Aujourd’hui, 90% des échanges de marchandises au monde sont réalisés par le transport maritime. Un secteur qui représente pourtant une part relativement faible des émissions mondiales de GES (soit 3% , ce qui est à peu près équivalent au transport aérien par ailleurs). Cependant, ce chiffre pourrait être multiplié par presque 6 d’ici 2050 et passer à 17% des émissions totales des émissions de GES.

L’objectif de l’OMI (Organisation Maritime Internationale) est donc de réduire de 50% les émissions de GES du secteur d’ici 2050 par rapport à 2008.

Parmi les solutions, on peut citer tout d’abord le recours à des carburants moins polluants que le fuel lourd, à l’image du GNL. Mais aussi la réduction des teneurs en souffre des carburants utilisés ; l’utilisation du numérique pour améliorer le routage des navires ; des leviers pour abaisser la vitesse des navires et d’autres hypothèses qui concernent, par exemple, l’électrification des ports.

Mais depuis quelques années, un autre sujet revient de plus en plus pour un transport maritime bas-carbone : la propulsion vélique, ou éolienne. Sur ce marché émergeant, la France est particulièrement bien avancée, en parallèle d’autres pays comme les États-Unis ou encore le Japon.


C’est quoi la propulsion vélique ?

Basiquement, la propulsion vélique est l’utilisation, pour faire avancer un bateau, de l’énergie que va produire l’effort du vent sur une voile. C’est le mode de propulsion historique de la navigation et un savoir-faire millénaire.

Il faut en effet attendre le 18ème siècle pour voir l’apparition des premiers bateaux à vapeur ; puis la révolution industrielle et l’essor du commerce international pour voir les premiers navires fonctionnant au charbon puis au fuel lourd. Des innovations qui ont permis de décupler la taille des bateaux et les capacités d’échange. Mais avec un retour de bâton qui se fait sentir aujourd’hui : une forte pollution de l’air et de l’eau.

Pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre (CO2 et NOX principalement) la marine marchande et les navires de croisière se cherchent un avenir écologique. D’où l’idée – presque naturelle – de revenir aux sources en utilisant le vent. D’autant que les progrès de la technologie permettent aujourd’hui la conception de voiles pouvant s’adapter à de très grands navires.

La propulsion vélique, ou propulsion éolienne, pourrait donc renaître de ses cendres dans les dix ans à venir.


Quelles sont les principales technologies ?

Il faut aujourd’hui distinguer cinq grands types de technologies pour la propulsion vélique des navires : les voiles souples, les voiles rigides, les cerfs- volants de traction ou aile de kite, les rotors et turbines éoliennes.

Des entreprises de cabotage ou de commerce de « faible tonnage » comme Grain de Sail ou TOWT misent aujourd’hui sur des voiles souples. Le géant STX expérimente des voiles rigides pliables. Pour les start-up Airseas ou Zéphyr & Borée, c’est l’aile de kite qui prédomine.

Chez Airseas, par exemple, un simple interrupteur permet de lancer et de récupérer l’aile de kite. Celui-ci se déploie et se replie de manière autonome. Grâce à la technologie, le système qui pilote le cerf-volant collecte et analyse des données météorologiques et océaniques en temps réel. La voile peut ainsi s’adapter afin d’optimiser ses performances tout en assurant son fonctionnement en toute sécurité.

Les critères les plus importants dans le choix de telle ou telle technologie dépendent de la complexité de l’installation, des coûts de maintenance et de sécurité, de la formation de l’équipage, mais aussi de la performance et des dépenses en capital.


Qui sont les acteurs de ce nouveau marché ?


Neoline

Fondée en 2015, la société nantaise Neoline propose un cargo-roulier hybride qui utilise le vent en mode de propulsion principal (et un moteur électrique en propulsion auxiliaire). En partenariat avec Neopolia, le groupe Sogestran et la Compagnie Maritime Nantaise, elle construit un navire qui devrait opérer sur une ligne transatlantique ro-ro à la voile d’ici 2021.

Il devrait relier les côtes Est des Etats-Unis au port de Nantes-Saint-Nazaire tout en passant par Saint-Pierre et Miquelon. Le groupe Renault et les entreprises Bénéteau et Manitou se sont déjà positionnés comme futurs clients sur ces liaisons.


Zéphyr & Borée

Également basée à Nantes, Zéphyr & Borée travaille actuellement à la conception de navires de commerce hybrides voile-moteur permettant de réduire les émissions de CO2 de 20% à 50% ainsi que autres émissions polluantes (SOX, NOX, particules fines) du transport tout en respectant des délais de livraison et des prix compétitifs.

L’entreprise ouvrira également une ligne commerciale transatlantique d’ici 2022 afin de transporter le lanceur de la fusée Ariane 6 entre la métropole et la Guyane.


Airseas
Fondée en 2016 à Toulouse, Airseas est un spin-off de la société Airbus. Elle mise sur des ailes de kite géantes pour la propulsion des navires de commerce. Entre 2020 et 2021, elle devrait équiper d’une aile de kite automatisée de 500 m2 (baptisée SeaWing) le navire roulier de Louis Dreyfus Armateurs, le Ville de Bordeaux. Ce navire devrait ensuite, d’ici fin 2021, réaliser de premiers trajets entre la France et les USA afin d’y transporter des pièces d’Airbus A320.


Beyond the sea

Créée près de Bordeaux en 2014 par l’ancien navigateur Yves Parlier, Beyond the sea mise également sur les voiles de Kite pour équiper des navires de commerce. Associée avec le géant CMA CGM, elle mise sur de premiers prototypes d’ici 2020. Selon leurs concepteurs, le gain de consommation de carburant serait de 20% aux allures portantes.


TOWT et Grain de sail

TOWT (Transoceanic Wind Transport) et Grain de Sail sont deux entreprises qui misent sur la voile pour réaliser des navigations transatlantiques ou du cabotage en Europe afin de transporter des produits comme le thé, le café, le chocolat ou encore le Rhum.

Grain de Sail opère aujourd’hui avec un voilier de 22 mètres qui peut charger 35 tonnes de marchandises en cale. Créée en 2009, TOWT possède aujourd’hui une flotte de 4 navires. Elle devrait inaugurer prochainement un voilier-cargo de 67 mètres capable de transporter 1 000 tonnes de marchandises.


STX et MSC
Les deux principaux clients des chantiers de l’Atlantique, à Saint-Nazaire, accueillent aussi des prototypes de navires utilisant la propulsion vélique. STX, avec le Silenseas est particulièrement bien avancé. Ce paquebot de 190 mètres de long mise sur des ailes de voile rigides ou semi-rigides automatisées (et déjà été installées pour une phase d’expérimentation sur le navire de croisière Ponant, en lieu et place des voiles d’origine).

Ces voiles baptisées Solid sail sont construites à 100 % en matériaux composites, elles peuvent se plier à la façon d’un éventail et devraient dépasser les 1.000 mètres carrés. Grâce à ce projet, le paquebot Silenseas devrait réduire de 60 % la consommation liée à la propulsion.

De son côté, la société MSC devrait également commander deux prototypes de paquebots utilisant pour partie la propulsion vélique et qui devraient être livrés d’ici la fin de la décennie 2020.

la voile airseas


Enjeux et perspectives de cette filière

Le principal enjeu de ce nouveau marché réside dans le fait de trouver un modèle économique compétitif. Pour cela, la plupart des acteurs se tournent aujourd’hui vers des transports de niche afin de valider les prototypes. En grande majorité, il s’agit donc de fret spécialisé ou à haute valeur ajoutée. C’est ce que compte faire Airseas avec le transport de pièces d’A320, Zéphyr & Borée avec le lanceur de la fusée Ariane ou encore Néoline avec le groupe Renault. Ce peut aussi être le fait d’investir des lignes secondaires non desservies par les grands armateurs.

Evidemment, à terme, ces entreprises misent sur des dispositifs qui sont susceptibles d’équiper massivement les cargos actuels. Mais pour généraliser leur développement, il faut d’abord faire la preuve de concept. Et puis il faut aussi rassurer les opérateurs et investisseurs, en particulier sur le respect des délais.

On peut imaginer aisément qu’ils sont susceptibles de varier en fonction de la présence ou non de vent. Cependant, les systèmes de routage qui émergent permettent désormais d’adapter sa route pour éviter cet aléa météorologique. De plus, la grande majorité de ces navires n’est pas 100% à voile. La plupart possèdent des modes de propulsion auxiliaires notamment pour manoeuvrer dans les ports.

Enfin, le financement est également l’une des problématiques à surmonter, notamment en raison d’un manque de visibilité du retour sur investissement et en raison de la solitude de la filière sur ce sujet. L’usage de batteries électriques comme moyen de propulsion secondaire pour certains navires a en effet été rendu possible par un développement en amont et en commun avec le secteur de l’automobile, par exemple. Ce qui ne sera pas le cas pour les voiles et les ailes de kite.

En France, l’Ademe accompagne certains de ces projets dans le cadre du programme Navires du futur. C’est par exemple le cas du projet Silenseas de STX qui a bénéficié d’une aide du programme d’investissements d’avenir de 600 000 euros, sur un budget total de 1,7 million d’euros.

Le projet de loi de finances (PLF) pour 2019 en France, prévoit par ailleurs un mécanisme de suramortissement fiscal pour les investissements réalisés par les armateurs, afin d’inciter les compagnies maritimes à s’engager résolument dans la transition énergétique de leurs navires, en fixant à 30% le taux de suramortissement pour les propulsions décarbonées (hydrogène, électrique, éolienne).

Dans un rapport publié en 2019 par l’ISEMAR (Institut Supérieur d’Economie Maritime) le secteur de la propulsion vélique ne prendra son essor qu’à partir de 2030-2040, une fois que les premières lignes auront démontrées leur efficacité et lorsque davantage de nouveaux navires utilisant la voile seront entrés dans la flotte.