En France, sans que l’on sache vraiment pourquoi, le débat public autour de l’énergie est essentiellement focalisé sur la production d’électricité. La campagne présidentielle le prouve encore une fois : les débats tournent presque systématiquement autour du nucléaire et des éoliennes. Pourtant, la décarbonation de notre énergie n’est pas qu’une question électrique. L’enjeu se situe également sur la production de chaleur, qui reste encore largement carbonée : issue à 40% de gaz naturel fossile et à 19% de pétrole et de charbon.
Les récents événements en Ukraine ont d’ailleurs souligné notre addiction à ces énergies fossiles et notre incapacité à nous en passer. Le président de l’Assemblée Nationale l’a d’ailleurs rappelé ce 23 mars sur France Inter, déclarant au sujet d’un potentiel embargo sur le gaz et le pétrole russe qu’il « n’y a pas de réponse de substitution si on décidait ça demain ou après-demain« .
Ainsi, depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022, les pays de l’Union Européenne ont déboursé 16,7 milliards € à la Russie pour se fournir en énergies fossiles, dont 10,56 milliards d’euros de gaz naturel. De fait, la production de chaleur renouvelable représente donc un enjeu environnemental mais aussi un enjeu économique et géopolitique majeur pour les années qui viennent. Mais sur ce sujet, il faut préparer dès aujourd’hui les « réponses de substitution ».
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Peut-on faire feu de tout bois ?
Décarboner le secteur est d’autant plus urgent que nous sommes loin des objectifs que nous nous sommes fixés. En 2020 la part des énergies renouvelables dans la consommation finale de chaleur atteignait à peine les 23%, soit une progression de 7% depuis 2010. Pour rappel, la Loi de Transition énergétique pour la croissance verte (LTECV, 2015) vise les 38% de chaleur consommée d’origine renouvelable en 2030. Il nous faudra donc faire à minima deux fois mieux en 8 ans que sur les 10 ans qui viennent de s’écouler. Et cela ne serait pas encore suffisant pour se passer du gaz fossile importé de l’étranger.
D’autant que la première source de chaleur renouvelable en France à l’heure actuelle, c’est le « bois-énergie », une source qui ne présente pas que des atouts. Certes, par sa relative abondance, le bois-énergie pourrait constituer un substitut intéressant aux énergies fossiles tout en renforçant l’indépendance énergétique française. Cependant, de nombreux scientifiques alertent sur les conséquences de l’industrialisation de cette pratique à l’échelle mondiale.
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Leurs reproches concernent d’abord la traçabilité du bois et la gestion durable des exploitations forestières. La filière n’est pas toujours irréprochable en la matière, or, sans traçabilité, il est difficile d’évaluer l’impact de la production de biomasse pour la chaleur ni de savoir si cette exploitation est faite dans les règles de l’art. Ensuite car l’exploitation du bois perturbe le cycle de carbone des forêts et leur rôle, en particulier lorsqu’il s’agit d’exploitations « mono-essences ». Enfin, parce que la combustion du bois émet aussi beaucoup de particules fines. Des particules qui sont sans conséquences sur le réchauffement climatique mais qui ne sont pas sans conséquences sur nos poumons.
Aujourd’hui, le chauffage au bois domestique et les chaufferies industrielles et tertiaires au bois-énergie représentent 65% de la chaleur renouvelable produite en France et 15% de la chaleur finale consommée sur le territoire. Derrière, d’autres initiatives sont en train de se structurer : le recours aux pompes à chaleur (5% de la consommation de chaleur en 2020), à la géothermie (1% de la consommation de chaleur en 2020) , à la chaleur solaire ou encore au biogaz (qui représentent chacune moins d’1% de la consommation de chaleur en 2020). Et ce sont bien ces alternatives là qu’il convient de développer pour, demain, proposer une alternative au gaz fossile.
Quelles pistes pour accélérer le développement de ces énergies renouvelables ?
En 2018, l’ADEME a d’ailleurs présenté un scénario ouvrant la voie à un mix de gaz 100% renouvelable d’ici 2050 en se basant notamment sur le recours au biométhane, l’hydrogène et la pyrogazéification. Plus récemment, ce sont 7 organismes (AMORCE, FEDENE, SER, Via Séva, CIBE, l’AFPG, l’ATEE et Enerplan) qui ont avancé une série de propositions pour soutenir le secteur renouvelable dans la production de chaleur, présentées fin 2021 à l’occasion de la Semaine Européenne de la Chaleur Renouvelable.
Elles s’articulent pour certaines autour d’un axe législatif, avec l’introduction de nouvelles régulations venant compléter celles déjà en place et, pour d’autres, autour d’un axe économique avec le renforcement de dispositifs existants. Elles suggèrent notamment de relever l’objectif annoncé dans la LTECV à 50% de renouvelable dans la chaleur consommée, afin d’inciter la mise en place de mesures d’accompagnement suffisamment fortes pour permettre de les atteindre.
Loin d’être irréaliste, ce nouvel objectif nécessiterait – selon les parties prenantes- un rythme de développement de 17TWh/an, finalement peu éloigné de l’augmentation qu’a connu la part de chaleur renouvelable en 2020 (+12TWh). Il pourrait par ailleurs être décliné sur l’ensemble du territoire de deux façon :
- En définissant une part minimale de chaleur renouvelable consommée par les bâtiments existants, qui serait relevée tous les dix ans,
- A l’échelle territoriale, dans la continuité des Plan climat-air-énergie, mettre en oeuvre des « Plans Territoriaux Chaleur Renouvelable » pour les collectivités de plus de 20 000 habitants. Chaque collectivité devrait alors faire le bilan de la chaleur consommée sur son périmètre, qu’elle soit domestique, industrielle ou collective. Cet état des lieux serait suivi d’un plan d’action s’appuyant sur des dispositifs de financement permettant de substituer progressivement les renouvelables aux énergies fossiles.
Équiper 1 500 collectivités territoriales de réseaux de chaleur
Ces propositions nécessitent un renforcement des structures de production et de distribution tout en forçant les collectivités à prendre part efficacement à la transition vers une production de chaleur décarbonée. Elles impliquent également un déploiement plus massif des réseaux de chaleur au sein des communes françaises. La filière estime ainsi que, « pour livrer 39,5 TWh de chaleur renouvelable d’ici 2030, tel que fixé dans la loi de transition énergétique pour la croissance verte (LTECV), il est nécessaire de doter 1 500 villes ou EPCI ruraux de nouveaux réseaux de chaleur vertueux ».
En parallèle, les 8 acteurs de la filière proposent également de revoir les aides financières pour développer la chaleur d’origine renouvelable, en particulier le montant alloué au Fonds Chaleur, doté entre 2009 et 2020 d’une enveloppe de 2,6 milliards d’euros, soit moins de 300M€ par an. Ils estiment également qu’il est important « de permettre une meilleure utilisation des
certificats d’économies d’énergie en donnant la possibilité de les cumuler dans toutes les
situations avec le Fonds chaleur et de les bonifier pour les réseaux vertueux, ce soutien ne
pesant pas dans le budget de l’État ».
Par ailleurs, et l’actualité nous l’a rappelé ces derniers mois, les prix du gaz et de l’électricité connaissent de fortes variations. Des prix peu élevés les mettent donc en concurrence avec la chaleur renouvelable et peut entraîner des réticences à recourir à cette dernière. Pour cette raison, le collectif propose, pour faciliter le déploiement de la chaleur renouvelable, d’élargir l’éligibilité de toutes les filières de la chaleur renouvelable au Fonds de décarbonation, qui permet de bénéficier d’une compensation pour l’écart de coûts total entre une chaleur renouvelable et son alternative fossile (à l’heure actuelle, ce dispositif n’est valable que pour la biomasse).
Lutter contre la précarité énergétique
Enfin, la filière propose également de créer un « Fonds social pour le climat » afin d’accompagner les Français-es les plus précaires à rénover leur foyer et recourir à des solutions de chauffage renouvelables. Alimenté notamment par la contribution climat-énergie, ce fonds de 5 milliards d’euros s’inscrirait ainsi directement dans l’engagement pris de réaliser une transition énergétique qui ne se fasse pas aux détriments des plus fragiles.
La France dispose de sources renouvelables matures pour la production de chaleur, qui peuvent être particulièrement mobilisées par les réseaux de chaleur lorsque ces ressources sont difficiles d’accès et d’exploitation, comme c’est souvent le cas en zone urbaine. Leur modernisation et leur déploiement permettra de contribuer aux objectifs nationaux de la transition énergétique. La décarbonation du secteur de la chaleur permettrait ainsi de relever le défi de la précarité énergétique, qui touche 12 millions de personnes à l’heure actuelle.