La transition de notre modèle agroalimentaire est l’un des grands enjeux des prochaines décennies afin de nourrir une population en augmentation constante à partir de pratiques durables et respectueuses de la nature, de la biodiversité et de la santé humaine. De nombreuses tendances émergent à ce sujet : agroécologie, agriculture de précision, développement de biotechnologies, agriculture urbaine ou encore le recours à ce qu’on appelle l’agriculture biologique.
La bio, c’est une agriculture dont le cahier des charges interdit notamment toute utilisation d’intrants de synthèse. Un label qui a su séduire les consommateurs ces dernières années, au point que la demande en bio excède aujourd’hui nos capacités de production. Pourtant, la surface agricole française convertie au bio augmente régulièrement. Elle a notamment été multipliée par 2 entre 2014 et 2019 pour atteindre 2,3 millions d’hectares, soit 8,5% de la surface agricole utile du pays. Un certain idéal consisterait donc à augmenter très largement cette part en France comme en Europe afin de faire de l’agriculture biologique une norme.
Un scénario souvent caractérisé de fantaisiste par les tenants d’une agriculture conventionnelle qui doutent fort que nous puissions répondre à la demande alimentaire grâce à l’agriculture biologique. Mais que disent les scientifiques sur ce sujet ? Récemment, qu’il s’agisse du CNRS ou de l’INRAE, un consensus émerge pour établir qu’une agriculture biologique à grande échelle est une possibilité envisageable. Une possibilité qui repose cependant sur 3 piliers : un changement de régime alimentaire humain et animal, un recours accru aux pratiques agroécologiques pour répondre à la problématique de l’azote, ainsi qu’une modification des pratiques agricoles et notamment du cloisonnement qui existe entre élevage et cultures maraichères ou céréalières.
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Consommer moins de viande, un pré-requis pour l’avenir ?
Dans une étude publiée le 18 juin 2021 dans la revue One Earth, des scientifiques du CNRS estiment qu’un système agro-alimentaire biologique et durable, respectueux de la biodiversité, pourrait être mis en place en Europe à l’horizon 2050. Pour les chercheurs, le premier facteur-clé de succès de cette opération serait un changement drastique de régime alimentaire pour les humains : consommer moins de produits animaux.
Pour comprendre quelques ordres de grandeur, on émet aujourd’hui 48,89kg eqCO2 pour 100g de protéines de boeuf ; 19,85kg eqCO2 pour 100g de protéines d’agneau ou de mouton, et 18kg eqCO2 pour les crevettes. En face, 100g de protéines émanant de légumineuses produisent moins d’un kilo eqCO2. Une grande partie des émissions de gaz à effet de serre de l’élevage provient surtout de leur alimentation (importations de soja). Consommer moins de viande permettrait de nourrir le bétail français avec du fourrage produit localement (moins de bétail = davantage de capacités à les nourrir avec des ressources locales), et donc de réduire ces émissions polluantes. Mais aussi de libérer des espaces agricoles pour nourrir une population humaine en constante augmentation. À l’échelle mondiale, la FAO estime que 33% des terres cultivables sont utilisées pour produire l’alimentation des animaux d’élevage.
En parallèle, l’intégration des légumineuses dans les cultures, et notamment en rotation, permettrait de fournir davantage de protéines végétales pour l’alimentation humaine afin de rééquilibrer notre régime alimentaire. C’est aussi une manière extrêmement pertinente de fixer l’azote dans le sol (une caractéristique des légumineuses). Or, l’azote est le facteur-clé de succès de l’agriculture biologique puisqu’il permet de se passer de la majorité des engrais de synthèse.
Récemment, ce sont des chercheurs de l’INRAE et de Bordeaux SciencesAgro qui ont étudié les possibilités de déployer l’agriculture biologique à grande échelle dans le monde. Leurs travaux estiment que, vis à vis de la teneur en azote nécessaire aux sols, nous ne pourrions dépasser 60% d’agriculture biologique à l’échelle mondiale. En écho à l’étude publiée par le CNRS au mois de juin, les scientifiques de l’INRAE s’accordent également sur le fait que ce déploiement à grande échelle de la bio ne peut se faire sans un rééquilibrage de notre régime alimentaire en faveur des protéines végétales.
Relocaliser les élevages au plus près des cultures
Une autre tendance, soulignée à la fois par les rapports du CNRS et de l’INRAE, tient à un rapprochement géographique des élevages au plus près des cultures. Une logique circulaire qui permettrait de valoriser plus facilement les effluents d’élevage : c’est à dire le retour de l’azote dans le sol. Une manière, aussi, d’accompagner la gestion des prairies permanentes qui jouent un rôle essentiel sur plusieurs niveaux : capture du CO2, lutte contre l’érosion des sols, filtration de l’eau.
D’autres sujets sont évidemment à aborder pour faire en sorte que l’agriculture biologique puisse fonctionner à grande échelle. L’INRAE estime par exemple, qu’au-delà d’un rééquilibrage de notre alimentation au profit des légumineuses, la lutte contre le gaspillage alimentaire est essentielle pour un succès de la transition agro-alimentaire. Il y a aussi des sujets globaux à gérer, en particulier de mesurer la capacité des producteurs céréaliers à continuer de produire pour l’export. Il y a aussi un sujet important afin d’harmoniser à l’échelle les cahiers des charges de l’agriculture biologique afin de s’assurer que les producteurs d’un pays ne soient pas défavorisés par rapport à leurs voisins, ce qui – aujourd’hui en ce qui concerne la France – est une source d’inquiétude majeure.
Néanmoins, ces deux études publiées récemment prouvent que l’agriculture biologique n’est pas une chimère écologique mais une tendance qui pourrait devenir viable à grande échelle. Il est difficile de penser que nous pourrons avoir un système agricole 100% bio à l’avenir, mais le développement d’autres pratiques (agriculture de précision, biocontrôle) pourraient aussi permettre de réduire fortement les émissions de GES du secteur agricole pour compléter les bienfaits de la bio.