Six pieds sous terre… la vie ! Selon les estimations, ce n’est pas moins d’un quart de la biodiversité de la planète qui se trouve sous terre. Champignons, vers de terre, insectes ou encore bactéries : nul besoin de creuser bien loin pour s’apercevoir que les sols regorgent d’organismes vivants essentiels à la vie humaine, en particulier pour l’agriculture. Ces organismes assurent ainsi la bonne santé du sol et rendent bien des services, parmi lesquels la formation de nutriments, la production de biomasse et le stockage du carbone.

Problème : les activités humaines négligent trop souvent les risques qu’elles font peser sur cet écosystème exceptionnel. D’après l’IPBES (Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques), la dégradation des sols a réduit de 23 % la productivité de l’ensemble de la  surface terrestre mondiale.

Parmi les principales responsables, nos pratiques d’exploitation agricole, qui reposent souvent sur des intrants chimiques qui déstabilisent les sols, ainsi que les déversements industriels, accidentels ou non. Rien qu’en France, on recensait en 2021 plus de 9 500 sites pollués par les activités industrielles. Un chiffre qui monte à 2,8M en Europe. Qu’il s’agisse de fuites d’hydrocarbures, d’écoulements de substances polluantes ou de recours aux intrants de synthèse, le bilan est souvent critique. Si l’on ajoute à cela l’artificialisation et ses dégâts, l’érosion et autres facteurs, ce sont ainsi 70% des sols qui sont dégradés dans l’Union Européenne. Un constat alarmant, qui a conduit l’exécutif européen à compléter son plan d’action « zéro pollution » à horizon 2050 d’une stratégie visant spécifiquement les sols d’ici 2023.

Face à ces phénomènes, des méthodes de dépollution inspirées de la nature commencent à voir le jour. La bioremédiation en fait partie. Le procédé consiste à dépolluer une zone dégradée par des substances chimiques organiques ou par des métaux en utilisant des micro-organismes. En la matière, le mycélium des champignons s’avère un moyen d’action particulièrement intéressant. Ses mécanismes biologiques lui permettent en effet d’accumuler les métaux lourds dans leurs parties aériennes et de désintégrer les hydrocarbures. Des propriétés qui ont inspiré Gil Burban, qui fonde YpHen en 2018 et propose de dépolluer les milieux grâce à des « actifs fongiques ».

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Le biomimétisme au service de la dépollution

Lorsqu’il découvre le mycélium et ses propriétés exceptionnelles, Gil Burban songe aux applications possibles des champignons à des fins industrielles. D’abord intéressé par le développement de biomatériaux et la dépollution des sols, les essais qu’il réalise avec sa startup Polypop finissent par sortir du laboratoire pour devenir une expérience grandeur nature. A Marseille, sur un chantier du groupe Eiffage, des champignons grignotent ainsi pendant quatre mois les produits pétroliers contenus dans le sol et les font disparaître. Une expérience probante après dix ans de recherche et d’essais.

C’est sa rencontre avec Mathieu Pillet qui mène à la création de l’entreprise YpHen en 2018. Ils réalisent ensuite des essais sur de petits volumes de terre, issus des chantiers de la filiale suisse Colas, s’adossent à des laboratoires et collaborent également avec l’université de Genève. L’entreprise met sur pied en parallèle leur « Mycofactory », « un outil industriel au process automatisé » pour créer des solutions qui reposent sur l’observation des mécanismes naturels des mycéliums.

La startup, qui dispose désormais d’une « mycothèque » de vingt-cinq souches propose ainsi plusieurs produits qui peuvent être pulvérisés sur les friches à dépolluer où qui peuvent être directement mises en sol grâce à un procédé développé par l’entreprise qui consiste à encapsuler dans des billes faites à base d’algues biosourcées des « graines de champignons », qui sont ensuite plantées dans les sols dégradés.

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Une usine en projet pour industrialiser l’activité

Désormais, et après de premiers tests concluants, l’entreprise entend maintenant passer à l’échelle. C’est pourquoi YpHen cherche à présent à construire sa première usine. Soutenue par la Région Auvergne-Rhône-Alpes, la startup a clôturé en juin dernier un tour de financement de 2,2M d’euros pour amorcer sa phase de pré-industrialisation. Parmi les contributions, BpiFrance apporte une enveloppe de 600 000 euros pour sécuriser la feuille de route et définir l’itinéraire technique de ses procédés industriels. Une levée de fonds à hauteur de 8M d’euros est prévue d’ici la fin de l’année pour pouvoir débuter la construction de l’usine en 2023.

Lauréate du Prix Eco-tremplin 2022 organisé par Radio Mont-Blanc et des CIC Business Awards en 2021, la startup, qui compte une douzaine de personnes s’agrandit et poursuit son développement. Avec pour but de préserver et restaurer les sols, les solutions YpHen pourraient être particulièrement intéressantes pour les secteurs industriels, des transports et du BTP.

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