Longtemps mis à l’écart des études sur la pollution et les émissions de gaz à effet de serre, le secteur du transport maritime n’est plus épargné par le sujet depuis quelques années. L’année dernière, l’Union européenne a d’ailleurs publié des données brutes sur les émissions de CO2 du transport maritime en Europe. Les résultats montrent que le secteur a participé à l’émission de 139 millions de tonnes de CO2 sur l’année 2018.

Un chiffre presque équivalent aux émissions annuelles de CO2 de la République Tchèque (129 millions de tonnes de CO2). Et ce décompte concerne uniquement les bateaux qui entrent et sortent de l’UE.

Ainsi, l’entreprise Mediterranean Shipping Company (MSC) serait la huitième entreprise la plus polluante d’Europe, devant la compagnie aérienne Ryan Air. Cependant, il faut noter que « le ratio d’émissions de CO2 par tonne transportée est parmi les plus bas de l’industrie » comme le précisait le groupe à nos confrères des Échos avant d’ajouter que « le programme d’amélioration de la flotte MSC a permis une réduction de 13 % des émissions de CO2 entre 2015 et 2018 ».

Cependant, le transport maritime – qui concerne 90% des marchandises échangées dans le monde chaque année – concentre déjà 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Plus inquiétant, les projections de l’OMI (Organisation Maritime Internationale) anticipent un rebond à hauteur de 17% des émissions mondiales de GES d’ici 2050. Ce qui aurait un impact conséquent sur l’environnement.

À noter, en parallèle, que ce n’est pas le CO2 qui est le plus problématique concernant la navigation, mais deux autres gaz à effet de serre : l’oxyde de soufre (Sox) et l’oxyde d’azote (NOx). Deux polluants qui accélèrent la formation de particules fines et ultra-fines.

Ainsi, le transport maritime émet entre 17% et 31% des émissions mondiales de NOx. Un polluant qui irrite les voies respiratoires. Il est responsable de bronchites aiguës, augmente le risque de maladies respiratoires et cardiovasculaires à court et long termes.


Que dit l’Organisation Maritime Internationale ?

L’objectif de l’Organisation Maritime Internationale est d’atteindre une réduction de 50% des GES imputables au secteur d’ici 2050 par rapport à 2008. Dans ce cadre, via l’annexe VI de la convention MARPOL (Marine Pollution), l’OMI impose depuis le premier janvier 2020 que la teneur maximale en soufre du carburant utilisé ne dépasse pas les 0.5% m/m (masse par masse), contre 3,5% jusqu’alors.

Si cette mesure va certainement réduire les émissions de NOX dans l’atmosphère, elle est aujourd’hui relativement peu contraignante et n’engage pas les navires à se tourner vers d’autres alternatives.

Il s’agit cependant d’une première étape qui vise notamment à réduire les incidences de ces mesures pour les pays en voie de développement. Et particulièrement les états insulaires dont l’économie dépend en grande partie de l’activité maritime et qui n’ont pas les moyens pour se transformer aussi rapidement que les pays d’Europe ou d’Amérique du Nord.

Cependant, pour une action ayant davantage d’impact, il faut aujourd’hui se tourner vers des initiatives émanant d’ONG, de certaines start-up, de ports ou d’armateurs, qui réfléchissent à aller plus loin. Et l’une des premières étapes consiste à réduire la pollution émise par les navires qui restent à quai car elle représente un potentiel de danger direct pour la santé publique, bien plus important que lorsque les navires sont en mer.


Électrifier les ports pour réduire les émissions à quai

En 2015 et 2016, l’ONG française France Nature Environnement a réalisée une enquête pour évaluer la pollution générée par le transport maritime. Leurs équipes se sont réunies en 2015 puis en 2016 à Marseille afin de mesurer la qualité de l’air dans différents lieux de la ville.

Sur leur site Internet, l’association précise ainsi : « nous avons observé une moyenne de 5 000 particules ultra-fines par centimètre cube. Puis nous nous sommes rapprochés du port. Dans un quartier résidentiel aux abords, l’air s’est avéré être jusqu’à 20 fois plus pollué avec une moyenne de 60 000 particules ultra-fines par centimètre cube. Le pire nous a attendu à bord du navire, où une équipe de l’émission Thalassa, accompagnant notre expédition en 2016, a vu le compteur s’affoler : l’air respiré par les croisiéristes et le personnel de bord contient jusqu’à 380 000 particules ultra-fines par centimètre cube, soit 70 fois plus de pollution ».

Le fait est que pour subvenir à leurs besoins lorsqu’ils sont à quai, les navires de croisière brûlent du carburant alors même qu’ils sont en stationnement. Une absurdité à laquelle répondent aujourd’hui certains ports.

En septembre dernier, par exemple, la Région Sud a annoncé un grand programme d’investissement pour électrifier les ports de Marseille, Toulon et Nice. Le Grand port maritime de Dunkerque a lui aussi lancé le chantier de son électrification. 

Les systèmes d’alimentation électrique à quai permettent d’éteindre les moteurs auxiliaires des navires et réduire la pollution qui en émane. Certains ports se mobilisent également avec des incitations économiques pour encourager le recours à des pratiques durables. C’est par exemple le cas en Californie ou à Singapour où les navires les plus écologiques bénéficient d’une réduction sur leurs droits de port allant de 15 à 25%.


Routage assisté et vitesse réduite

Une autre solution qui peut être mise en place rapidement et porter un impact réel : imposer aux navires des limites de vitesse afin de réduire la consommation de fuel et donc les émissions de gaz à effet de serre. C’est notamment la solution mise en avant par Emmanuel Macron lors du G7 de Biarritz en Août 2019. Elle se base sur les calculs du ministère de la Transition écologique selon lesquels un pétrolier qui réduirait sa vitesse de 12 nœuds à 11 nœuds pourrait baisser ses émissions de GES de 18%.

Outre la limitation de la vitesse, une autre solution qui émerge actuellement consiste à optimiser le routage des navires afin de leur faire économiser du carburant. Ici encore, la technologie apporte son utilité. La start up française eOdyn propose par exemple une solution de mesure en temps réel des courants marins afin de proposer les routes permettant de consommer le moins de fuel possible. Leur solution se base sur des algorithmes alimentés par les données des systèmes embarqués des navires. D’autres solutions similaires existent, à l’instar de ce que propose la société smart’n’go.

Mais, aussi intéressantes soient-elles, ces deux solutions représentent non pas un progrès mais seulement un moindre mal. Et ce parce qu’elles n’envisagent pas un changement de carburant qui limiterait réellement les émissions de GES. La meilleure solution pour réduire l’empreinte carbone du transport maritime étant de modifier le mode de propulsion. Il y a à ce sujet différentes hypothèses : GNL, Hydrogène ou encore éolien.


Le GNL

Le gaz naturel liquéfié, aussi appelé GNL, est une alternative intéressante pour réduire la pollution liée au transport maritime. Sa combustion réduit de 100% les émissions d’oxydes de soufre et des particules fines, de 80% des oxydes d’azote et de 20% du CO2 par rapport au fuel lourd traditionnel.

L’énorme potentiel du GNL réside dans le fait que la combustion du gaz naturel est moins polluante que d’autres carburants : elle n’émet ni suie, ni poussière, ni fumée. Le GNL est par ailleurs moins cher que les autres carburants et affiche des performances de propulsion optimales et supérieures au fioul par exemple

Cependant, même si le GNL est plus propre que le fuel lourd, il reste une énergie fossile, c’est à dire limité en quantité et dont l’extraction a un impact négatif sur l’environnement

Des études suggèrent également qu’une réduction d’environ 90% des émissions d’oxydes de soufre serait aussi possible grâce à l’utilisation d’épurateurs. Ce procédé neutralise une grande part des pollutions des gaz d’échappement à l’aide d’un fluide qui absorbe des oxydes de soufre. Les déchets produits sont stockés à bord et ensuite débarqués dans une installation de réception à terre. Là encore, la solution reste imparfaite. Mais à court-terme, elle pourrait produire des résultats en attendant que d’autres modes de propulsion prennent le relai.


La possibilité de l’hydrogène pour les « petits » navires

La propulsion à hydrogène pourrait représenter le futur des transports, aussi bien dans le transport routier que pour l’aérien et le maritime. À condition, évidemment, qu’elle soit produite par électrolyse de l’eau via une électricité bas carbone.

Or, s’il y a bien une ressource abondante en mer, c’est l’eau. Et correctement pompée puis désalinisée, elle peut être utilisée pour produire de l’hydrogène. Stocké et transformé en électricité grâce à une pile à combustible, cet hydrogène peut ensuite alimenter les moteurs des navires.

Inventé en France, Energy Observer est le premier navire à hydrogène au monde. Il sillonne les mers depuis 2017 en fonctionnant grâce à un mix d’énergies renouvelables et un système de production d’hydrogène. Pour le moment, ce mode de propulsion séduit particulièrement pour les petites flottes de navires de plaisance ou les ferrys engagés sur de courtes traversées. Pour les paquebots ou les porte-conteneurs, les besoins de consommation demeurent trop importants.

Entre autres exemples, la start-up cannoise Hyseas Energy travaille sur une pile à combustible adaptée pour une application maritime et fluviale. À Nantes, la ville a mis en circulation l’année dernière la navette fluviale Jules Verne 2 qui fonctionne à l’hydrogène.


Le recours à l’éolien ou « propulsion vélique »

Enfin, et surtout en France, de nombreux acteurs se tournent désormais vers l’éolien – ou propulsion vélique – pour tendre vers un transport maritime bas-carbone. L’utilisation du vent est le mode de propulsion historique de la navigation et la technologie nous permet aujourd’hui d’étendre ce champ à la taille et au tonnage des navires actuels.

À l’aide de voiles souples, rigides ou encore d’ailes géantes de cerf-volant ou de kite, de premiers paquebots et cargos devraient prendre la mer dans les prochaines années. Airbus, ArianeGroupe, Manitou, Renault ou encore Bénéteau s’intéressent de près au sujet. Tout comme les entreprises STX et MSC ou les armateurs Sogestran et CMN. Ce marché prometteur pourrait arriver à maturité d’ici une dizaine d’années.