple. C’est un problème de capacité de maîtrise d’ouvrage. Soit vous arrivez à vous doter de la capacité de maîtrise d’ouvrage quand vous êtes une collectivité, une agglomération, ou une communauté urbaine, soit vous n’avez pas ces moyens et vous ramez en faisant ce que vous pouvez.
Les modèles les plus avancées sont probablement les villes nordiques
Que peut on faire alors pour faciliter ce développement ?
Il faut diffuser les pratiques. Il faut former. Le monde se transforme. On a formé pour le monde actuel, mais il devient urgent de former aussi au monde de demain.
Cela sera suffisant face au manque de moyens que vous venez d’évoquer ?
Il n’y a pas vraiment d’autres voies. Il faut de toute façon passer par la formation. Et il faut le faire localement. Or, notre héritage est celui d’un pays centralisé. L’évolution en France est longue à se dessiner. On ne pourra faire des projets pertinents qu’avec des gens qui connaissent le terrain où ils sont réalisés.
On ne fait pas de projets pertinents pour Angers à partir d’une tour de la Défense, ou d’une working place à Mountain View, Palo Alto ou Shanghai. Même si on a les meilleurs outils, ce n’est pas comme cela que l’humain se mobilise. L’Homme est “territorialisé”. On vit quelque part, on vit là où on est.
C’est pourquoi la diffusion est l’une des missions prioritaires de l’Institut pour la Ville Durable ?
Effectivement, une de nos missions est de diffuser et de promouvoir la ville durable et ses savoir-faire. On a tout le monde à bord : l’Etat, les collectivités, les entreprises et experts français. On croit à la fois à la proximité et au modèle européen, notamment dans sa dimension caractéristique d’intérêt général.
Par exemple, en Europe il est considéré comme normal que tout le monde ait un droit d’accès aux services de base : la santé, l’éducation, le logement, l’alimentation etc. Et que ces services soient fournis de manière aussi équitable que possible. Mais cela n’est pas un modèle mondial. Aux Etats-Unis, vous payez ou alors vous n’êtes pas soigné et souvent peu éduqué. Et c’est pareil dans beaucoup de pays du monde, pour des raisons diverses. En dehors de l’Europe les pays appliquant ce modèle représentent une très petite minorité.
Les projets, les solutions, cela se décide au niveau local
Il y aurait donc plusieurs modèles de villes durables ?
Le développement durable repose sur trois piliers : économique, environnemental et social. N’oublions pas le social. Le social, c’est l’inclusif. Beaucoup de gens parlent de villes durables en dehors de l’Europe, et parfois certains ont tendance à oublier cette dimension inclusive qui est essentielle.
Par exemple, une des villes les plus remarquables dans le monde, c’est Singapour. Singapour, pour faire simple, c’est très bien géré. Par exemple, Singapour n’a aucun mal à maîtriser son foncier, pour la simple et bonne raison que le foncier est la propriété de l’Etat. Or, quand l’État a fait des études concernant l’impact du réchauffement climatique, il a décidé de démolir certains gratte-ciel pour créer des courants d’air naturels au sein de la ville, cela limite les îlots de chaleur et c’est très performant dans cet objectif… mais Singapour c’est une ville où la décision est très centralisée et une ville pour les catégories aisées, mais pas ce n’est pas une ville démocratique, ni inclusive.
Existe-t-il des exemples de villes qui remplissent tous les critères ?
Les modèles les plus avancées sont probablement les modèles nordiques. Ils ont tout d’abord une longue tradition de bonne gestion, de solidarité et de confrontation à de fortes contraintes naturelles. Oslo ou Copenhague, sur le social, sur la mobilité c’est remarquable.
La ville est au service des Hommes
Pour revenir en France, quels sont les modèles de villes durables les plus aboutis ?
Des modèles complètement aboutis aujourd’hui il n’y en a pas. Mais il y a beaucoup de villes en transition qui sont labellisés Ecocités, territoires d’innovation ou autres. On peut citer l’exemple de Loos-en-Gohelle qui fait des choses intéressantes en matière de transition écologique. Mais il reste globalement beaucoup à faire. Aujourd’hui le modèle de développement hérité de la Seconde Guerre Mondiale, voire même de la Révolution Industrielle, reste tellement imprégné qu’on a des avancées qui améliorent la situation, mais pas de choses complètement abouties à l’échelle d’un territoire élargi.
Par ailleurs, on a des îlots extraordinaires, créés par des militants engagés qui développent des fonctionnements communautaires. Mais ces fonctionnements communautaires ne sont pas inclusifs car, par définition, ils regroupent des volontaires. Par exemple les communautés Colibri de Pierre Raby sont formidables. Mais ça ne va pas suffire. Il faut arriver à changer d’échelle en embarquant beaucoup plus de monde. Cette large diffusion des pratiques durables est un challenge exceptionnel mais aussi une nécessité
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Propos recueillis par Mathieu Desprez et Guillaume Joly