Ce mercredi 11 septembre 2019, Thierry Cotillard, président du groupe de grande distribution Intermarché, annonce que ses équipes vont modifier les recettes de quelques 900 produits alimentaires. Pourquoi ? Eh bien pour que les 900 produits en question puissent obtenir une meilleure note sur l’application mobile Yuka. Une annonce symbolique puisqu’elle cristallise la nouvelle puissance des ces start up qui misent sur la transparence afin d’éclairer les consommateurs dans leurs choix. Et symbolique puisqu’il illustre la manière dont les jeunes pousses font petit à petit bouger les lignes de l’industrie alimentaire.
Yuka est évidemment l’une des plus médiatisées d’entre elles, tout comme Too Good To Go, l’application anti gaspillage alimentaire, dont la fondatrice – Lucie Basch – conseille le groupe Carrefour. D’autres noms plus confidentiels pour le grand public ont également leur influence, à l’instar de Scan Up, par exemple, qui travaille avec les entreprises agroalimentaires pour les aider à co-construire avec leurs clients de nouvelles recettes. Un signe des temps qui changent ; et la preuve que la transition alimentaire est en marche.
La transparence pour restaurer la confiance
La décision du groupe Intermarché est éloquente pour mettre en valeur la nouvelle puissance des applications comme Yuka. Les dernières décénnies ont été marquées par les limites de l’industrie agroalimentaire : des scandales sanitaires en séries, de la vache folle au lait contaminé en passant par des steak de cheval et autres bactéries E.Coli. Des scandales qui ont rendu méfiants – à juste titre – les consommateurs. Or, à l’heure de la transition écologique, et alors que notre modèle agricole et alimentaire change, cette méfiance se retourne contre les marques.
Yuka, rappelons-le, est une application mobile qui permet de connaître la composition d’un produit alimentaire en le scannant avec son téléphone. En fonction de la liste des ingrédients, l’application donne une note sur 100 à chaque produit. Mais attention, si le produit obtient une note inférieure à 50 (ce qui signifie : produit ultra-transformé / mauvais nutri score), l’application recommande un produit similaire, d’une autre marque, qui possède un meilleure score.
Ce principe malin permet de redonner un peu de pouvoir aux consommateurs. Cela éclaire les choix et permet de mieux s’alimenter. C’est aussi une façon de ne pas céder aux sirènes du greenwashing. À date, Yuka revendique près de 8,5 millions d’utilisateurs qui scannent en moyenne 2 millions de produits chaque jour. Et des applications de ce type, il en existe plusieurs, aussi bien pour l’alimentation que pour les cosmétiques (une des plus connues étant QuelCosmetic, développé par l’association UFC-Que Choisir). Le concept émerge également dans le domaine de la mode, avec l’apparition récente de Clear Fashion.
Jusqu’ici, on pressentait que ces applications pouvaient avoir une conséquence sur la politique des industriels et grands groupes. Ceux qui commercialisent des produits « mal notés » devaient un jour où l’autre en pâtir. C’est désormais officiellement le cas avec Intermarché qui va passer en revue 900 produits pour en revoir les formules. L’objectif du groupe est notamment de supprimer les additifs comme le dioxyde de titane ou le glutamate. On note que ces changements vont se faire en collaboration avec Yuka. Un autre signe des temps actuels : la collaboration des industriels avec les start up afin de mieux coller aux attentes des consommateurs.
La co-création pour se rapprocher des consommateurs
Cette tendance à la collaboration entre acteurs traditionnels et start up n’est pas une innovation en soi. Mais dans le domaine de l’alimentation, il s’agit d’une étape supplémentaire qui est désormais franchie. En effet, pour les entreprises de l’agroalimentaire, la plus -value ne consiste pas à aller chercher un quelconque avantage technologique ou de nouvelles compétences : désormais, les industriels ont besoin de collaborer avec ces nouvelles entreprises afin de se rapprocher des consommateurs.
« Cette démarche de dialogue direct et collaboratif entre consommateurs et PME est source de progrès et de création de valeur. Cela va dans le sens du consommateur qui souhaite une alimentation saine et durable« , rappelle Dominique Amirault, Président de la FEEF, la Fédération des Entreprises et Entrepreneurs de France. Cette dernière vient de conclure un partenariat avec la start up Scan Up, une entreprise similaire à Yuka qui propose une brique supplémentaire aux PME de l’agroalimentaire : la co-création de produits.
Grâce à Scan Up, les marques bénéficient d’un espace de communication dédié avec leurs consommateurs. Ils peuvent poser des questions et récupérer les doléances de leurs futurs acheteurs. Cette nouvelle forme de dialogue permet ainsi de tester directement auprès des consommateurs le potentiel d’un nouveau produit avant son lancement. Toutes les questions peuvent être abordées : recette, packaging, mode de production, origine des matières premières, etc.
Il s’agit d’une autre manière, complémentaire à celle de Yuka, d’inciter les PME de l’agroalimentaire à proposer des produits qui vont satisfaire aux attentes des consommateurs. Un souffle nouveau pour une industrie qui souffre de la forte défiance des acheteurs et qui cherche à se réinventer.
Le conseil pour accélérer la transition de notre modèle alimentaire
Par leurs innovations mais aussi leur fonctionnement, les start up de la Foodtech sont ainsi plus proches des attentes des consommateurs. Et peuvent se permettre d’être plus avant-gardistes dans leurs positions. Ce qui intéresse et pousse les acteurs traditionnels à les écouter.
Ainsi, il y a déjà un an, Alexandre Bompard, PDG du groupe Carrefour, annonçait la création pour le groupe d’un « comité d’orientation alimentaire [qui a] pour mission d’accompagner Carrefour dans la transformation de son modèle, de participer à des projets concrets liés à la transition alimentaire, de partager des bonnes pratiques, d’être force de proposition et de mener des réflexions prospectives sur les évolutions de la consommation alimentaire »
Ce comité stratégique pour aider le groupe Carrefour dans son ambition « d’être le leader mondial de la transition alimentaire » est notamment composé de personnalités issues du monde des start up Foodtech. Ainsi, il comprend les présences de Lucie Basch, fondatrice de l’application Too Good To Go ; ou encore Myriam Bourré, fondatrice de Open Food France, une plateforme coopérative basée sur un logiciel libre où agriculteurs, citoyens et restaurateurs peuvent organiser et opérer des circuits courts et indépendants.
Et demain, nul doute que de nouvelles formes de collaboration verront le jour, à notre grand bonheur si cela continue de tirer tout le monde vers des pratiques plus vertueuses.