La sécheresse et les pénuries d’eau comptent parmi les conséquences du réchauffement climatique. Certains territoires sont plus touchés par cette problématique que d’autres, en raison de leur situation géographique et de leur accès moindre aux ressources hydriques. C’est le cas par exemple de l’Arabie Saoudite, des Émirats Arabes Unis, de l’Australie ou encore de l’Afrique du Sud.

Là-bas, en 2018, la ville du Cap a subi une sécheresse historique et s’est approchée à plusieurs reprises du « Jour Zéro », c’est-à-dire du jour où les réservoirs risquaient d’être complètement asséchés et où plus de 4 millions d’habitants se seraient retrouvés avec le robinet coupé. Une situation qui peut aussi toucher des pays beaucoup plus proches de la France. En ce moment, par exemple, une partie de l’Italie fait face à une situation hydrique catastrophique avec de très importantes restrictions d’eau.

Aux Émirats Arabes Unis, l’un des 8 pays avoir atteint le seuil des 50°C en 2022 et l’un des pays les plus arides du monde, le ministre de l’énergie a récemment déclaré que la consommation d’eau était une « préoccupation majeure » pour le pays, ajoutant essayer « de trouver des solutions alternatives ».

Et parmi ces « solutions alternatives », il existe un vieux fantasme qui séduit les scientifiques et les entrepreneurs depuis le XIXème siècle : celui de remorquer des icebergs depuis les pôles, afin d’acheminer directement de l’eau douce aux régions qui en manquent. Lors des premiers projets de ce type, mis en place il y a plus d’un siècle, de l’eau avait par exemple été acheminée par bateau à vapeur vers l’Inde, et également pour approvisionner des brasseries au Chili.

Si l’idée peut sembler séduisante pour ces pays en situation de stress hydrique, c’est que les icebergs représentent des flux d’eau inexploités, dont la fonte pourraient permettre d’alimenter des millions d’habitants en eau douce pendant plusieurs années. C’est pour cette raison que les scientifiques travaillent à mettre au point un système permettant de tracter des icebergs vers les zones arides depuis plusieurs décennies.

En particulier, un petit groupe de glaciologues, composé du professeur Peter Wadhams de Cambridge, du Dr Olav Orheim, directeur de l’Institut polaire norvégien de 1993 à 2005, et du glaciologue français Georges Mougin, l’un des premiers scientifiques à avoir travaillé sur le sujet dès les années 1970. « Déplacer un iceberg, ce n’est que déplacer le lieu où il fondOr, la production annuelle de l’Antarctique représente les besoins humains en eau de la planète entière » précisait-il alors. Un projet qui, pour le moment, n’a encore jamais vu le jour.

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Georges Mougin
Le scientifique Georges Mougin face à son rêve de glace

Une idée qui occupe les esprits depuis plusieurs décennies

À l’époque, le groupe de scientifiques avait été sollicité par le prince saoudien Mohamed Al-Faisal, qui souhaitait remorquer un iceberg de l’Antarctique jusqu’en Arabie Saoudite. Le projet avait échoué car la distance entre la zone de récupération de l’iceberg, en Antarctique, et la destination finale, l’Arabie saoudite, avait été estimée trop importante. L’iceberg risquait de fondre lors du trajet, d’autant plus que les eaux situées à proximité de l’État saoudien étaient bien trop chaudes pour y stocker le bloc de glace. 

Le projet avait donc été mis en veilleuse au début des années 1980. Pourtant, certaines régions ont régulièrement continué de faire appel aux scientifiques, dans le but de mettre au point des initiatives similaires pour remédier à la pénurie d’eau. C’est le cas par exemple des îles Canaries dans les années 2010, qui désiraient remorquer un iceberg depuis Terre-Neuve. Grâce aux progrès de la technique, des modélisations avaient montré que l’iceberg, emballé dans un tissu isolant, pouvait être livré en 141 jours, passant d’un poids de 7 millions de tonnes à 4 millions de tonnes en raison de la fonte.

Selon les défenseurs du projet, cette solution aurait permis de constituer une alternative aux usines de dessalement dont dépendent les Canaries, qui consomment une quantité très importante d’énergie et qui rejettent nombre de déchets d’eau salée. Toutefois, les besoins en carburant d’une telle opération étaient faramineux : plus de 4 000 tonnes de carburant auraient ainsi été consommés.

Car en effet à ce jour, l’empreinte carbone des projets de remorquage des icebergs reste absolument prohibitive. D’après les estimations, un seul remorqueur consommerait par exemple jusqu’à 5 000 tonnes métriques de carburant pendant 100 jours, soit assez pour faire rouler une voiture sur 44 millions de kilomètres, c’est-à-dire 1 767 fois la circonférence de la Terre.

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Bateaux remorqueurs


Avec le réchauffement climatique, un projet qui revient sur le devant de la scène

Le sujet est néanmoins revenu sur le tapis à l’occasion de la crise hydrique du Cap, en 2018. La possibilité de remorquer un iceberg depuis l’Antarctique a de nouveau été étudiée, en particulier par Nick Sloane, un expert en sauvetage maritime. Pour faire face à la sécheresse sud-africaine, cet expert a ainsi imaginé une opération visant à remorquer un iceberg de l’Antarctique jusqu’à la ville du Cap, située à 2 000 kilomètres de là.

En fondant, le bloc de glace aurait ainsi permis d’apporter aux habitants plus de 150 millions de litres d’eau douce par jour pendant un an, soit 30% de leurs besoins annuels. Pour les initiateurs du projet, une telle entreprise aurait pu être réalisable. D’autant qu’il existe déjà des navires et des entreprises qui remorquent des icebergs : on en retrouve en Russie, qui a déjà repoussé des icebergs qui se dirigeaient vers des installations pétrolières, ou encore à Terre-Neuve, qui se livre régulièrement aux mêmes exercices.

Toutefois, le projet de remorquage du Cap fut bien pus ambitieux, dans la mesure où le remorquage devait s’effectuer sur une distance bien plus importante (plusieurs milliers de kilomètres) avec un iceberg bien plus lourd (environ 100 millions de tonnes). À cela s’ajoutait le coût faramineux d’une telle opération : 160 millions de dollars.

Le maire du Cap est ainsi resté très réservé face au projet, estimant que recourir à la nappe phréatique et à la désalinisation serait moins coûteux. Il a également pointé les risques inhérents à ce projet, comme le fait que la glace était susceptible de se briser durant le trajet. Le projet fut donc abandonné et la ville du cap a été sauvée de justesse par le retour des précipitations quelques semaines plus tard. Depuis, la ville s’érige d’ailleurs en ville modèle de la gestion de l’eau.

iceberg


Des opérations porteuses de conséquences pour l’environnement

Le remorquage des icebergs pour abreuver la planète reste donc pour le moment une solution mirage. Surtout, la question de l’impact environnemental d’un tel projet représente un frein important à sa mise en oeuvre. Outre la consommation de carburant des navires, cela pose aussi une question fondamentale de risque de déséquilibre des écosystèmes locaux.

Par ailleurs, le fait d’utiliser les ressources d’une région déjà en danger pour pallier le manque de ressources d’une autre interroge également, surtout dans la mesure où une telle opération serait à l’origine d’une consommation très importante de carburant et émettrait quantité de gaz à effet de serre. Pour Stephen Bruneau, professeur à la faculté d’ingénierie et de sciences appliquées de Terre-Neuve, la question est sans appel : « Je déconseille fortement de gaspiller de l’argent sur le plan sans espoir de remorquer des icebergs vers des nations désertiques. En ignorant tous les problèmes techniques, environnementaux et thermodynamiques qui tueraient le projet, et la consommation d’énergie, qui paierait pour cela ? J’espère sincèrement que la richesse et les précieuses ressources énergétiques ne seront pas gaspillées de cette façon »

Quoi qu’il en soit, pour le moment les projets de remorquage se heurtent à la nécessité de réaliser préalablement des évaluations d’impact environnemental, des processus longs et susceptibles de retarder de plusieurs années la mise en place effective d’opérations de ce genre. Si certains espèrent sans doute toujours pouvoir exploiter cette ressource, il y a tout de même fort à parier que d’autres mesures seraient plus utiles.

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