Le transport maritime représente entre 80 et 90% du commerce de marchandises dans le monde en terme de volume. Ce sont aujourd’hui près de 100 000 navires qui sillonnent nos mers et océans, alimentés pour l’immense majorité en fioul lourd ou HFO (Heavy fuel oil). Et même si sa croissance était moins forte ces dernières années, depuis 3 ans, le commerce maritime se porte bien : +2.6% en 2016 et +2.8% en 2017 (d’après la Cnuced).
On peut ajouter à cela qu’il y a de plus en plus de navires dans le monde et qu’ils sont de plus en plus imposants (essentiellement des pétroliers, vraquiers et porte-conteneurs). On comprend alors aisément qu’à ce rythme de développement et se nourrissant de l’un des carburants les plus polluants qui soit, l’empreinte environnementale du transport maritime est immense et est devenue un enjeu majeur pour la réussite de la transition écologique.
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Le dramatique bilan de la pollution du transport maritime
Outre le fait que le transport maritime représente 3% des émissions mondiales de dioxyde de carbone (CO2), les pollutions les plus alarmantes concernent les particules fines et ultra fines : l’émission d’oxyde de soufre (SOx) et d’oxyde d’azote (NOx), qui représentent respectivement de 10% à 14% et de 17% à 31% des émissions mondiales.
Voici d’ailleurs un point de comparaison parlant donné par France Nature Environnement : un navire moyen générerait par jour autant de pollution aux particules ultra fines qu’un million de voitures. Par ailleurs, toujours selon France Nature Environnement, la pollution du transport maritime est considérée comme la plus dangereuse pour la santé. On estime que les émissions des navires – de soufre notamment – seraient responsables de 50 000 à 60 000 morts prématurées par an rien qu’en Europe.
C’est d’ailleurs essentiellement à cause des bateaux stationnant dans les ports, moteurs allumés. A ce sujet, la Région Sud vient de débloquer début septembre 30 millions d’euros afin d’électrifier les quais des ports de Marseille, Nice et Toulon. Ce qui va permettre aux bateaux de couper leurs moteurs une fois amarrés. Une vraie victoire… mais pas avant 2025. À noter que le transport maritime était le seul secteur à rester à l’écart de l’Accord de Paris sur le climat.
Les impacts sur l’environnement et la santé sont donc colossaux. Certes, la teneur maximum de soufre a été abaissée par l’Organisation Maritime Internationale (OMI) de 4% à 0.5% du carburant pour 2020. Mais ces mesures ne suffisent pas et les regards se tournent donc vers l’utilisation d’un nouveau carburant : le GNL, pour gaz naturel liquéfié.
Un navire moyen générerait chaque jour autant de pollution aux particules ultra fines qu’un million de voitures.
Le GNL : nets avantages écologiques et économiques
Le gaz naturel liquéfié est du gaz naturel essentiellement composé de méthane et condensé à l’état liquide. Aujourd’hui le GNL est principalement utilisé comme moyen de transporter le gaz naturel en s’affranchissant des réseaux de gazoducs. Son utilisation comme carburant dans le domaine maritime est relativement récente et date de 2013.
L’énorme potentiel du GNL réside dans le fait que la combustion du gaz naturel est moins polluante que d’autres carburants : elle n’émet ni suie, ni poussière, ni fumée. Par rapport au fioul lourd, le GNL permet une réduction de 20% des émissions de dioxyde de carbone, de 90% des émissions d’oxydes d’azote, et surtout de 100% d’émission de d’oxydes de soufre ! Des chiffres impressionnants qui font du GNL un carburant très efficace pour l’environnement : il diminue nettement les émissions de GES et réduit quasi à néant les autres émissions, dont les particules fines.
Le GNL est par ailleurs moins cher que les autres carburants et affiche des performances de propulsion optimales et supérieures au fioul par exemple. Enfin dernier atout mais pas des moindres, les moteurs sont moins bruyants. En effet la pollution sonore est rarement abordée lorsqu’on parle de la pollution maritime. Mais c’est un vrai sujet qui au delà de nuire aux personnels de bord et portuaire, affecte les espèces marines dans leur orientation, leur communication ou leur façon de se nourrir.
Mais des impacts environnementaux à l’extraction et à la production
Malgré ces avantages incontestables et le fait que le gaz soit la plus propre des énergies fossiles, le GNL reste une énergie fossile. Et qui dit énergie fossile, dit extraction et donc impact environnemental, et dit également ressource limitée.
Pour une partie des gaz naturels dits conventionnels, les méthodes d’extraction ont nécessairement un impact mais sont relativement simples car la poche de gaz est proche de la surface. Un puits d’extraction et un réseau de gazoducs suffiront. En revanche, certains gaz naturels dits gaz non conventionnels car difficiles à extraire – le gaz de schiste par exemple – sont exploités à partir de la technique de fracturation hydraulique, coûteuse et dangereuse pour l’environnement. Sans parler des éventuels fuites de méthane lors du transport en gazoducs ou méthaniers.
Par ailleurs, le gaz naturel subit tout un processus de transformation pour devenir du GNL : épuration, déshydratation, pré-refroidissement et enfin liquéfaction. Avec à chaque étape son lot de consommation d’énergie, notamment la liquéfaction. De plus, les réserves en gaz naturels sont donc épuisables. Plusieurs études indiquent que ces ressources seront épuisées à l’horizon 2070. Dernier frein, un navire au GNL présente un surcoût de 20% par rapport à un navire au fioul. Le passage au GNL nécessite donc un investissement et à donc un coût pour les armateurs. De même pour les infrastructures portuaires, encore loin de toutes pouvoir accueillir des navires au GNL.
Si la combustion du GNL pour le transport maritime s’avère moins polluante, nous ne changeons pas pour autant de paradigme : la persistance à prolonger notre dépendance à l’exploitation d’énergies fossiles qui ont un coût d’extraction et de production, ainsi qu’une limite dans le temps.
Le GNL se démocratise dans le transport maritime
Malgré cela, le GNL semble être aujourd’hui la seule alternative au fioul viable techniquement et économiquement. La flotte mondiale de navires propulsés par des moteurs au gaz naturel est en nette progression : l’association Gasnam a recensé 143 navires (pétroliers, paquebots de croisière, porte-conteneurs, etc.) fonctionnant au GNL fin 2018, contre 118 fin 2017. Et 135 nouvelles unités quasiment prêtes à prendre la mer. Si cette tendance se confirme, le GNL pourrait représenter 20% du marché d’ici 2035.
L’essentiel de ce marché est européen, et c’est la Norvège qui possède plus des trois-quarts des navires au GNL. En France, Le déploiement du GNL comme carburant marin dans les ports est inscrit dans le cadre de la Loi de 2015 pour la transition énergétique. Le GNL marin a également l’avantage de pouvoir s’adapter à tous types de navires. Il correspond ainsi aux attentes du transport fluvial très réglementé, et au secteur du transport de passagers par Ferries qui en est la première cible. Par exemple l’Aida Nova du Groupe Costa est le premier mega paquebot employant le GNL pour combustible unique.
Le transport maritime était le seul secteur à rester à l’écart de l’Accord de Paris sur le climat.
Et il fait des émules puisque la compagnie maritime espagnole Baleària lui a emboîté le pas et a commandé des nouvelles motorisations au GNL pour tous ses navires. L’armateur français CMA CGM a pour sa part annoncé son choix d’utiliser du gaz naturel liquéfié pour les moteurs de ses neuf nouveaux grands porte-conteneurs qui seront livrés en 2020. Ce qui portera à 20 le nombre de navires de la flotte propulsés au GNL. La compagnie, numéro 3 mondial du transport maritime, a par ailleurs annoncé fin août en marge du G7 à Biarritz qu’elle renoncerait à emprunter la Route du Nord maintenant quasi accessible, prolongeant ainsi ses engagements environnementaux au delà du carburant.
Il existe cependant d’autres alternatives plus ou moins matures au fioul lourd. En premier lieu le bio-GNL ou bio-méthane. Version renouvelable du GNL car à 100% issu de déchets, le bio-GNL est interchangeable avec le GNL. Il offre la possibilité de réduire l’impact au niveau de l’extraction du gaz naturel de nos sous sols. Mais nous en sommes encore au stade expérimental. De même, la technologie de propulsion à hydrogène est encore trop peu avancée pour équiper dès à présent des cargos ou paquebots. De son côté, la propulsion électrique via batteries est techniquement viable pour les petites embarcations mais encore largement insuffisant en autonomie pour propulser un géant des mers à l’autre bout du monde.
Enfin, plusieurs entreprises comme Airseas ou Neoline se penchent sur un système de voiles pour propulser les bateaux grâce au vent. les premiers tests de ce mode de propulsion propre et renouvelable auront lieu en 2020.
D’autres solutions pour réduire la pollution maritime
Des solutions complémentaires aux différentes techniques de propulsion existent pour atténuer l’impact écologique du transport maritime. Par exemple la start up Smart’n’go propose d’optimiser les routes maritimes pour réduire la consommation. Selon certaines études, il serait également possible d’améliorer l’efficacité énergétique des navires en installant des épurateurs ou catalyseurs visant à réduire les émissions d’oxydes de soufre et d’azote.
Une autre possibilité serait également de réduire la vitesse des bateaux. En la divisant par 2, cela permettrait de consommer 4 à 5 fois moins d’énergie et agirait sur les émissions atmosphériques nocives. A ce sujet 113 armateurs ont déjà manifesté leur soutien à la réduction de la vitesse portée à l’OMI. Enfin, en instaurant un système de bonus / malus sur les tarifs des droits portuaires, les ports pourraient inciter les armateurs à se tourner vers des énergies plus propres.
Enfin, le retour à l’utilisation des énergies renouvelables comme le vent se présente également comme une solution contre la pollution maritime. En effet, la propulsion vélique se manifeste comme une autre alternative, misant sur la force du vent et une technologie de voiles, à l’image de Zéphyr&Borée ou encore d’AirSeas.
Malgré un impact environnemental encore trop élevé si on prend en compte l’ensemble de son cycle d’extraction ainsi que ses caractères fossile et carboné, le GNL dispose d’avantages certains sur les autres carburants.
La filière est encore très jeune et doit faire face à d’importants défis comme le manque d’infrastructures d’approvisionnement dans les ports. Mais de nombreux avis d’experts et de professionnels du secteur semblent converger : le GNL serait le carburant d’avenir pour le transport maritime.
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Sources / Pour aller plus loin :
https://www.fne.asso.fr/dossiers/linsoutenable-pollution-de-lair-du-transport-maritime-navire-bateaux-croisi%C3%A8res
https://www.gaz-mobilite.fr/dossiers/gnl-carburant-maritime-europe
https://info.arte.tv/fr/le-commerce-maritime-mondial-infographies
https://www.isemar.fr/wp-content/uploads/2017/02/note-de-synth%C3%A8se-isemar-187.pdf
https://labs.letemps.ch/interactive/2016/longread-fioul-lourd/