Dans le combat contre le réchauffement climatique et ses conséquences dramatiques pour l’humanité, les collectivités territoriales cherchent à se réinventer. Et au premier rang figurent de nombreuses villes qui expérimentent et échangent pour trouver des solutions durables à leur développement.

Ce fut d’abord avec l’apparition de la smart-city, la ville technologique au service d’un environnement durable. Un créneau, en France, notamment incarné par la métropole de Dijon. Mais aussi avec les villes vertes, comme en témoigne l’exemple européen d’Oslo. Et puis, cela se démontre par la présence sur la scène internationale de certaines grandes métropoles qui se sont regroupées en un réseau, le C40, afin d’accélérer la transition écologique des villes.

Il y a cependant une tendance qui émerge à l’heure actuelle : il n’y aura pas qu’une seule ville durable. Elles seront nombreuses. Elles auront des caractéristiques liées à différents environnements : politique, géographique, culturel. Elles pourront prendre différentes formes en fonction des atouts et inconvénients de leurs territoires. La transition écologique a cela de passionnant qu’elle devrait ainsi permettre de renouer avec une plus grande diversité architecturale et urbanistique. Mais aussi sociale et économique. Et cela, en réponse à la nécessité pour les villes de faire face à un accroissement de leur population sans avoir pour autant les moyens de s’étendre.

Tokyo urbain
Tokyo, ville particulièrement dense, peut-elle devenir un modèle de ville durable ? – Photo : Romain Dumouchel


Densifier les villes de manière durable

En effet, parmi les différentes problématiques auxquelles nous sommes confrontés à l’heure de la transition écologique, il se pose celle de l’étalement urbain et de la croissance démographique. Car si l’on se fie aux chiffres de l’ONU, la planète devrait accueillir 2 milliards d’humains supplémentaires d’ici 2050. Et surtout, les 2/3 de l’humanité (68% toujours d’après l’ONU), devrait vivre en ville.

Dans ce cadre, les villes devraient mécaniquement s’agrandir. C’est la seconde variable de cette équation : pour nourrir toujours plus de monde, il faut des terres agricoles. Or, l’étalement urbain des villes participe à l’artificialisation des sols et va à l’encontre de nos besoins alimentaires. La solution la plus viable consisterait donc, non pas à étendre les villes à l’infini, mais davantage à les densifier. C’est ici qu’on fait rentrer une troisième variable dans notre équation : peut-on réellement densifier nos villes tout en les rendant durables d’un point de vue social, économique et environnemental ?

Ce volet est celui qui implique la multiplicité des formes de villes durables que nous devrions voir émerger dans les années à venir. Et parmi ces différentes possibilités, il y en a une qui s’appuie sur de nouveaux usages en forte progression aujourd’hui : les usages de l’économie du partage. Et dans la foulée, l’idée de développer ce qu’on appellerait une « ville du partage ».

autoroute cyclable nimègue


L’économie du partage, pilier de la ville durable

La ville du partage, ou ville partagée, c’est un modèle de métropole qui se base donc sur les préceptes de l’économie du partage. Il prend sa source sur l’explosion des nouveaux usages parmi lesquels on peut citer le covoiturage, les jardins partagés, la colocation, le prêt de matériel, de jouets, de livres ou de vêtements, et d’autres. En France, ce concept pourrait avoir un écho positif.

D’après une étude de la Direction Générale des Entreprises (DGE) réalisée en 2015, neuf français sur dix avaient alors déjà réalisé une pratique de consommation collaborative et deux tiers d’entre eux avouaient être désormais prêts à partager leurs objets plutôt que les posséder. Un boom des usages qui se vérifie aussi en matière de création d’entreprises. D’ailleurs, parmi les sociétés françaises sélectionnées par Bercy pour intégrer l’indice Next40 (composé des sociétés françaises non cotées à haut potentiel international), figurent déjà 2 champions de l’économie du partage : BlaBlaCar et HomeExange.

Cette dernière est une plateforme d’échange de maisons ou d’appartements. Une alternative à la location qui relève du gagnant/gagnant et qui résonne de plus en plus positivement dans les mentalités. Elle nous mène sur la piste de ce qui pourrait demain devenir une « ville partagée« . C’est à dire une ville où l’on va optimiser et gérer de manière agile les espaces afin de la rendre plus adaptable à l’augmentation de la population. Une forme qui existe d’ailleurs déjà sur d’autres problématiques.

On peut mettre en avant, pour le comprendre, le cas de Zenpark. Cette startup travaille sur une solution technologique qui permet de partager, voire de mutualiser intelligemment les places d’un parking souterrain. « Grâce à l’analyse en temps réel des usages, on a crée l’équivalent de 30% de places supplémentaires sur un parking” nous précisait à ce sujet William Rosenfeld, CEO de cette entreprise qui pense que l’avenir du stationnement urbain réside justement dans cette notion. “Aujourd’hui, dans une zone nouvellement construite, on ne vise qu’un seul parking qui va répondre à tous les usages : résidentiel, tertiaire et qui peut faire office de parking public. »

parking sous-sol
Les solutions de parking partagé et mutualisé existent déjà


Quelles pistes pour imaginer une ville du partage ?

Ainsi, si l’on peut gagner 30% de places supplémentaires sur un simple parking, quel gain pourrait-on imaginer en mutualisant davantage le reste d’une ville ? Pour Olivier Padis, du Think-Tank Terra Nova et auteur d’un rapport intitulé « mieux vivre dans la ville dense », l’idée de ville du partage « permettrait sans doute de pouvoir allouer différemment au moins 20% des espaces« . Ce qui ouvre des perspectives intéressantes.

Il s’agirait alors de rendre totalement modulables certains espaces dans les bâtiments. À titre d’exemple, les jeunes générations font partie de celles qui réinventent déjà leur rapport au travail, en démocratisant la pratique du télétravail. Ainsi, dans un appartement, une place est désormais presque systématiquement réservée à la création d’un espace de travail. Alors, sur un immeuble de dix appartements, au lieu d’avoir 8 petites pièces devenues des bureaux, on pourrait imaginer un espace commun qui deviendrait l’espace de co-working de l’immeuble.

D’autres exemples sont aussi étudié : on a parlé des parking et des jardins partagés ; mais on peut aussi imaginer la mutualisation des terrasses, la mise à disposition de cuisines collectives ou la création de pièces communes pour le divertissement (bibliothèque, télé, etc.). À ce niveau, le défi réside surtout dans la capacité des architectes et des urbanistes à penser des bâtiments entièrement modulables (c’est à dire avec des pièces dont l’usage n’est pas pensé à l’avance) afin que les habitants puissent se les approprier.

covoiturage
Le covoiturage intégré aux transports collectifs, une vision qui se développe pour réduire l’usage des véhicules individuels.


Une vision utopique de la ville ?

Sans être pleinement utopique, cette vision de la ville et de ses usages nécessite cependant, pour voir le jour, que des moyens techniques et financiers pour repenser les offres de transports, de consommation voire même d’alimentation soient mises en place. Mais lorsqu’on s’aperçoit de l’essor du covoiturage, on ne peut présager de rien. « Il y a 20 ans, la voiture était présentée comme une extension du logement et toutes les études de consommateurs nous disaient : les gens sont dans leur voiture comme chez eux, c’est quelque chose qu’ils ne partageront jamais » rappelle à ce sujet Olivier Padis. Aujourd’hui, pourtant, au-delà du covoiturage, il existe des solutions de partage de voiture qui fonctionnent à merveille, à l’image de ce que propose en France la société Ouicar.

Surtout, il faudra aussi que cette vision soit partagée… par les habitants de la ville. Ici encore, il existe différentes alternatives, comme l’habitat intergénérationel ou, au contraire, des immeubles dans lesquels des communautés se créent en fonction de leurs habitudes et usages. Vision inclusive ou communautaire ? La ville du partage pourrait évidemment se heurter à des limites avant même d’exister. D’abord, il faudrait pour cela repenser la manière dont les bâtiments actuels sont conçus. Et puis se posent des questions d’usage : qui gère l’entretien des parties communes et les règles de copropriété ?

Ceci étant, du point de vue de la ville durable, cet aspect présenterait beaucoup d’avantages. Un logement adaptable et adapté à l’économie du partage permettrait de développer de nouveaux usages à domicile, dont en partie le travail. Une vision qui implique alors moins de transport et un transport qui ne se fait plus de manière individuelle, donc moins de congestion. Et à la fin, moins de pollution. D’autre part, l’étalement urbain étant limité par le gain d’espace, cette vision de la ville dense permet aussi de préserver les terres agricoles et de repenser notre alimentation, de manière locale, et en circuit-courts.

Et enfin, cette vision partagée des habitats et des usages pourrait aussi participer à plus de solidarité, d’échanges et de relations de proximité entre les habitants de la ville.

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