Deux jours d’ateliers et de conférences au Centquatre sur le thème des mutations des territoires et du vivant : c’était la promesse de cette nouvelle édition de la Maddykeynote. Un évènement qui a vu de nombreux acteurs échanger et débattre sur les transitions actuellement à l’oeuvre. Arnaud Montebourg est venu échanger sur la revitalisation des territoires par les productions locales ; Jean Moreau, le co-fondateur de Phénix, sur l’avenir des centres commerciaux ; Flore Berlingen sur la lutte contre les gaspillages et Simon Bernard sur l’avenir des océans.
De ces deux jours, nous avons développé 3 résumés de conférences et échanges sur des thématiques qui nous sont chères. Le premier concerne l’avenir des villes. Le second est un résumé d’une intervention brillante d’Eva Sadoun, co-fondatrice de Lita.co, au sujet de la finance à impact. Le dernier, concerne le futur de nos modèles agricoles.
Repenser la ville
Alors que la thématique de la Maddykeynote était cette année « mutation des territoires et du vivant », repenser la ville allait forcément se placer comme un sujet incontournable. Et pour cela, les regards se tournent notamment vers la végétalisation. Une préoccupation ancienne, précise Alain Mille, Directeur du Développement chez GrDF, lors d’une table ronde sur le sujet, et qui cite pour cela Alphonse Allais, qui disait en 1860 : « il faudrait construire les villes à la campagne, l’air y est plus sain ».
Cependant, pour décarboner les villes et réduire les ilots de chaleur urbain, les solutions sont nombreuses : construction de bâtiments bioclimatiques, écoconception et utilisation de matériaux biosourcés, rénovation énergétique et utilisation d’énergies renouvelables, végétalisation des bâtiments et des rues… Ou encore le biomimétisme, présenté à l’occasion par la directrice du CEEBIOS, Kalina Raskin. Mais il existe cependant un bémol à ces solutions : le renouvellement du bâti, en France, c’est environ 1% à 2% par an. Donc tout l’enjeu réside dans la rénovation. Or, sur ce sujet, il n’y a pas de modèle économique viable à ce jour. Un problème financier qu’on trouve dans toute transition actuellement à l’oeuvre.
Ce qui n’empêche pas les initiatives de se créer et de voir de nouvelles visions de la ville émerger. Un ville plus inclusive, qui fait le lien avec sa ruralité grâce aux circuits-courts mais qui cherche aussi à recréer du lien social dans ses murs. « Il faut donner de la qualité de vie, penser de meilleurs usages de certains lieux, repenser le quotidien des gens pour qu’ils s’en emparent » précise Alexis Tricoire, designer végétal. À l’approche des élections municipales, nul doute que le sujet continuera de faire parler de lui.
« Mon combat à moi, c’est la finance »
Pourquoi la finance est-elle aussi clivante ? Que ce soit d’un point de vue social (comme on peut le voir avec le mouvement des gilets jaunes) ou politique, ainsi que l’illustre la différence entre François Hollande (« mon ennemi, c’est la finance« ) et Emmanuel Macron, le monde financier fascine autant qu’il répugne. Il ne laisse personne indifférent. Sur la Visionnary stage de la Maddykeynote, Eva Sadoun tente d’apporter un élément de réponse à ce sujet : « La finance est mal comprise ». Mais pas que. Elle est aussi victime de ses défauts. Et là où les marchés ont permis de financer la production lors des 30 glorieuses, elle s’est ensuite éloignée grandement de ce qu’est l’économie réelle. Jusqu’à peser aujourd’hui 4 fois plus que le PIB mondial grâce à des produits structurés, dérivés, qu’il est difficile de comprendre.
Pour la co-fondatrice de Lita.co, une plateforme d’impact investing dont la vocation est de réorienter l’épargne et l’argent vers une économie plus durable, sociale et solidaire, c’est autour d’une finance alternative, à impact, et responsable, qu’il faut se tourner. Avec la nécessité de « remettre de l’humain et de la compréhension dans ce secteur. » Alors qu’il faudrait aujourd’hui 1000 milliards de dollars par an pour réussir la transition sociale et environnementale autour du globe, la réorientation des flux financiers vers la finance à impact est un facteur-clé de succès. Et particulièrement en ce qui concerne l’épargne individuelle. « Sans l’épargne individuelle, la plupart des états ne pourraient pas subvenir à leurs besoins. C’est un pouvoir formidable, mais les gens ne s’en rendent pas compte ».
Car la finance est mal comprise. Une idée pour y remédier serait donc de donner des outils aux citoyens pour le comprendre, et leur permettre d’effectuer des choix éclairés. Pour ce faire, Eva Sadoun annonce que Lita.co va lancer bientôt une sorte de « Yuka » pour permettre de comprendre l’impact environnemental et social de ses produits bancaires. « Votre empreinte carbone est liée à 40% à l’argent que vous avez en banque » ajoute t’elle. Un outil pour mieux gérer son argent, et pour pouvoir le placer sur des produits qui ont un réel impact. Un outil pour réduire son empreinte carbone. Un outil pour faciliter la transition écologique. On a hâte d’en apprendre davantage.
“Ce qui guide l’homme ce n’est pas son égoïsme mais son empathie “d’après #AdamSmith “La richesse des nations” cité par l @Eva_Sdn #MaddyKeynote Un autre regard sur la finance et la finance responsable 👍👏 #Nature même combat 😉 pic.twitter.com/9tArpYBrTm
— Alice Darmon⚡️ (@DarmonAlice) January 31, 2020
Agriculture : « c’est aux consommateurs de décider quel modèle ils veulent «
Grande question qui anime les débats régulièrement : comment nourrir la planète durablement alors que nous serons probablement 9 milliards d’ici 2050 ? Un sujet qui revient d’autant plus souvent que le traitement médiatique du sujet est très (trop) clivant. D’un côté les monocultures intensives et arrosées d’intrants chimiques. De l’autre, les cultures biologiques qui seraient parfaites (mais qui ne le sont pas). Un élément que vient d’ailleurs rappeler Clément le Fournis, fondateur de la start up Agriconomie : « le problème du bio, c’est qu’on impose des normes aux agriculteurs français mais ensuite, on importe des produits bio qui ne répondent pas à ces normes ».
Alors, quelle solution pour une transition agricole réussie ? Au milieu, une agriculture raisonnée et raisonnable existe, mais peine à se mettre en place. C’est l’agriculture de conservation des sols, l’agriculture de précision, l’agroécologie… Un ensemble de techniques qui permettent de conserver des rendements tout en réduisant la part d’intrants chimiques, et qui mise aussi sur une plus grande diversité de cultures. Soit de quoi préserver les sols, un patrimoine primordial pour les agriculteurs. « Entre l’artificialisation des sols, la pollution ou encore l’émergence du photovoltaïque qui empiète sur terres agricoles, on a besoin d’une prise de conscience internationale pour préserver les sols. Après rien n’est irreversible, la phytoremédiation pour dépolluer en est un exemple » précise Etienne Gangneron, de la FNSEA. Mais pour cela, une réalité économique existe. Les agriculteurs ont-ils les moyens financiers de cette transition ?
« Il ne faut pas reprocher éternellement aux agriculteurs des choix qui ont été fait il y a 50 ans »
Etienne Gangneron – FNSEA
Gilles Van Kempen (agriculteur et vulgarisateur agricole sur Youtube) témoigne en ce sens. « Mon grand-père faisait de la polyculture et de l’élevage, mon père s’est orienté vers des grandes cultures, moi je m’oriente vers l’agroécologie. Mais si j’ai pu innover en agriculture de conservation des sols, c’est parce que j’ai hérité d’une exploitation rentable. Sans ça, je n’aurais pas pu effectuer cette transition ». Entre autres sujets concernant la transition agricole, le développement des circuits-courts, de l’agriculture urbaine et péri-urbaine sont évidemment cité. Mais là encore, la réalité économique s’impose. « On voit beaucoup de projets portés par des urbains mais qui ne tiennent pas deux ans car le modèle économique n’est pas viable » ajoute Etienne Gangneron. « Il faut de l’aide à l’investissement et il faut accompagner ces modèles. Mais il faut aussi que les consommateurs soient prêts à payer un prix juste ».
Une conclusion sur laquelle rebondit Gilles Van Kempen : « c’est aux consommateurs de décider quel modèle ils veulent via leur acte d’achat ». Des marques comme Poulehouse ou C’est qui le patron ? prouvent d’ailleurs que les consommateurs sont parfois prêt à payer le prix juste. Mais dans ce cas, c’est aussi toute la chaîne qu’il faudrait repenser, ainsi que le rappelle le Vice-Président de la FNSEA : « le circuit-économique est à repenser. Dans le modèle actuel, tous les acteurs de la chaine alimentaire se rémunèrent en premier et laissent le (peu) de reste aux agriculteurs ».