Nathalie Gontard est directrice de recherche à l’INRAE depuis 2011. Experte en sciences des emballages, elle a notamment écrit le livre « Plastique, le grand emballement », et a participé à la réglementation sur la sécurité sanitaire des emballages alimentaires.

Elle nous livre ici ses opinions sur le recyclage, sur les initiatives qui émergent, ainsi que ses espoirs pour réduire la consommation de plastique dans les années à venir.



Les Horizons : Nathalie Gontard, vous avez publié l’ouvrage « Plastique, le grand emballement » en 2020. Qu’est ce qui vous a conduit à écrire ce livre ?

Il y a une dizaine d’années, j’ai commencé à ressentir une réceptivité de la part de tous les acteurs de la société sur le sujet des plastiques. Avant cela, je travaillais plutôt dans l’ombre. Cette évolution des mentalités ainsi que l’ampleur de la pollution entraînée par le plastique, comparée au très petit nombre de chercheurs à travailler sur le sujet, m’ont convaincue d’essayer de communiquer là-dessus auprès du grand public.

Selon moi, pour réduire l’usage des plastiques, il faut d’abord sensibiliser et informer, c’était l’objectif que je recherchais à travers l’écriture de ce livre. Avec du recul, je pense d’ailleurs que nous sommes sur le bon chemin aujourd’hui, mais nous n’allons pas assez vite, en partie à cause d’une forte résistance au changement. Toutefois, je suis plutôt optimiste ! Il faut voir dans les années 1950-1960 la vitesse avec laquelle nous avons adopté le plastique. J’ai bon espoir que la société se rende rapidement compte que ce n’est pas un matériau bénin, et qu’on parvienne à réduire son usage tout aussi rapidement.


Le taux de recyclage du plastique est d’environ 27% en France à l’heure actuelle, contre un objectif de 50% en Europe. Selon vous, comment peut-on accélérer ce mouvement ? 

Avant toute chose, je tiens à souligner que le problème, c’est qu’on nomme « recyclage » ce qui n’en est pas vraiment. Le recyclage tel qu’il est pratiqué actuellement ne reconstitue pas le plastique à l’identique, mais le réutilise pour d’autres fins. Nous redonnons donc une vie à un déchet : on transforme une bouteille en pull, en chaise ou en cintre. Pour moi, ce recyclage est donc plutôt un « décyclage », et il ne résout pas le problème des déchets, qui ne disparaissent pas.

Le vrai recyclage voudrait qu’on re-transforme une bouteille en une bouteille. Mais cette procédure ne représente qu’à peine 2% des plastiques qu’on utilise aujourd’hui. Je pense ainsi qu’il ne faudrait pas aller plus loin dans ce qu’on appelle le recyclage, mais qu’il serait plus intelligent de se tourner vers des solutions plus simples et à notre portée, dont la principale : réduire notre consommation de plastique inutile, c’est-à-dire la consommation de plastique qui ne participe pas à notre bien-être. 


Croyez-vous en l’efficacité de la stratégie 3R, parue le 15 avril dernier, et qui fixe des objectifs en termes de réduction, de réemploi et de recyclage des emballages en plastique à usage unique ?

C’est une bonne stratégie, mais le « R » le plus important est le premier : la « réduction ». Le plastique est le seul matériau qui est irréversible. C’est-à-dire qu’une fois qu’on l’a mis sur terre, on ne peut plus s’en débarrasser. Donc le réemploi du plastique, c’est bien, mais c’est illusoire, et le recyclage l’est encore plus.

Il faut prendre la solution la plus simple, celle de la réduction. Je pense que la stratégie de réduction peut constituer une véritable innovation et peut permettre de repenser notre vie. 

Le plastique est le seul matériau irréversible. Une fois qu’on l’a mis sur terre, on ne peut plus s’en débarrasser


On voit pourtant beaucoup d’initiatives émerger aujourd’hui, autour d’emballages biodégradables, compostables, où même autour de recyclage chimique, qui pourraient améliorer considérablement les choses ?

Je pense que toutes les initiatives qui visent à réduire la pollution plastique sont bonnes. Mais ici aussi il faut faire attention, car ce ne sont que de petites pièces du puzzle. Pour réduire le problème de la pollution, les piliers majeurs se trouvent du côté de la réduction, et non pas du recyclage prétendument magique ou du développement d’autres types de matériaux. 


Vous avez vous-même travaillé sur des emballages biodégradables innovants…

Oui, j’ai travaillé sur le développement d’emballages alternatifs qui doivent servir pour des secteurs qui ne peuvent pas se passer d’emballages, notamment pour l’alimentaire. Nous avons développé une solution en utilisant des résidus agricoles comme les effluents liquides ou les résidus solides – comme de la paille ou des sarments de vigne – pour fabriquer des emballages en réduisant leur coût économique et environnemental.

Dans ma carrière, j’ai aussi contribué à la la réglementation sur la sécurité sanitaire des emballages alimentaires et du recyclage des plastiques. J’ai notamment travaillé sur les matériaux en contact avec les aliments, c’est-à-dire sur les réglementations liées aux migrations de l’emballage vers l’aliment. En particulier sur le Bisphénol A (un perturbateur endocrinien présent dans de nombreux plastiques, ndlr), ainsi que sur les autorisations de recyclage du PET. 

C’est aussi ce qui explique que j’ai une vision éclairée des limites de ce recyclage. Et je pense que nous avons des solutions beaucoup plus innovantes à notre portée, qui sont celles d’apprendre à faire autrement en se passant du plastique autant que faire se peut.

Le gouvernement a récemment mis en place une campagne de sensibilisation à l’égard des antibiotiques, par exemple, qui sont à utiliser avec parcimonie car leur usage n’est pas bénin. Pour moi, c’est exactement la même approche avec le plastique. Il faut comprendre que le plastique est un matériau précieux, qui peut être extrêmement utile, voire irremplaçable, mais qui n’est pas bénin. Il est donc à utiliser avec intelligence.

Le plastique est un matériau précieux, qui peut être extrêmement utile, voire irremplaçable, mais qui est à utiliser avec intelligence.


Au cours de votre carrière, vous avez mené des travaux dans les pays en développement. Pouvez-vous nous expliquer en quoi vos travaux consistaient ? 

J’ai travaillé sur l’emballage plastique, qui à l’époque était nouveau, et qui peu à peu prenait le pas sur les matériaux traditionnels tels que les feuilles végétales. J’ai cherché à comprendre pourquoi nous voulions remplacer ces matériaux par des matériaux plastiques : à l’époque, ces derniers représentaient la facilité, la modernité et ils étaient transparents… Mais les matériaux traditionnels utilisés dans les pays en développement répondaient pourtant aux besoins de conservation des aliments, et permettaient de réduire les pertes et le gaspillage, en étant disponibles localement, peu chers, sans impact environnemental, ou très peu.

C’est à ce moment que j’ai pris conscience du chemin sur lequel nous étions embarqués, et de la façon dont nous étions en train d’embarquer aussi d’autres pays en leur vendant notre modernité. 


Vous êtes aussi engagée en faveur des femmes et de leur légitimité dans la recherche. Comment avez-vous concrétisé cet engagement au cours de votre carrière ? 

J’ai travaillé quelques années au Japon et, là-bas, j’ai beaucoup oeuvré pour la place de la femme dans la recherche. J’ai notamment travaillé avec des étudiantes sur leurs plans de carrière, et sur la façon dont elles pourraient trouver leur place. Mais mon plus gros fait d’arme sur ce sujet a été de monter un « laboratoire de femmes » à Montpellier, il y a une vingtaine d’années.

C’était un laboratoire extrêmement original et avant-gardiste, dans la mesure où le milieu était contrôlé par les hommes. Notre laboratoire était d’ailleurs surnommé « le poulailler ». Ensuite, dans toute ma carrière j’ai eu à coeur de soutenir les femmes et de leur donner ce sentiment de légitimité, que souvent elles n’ont pas.

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