Cette semaine, nous avons interviewé Olivier Binet, co-fondateur de la start up Karos, spécialiste français du « court-voiturage », c’est à dire le covoiturage sur de petits trajets, et notamment sur les trajets domicile-travail. Il nous explique la genèse de son projet d’entreprise et fait le point sur l’impact environnemental du covoiturage ainsi que sur les enjeux de la Loi Orientations des Mobilités pour le développement de cette pratique.
Les Horizons : Karos, qu’est -ce que c’est exactement ?
Olivier Binet : Karos, c’est une entreprise qu’on a crée en 2014. À l’époque, BlaBlaCar commençait à se développer de manière très spectaculaire sur des trajets de 320 km en moyenne, en inventant un nouveau type de mobilité qui consiste à partager son véhicule sur des trajets longs, de ville à ville. Que ce soit en matière de pouvoir d’achat, parce que la voiture coûte cher, et en matière de transition écologique, la question s’est posée de savoir si on ne pouvait pas développer le covoiturage sur les trajets du quotidien.
Le fait est que le covoiturage pour aller au travail tous les matins et tous les soirs, c’est assez contraignant pour les conducteurs comme pour les passagers. Il faut que les points de rencontre correspondent aux horaires et chemins de chacun. L’idée pour que ça fonctionne, c’était d’être une sorte d’assistant capable d’organiser au mieux les trajets pour tout le monde. C’est à ce moment que j’ai rencontré mon associé, Tristan. Il travaillait à l’époque chez Criteo, une entreprise qui a révolutionné la publicité sur Internet grâce à l’intelligence artificielle. On s’est dit qu’avec l’IA, on devait pouvoir proposer une solution à ce sujet. Et on a crée Karos, qui est donc un assistant personnel de covoiturage.
Concrètement, comment ça fonctionne ?
On travaille sur une approche et une technologie encore parfaitement unique aujourd’hui. Une fois que vous avez téléchargé et paramétré l’application, on va analyser votre mobilité quotidienne. Cela nécessite de donner un consentement explicite sur les données qui est nécessaire dans le cadre de la RGPD. Ce qui veut dire que même lorsque l’application Karos est fermée sur votre téléphone, tant que votre téléphone est allumé, Karos comprend et analyse vos habitudes de mobilité. C’est à dire vos itinéraires, vos temps de parcours, vos horaires. Il détecte même automatiquement vos modes de transports. Derrière en faisant tout ça, on est capable avec du machine learning de fournir de la prédiction. Donc on anticipe notamment les déplacements de nos conducteurs avec une très grande fiabilité. Derrière on met automatiquement les conducteurs et passagers en relation.
Grâce à cela, vous avez en moyenne 18 personnes sur votre trajet qui sont théoriquement très pertinents pour covoiturer parce qu’elles correspondent à vos horaires et itinéraires. C’est pour ça qu’on parle d’assistant personnel de covoiturage. Ça rend la pratique très fiable et très flexible. Et un mode de transport fiable et flexible, c’est ce qui se rapproche le plus du transport public.
Donc le covoiturage, c’est une sorte de nouveau transport en commun ?
Exactement ! En faisant ça, on est donc dans une nouvelle forme de transport collectif qui implique aussi de l’intermodalité. On a d’ailleurs plus de 20% de nos trajets quotidiens qui sont des trajets intermodaux. C’est à dire que de porte à porte on vous dit : « marchez 5 minutes jusqu’à tel endroit ; ici prenez le RER B ; descendez à telle station ; là, montez dans la voiture de Valentine ; Valentine vous dépose à telle rue ; marchez 2 minutes et vous êtes arrivés ». C’est important car cela permet de donner un accès aux transports publics à ceux qui n’en avaient pas. Et c’est une alternative pour les premiers et derniers kilomètres.
Quel est l’impact du covoiturage sur l’environnement ?
Le covoiturage permet de diminuer le nombre de voitures qui sont en circulation et donc, cela diminue de fait les émissions de CO2, de particules fines, d’ozone, et des autres polluants rejetés par les véhicules motorisés. Donc la pratique du covoiturage, elle permet d’améliorer la qualité de l’air. Lorsqu’on déployé notre service en région Ile-de-France, sur les 13 mois de test, nos utilisateurs ont permis d’éviter l’émission de 750 tonnes de CO2.
Pour les salariés, cela qui correspond à dire « si tu viens au travail en covoiturage, tu ne paies absolument rien »
Quelle est la part de vos covoitureurs qui roulent en véhicules électriques ?
Elle est très faible. On avait regardé il y a environ 6 mois et la conclusion qu’on en avait tiré, c’est que la part de l’électrique est plus importante chez nous que la part moyenne du parc. Mais ça reste extrêmement mineur pour la simple et bonne raison que 90% de nos conducteurs utilisent Karos pour la raison du gain de pouvoir d’achat sur le carburant. Donc seulement 10% viennent pour des raisons écologiques.
En revanche, c’est très amusant de voir que ces conducteurs de véhicules électriques se positionnent davantage dans un rôle d’évangélisation. Ils sont fiers de leur voiture électrique, ils veulent sensibiliser les autres conducteurs à cela. Bon nombre d’entre eux sont d’ailleurs des coeur-voitureur, c’est à dire qu’ils ne perçoivent pas d’argent pour covoiturer.
Le geste écologique n’est donc pas encore le moteur de motivation pour vos utilisateurs…
Non, ce qu’ils recherchent en premier lieu, c’est un gain sur la qualité de vie. D’un point de vue financier, pour nos conducteurs le gain est en moyenne de 97 euros par mois. Pour les passagers, en moyenne, ils économisent 27 minutes par trajet, donc près d’une heure par jour. Collectivement, tout cela a un impact positif sur l’environnement. Mais d’un point de vue individuel, c’est la qualité de vie et le pouvoir d’achat qui sont les moteurs.
Quel va être l’impact de la LOM sur la pratique du covoiturage ?
Aujourd’hui, on a une offre appelée Karos Territoires qui est déployée avec la région normandie, la communauté d’agglomération de Flers, la région Ile-de-France ou encore Toulouse métropole. On agit comme un opérateur de transport en complément du réseau de transport collectif et ça implique notamment de pouvoir – pour la collectivité – faire une tarification dynamique du covoiturage. Ce qui signifie d’aligner la tarification passager sur celle du transport public. Ce qui permet de prendre le métro, le bus, le tramway et le covoiturage avec sa carte de transport.
La Loi Orientation des Mobilités, elle crée les conditions du développement de cette pratique car elle écrit noir sur blanc que les collectivités ont désormais la possibilité de traiter le covoiturage comme un mode de transport collectif. Donc d’acheter des solutions de covoiturage qui leur permettent d’abonder sur les trajets pour faire en sorte que la tarification passager soit attractive.
Ensuite, on a une seconde offre qui est commercialisée auprès des grandes entreprises qui souhaitent améliorer la mobilité de leurs salariés. Là, on s’inscrit dans le cadre du forfait mobilité qui va consister, grâce à la LOM, de permettre aux employeurs de financer le covoiturage de leurs salariés. C’est assez génial pour générer du report modal. Et pour les salariés, cela correspond à dire « si tu viens au travail en covoiturage, tu ne paies absolument rien ». C’est du gain de pouvoir d’achat qui a un impact non négligeable en matière de transition écologique. Aujourd’hui on a déployé cette solution sur un peu plus de 1000 sites d’entreprises qui emploient environ 105 000 salariés. Des gens comme Accor, Airbus, Safran, ou encore Econocom.