Olivier Large et Marjorie Darcet ont créé Lixo en 2019. Cette jeune startup de l’économie circulaire propose aux professionnels de la gestion des déchets une solution technologique basée sur de la reconnaissance d’images afin de les aider à mieux identifier et gérer leurs flux.
L’objectif ? Améliorer la valorisation des déchets et réduire la pollution liée à l’incinération et l’enfouissement. Des perspectives que nous abordons dans cette interview avec Marjorie Darcet, co-fondatrice de cette jeune startup.

Usine de tri et de valorisation des déchets de Calce
©Nicolas Parent/MAXPPP – Usine de tri et de valorisation des déchets de Calce.


Les Horizons : Lixo propose aux professionnels de la gestion des déchets une solution qui leur permet de gérer en temps réel leurs flux. Est-ce que vous pouvez nous réexpliquer comment cela fonctionne ?

Marjorie Darcet : Lixo est une solution qui permet de faire ce qu’on appelle de la caractérisation. La caractérisation, c’est de l’analyse de flux qui sert aux professionnels de la gestion des déchets pour identifier les différentes matières qu’ils ont à traiter. À l’heure actuelle, nos solutions sont disponibles pour répondre aux besoins des collecteurs, des centres de tri et des recycleurs.

Notre technologie leur apporte plusieurs choses. D’abord, elle permet d’optimiser leurs opérations, puisqu’une meilleure connaissance du contenu de leurs flux de déchets peut leur permettre d’adapter leurs équipements, ou d’adapter les réglages de leurs machines ou de réduire les risques, par exemple. Nous apportons aussi une valeur ajoutée dans l’optimisation commerciale de leur activité.

Le modèle économique d’un centre de tri, par exemple, c’est de séparer différents types de matériaux et de les revendre, sous forme de balles de matières, aux recycleurs. Or, la valeur de ces balles est intimement liée à leur qualité, et donc à leur composition. Notre solution leur permet de mieux connaître et tracer la composition de ces balles, ce qui change la donne.


En travaillant sur l’analyse des flux de déchets, quel est l’impact que vous cherchez à avoir, et quels indicateurs pour le mesurer ?

L’impact, c’est un sujet très important pour nous, qui est au coeur de notre modèle. D’ailleurs, nous cherchons à recruter sur ce sujet. Aujourd’hui, nous mesurons notre impact de deux façons. Il y a d’abord un ROI financier, puisqu’on fait gagner du temps à nos clients dans la caractérisation des flux et que nous permettons d’optimiser leurs procédés. Ensuite, il y a l’impact environnemental. Sur ce sujet, le coeur de notre mission, c’est d’augmenter la quantité de matières valorisables qui ne va pas à l’incinération ou à l’enfouissement.

La question centrale en ce qui concerne les emballages c’est de savoir de quelles matières premières nous avons réellement besoin, et pour quels usages ?


À l’heure actuelle, seuls 26% des emballages en plastique sont réellement recyclés en France. Au-delà d’harmoniser la couleur des poubelles sur le territoire, quels sont les leviers qui pourraient permettre d’accélérer sur ce sujet ?

Il y a des facteurs macro-économiques, voire politiques, qui jouent sur ce sujet. On peut citer la concurrence des matières premières vierges. Concrètement, quand le prix du pétrole est inférieur à celui du plastique recyclé, ça n’a pas vraiment d’intérêt économique de recycler. Il y a évidemment des incentives fiscaux qui pourraient changer la donne là-dessus, le fait de détaxer les matières premières recyclées par rapport aux matières premières vierges, par exemple, mais ce sont des décisions politiques et cela intervient forcément sur du temps long.

Il y a aussi un levier qui est davantage technologique pour améliorer le recyclage. Un bon exemple, en France, c’est celui de Carbios, qui travaille sur une solution pour faire du recyclage chimique. Un autre point, c’est aussi de travailler sur la création de gisements de matières suffisamment importants pour qu’il devienne rentable et intéressant de les recycler. Là-aussi on voit apparaître des innovations intéressantes comme ce que propose Inex circular, pour identifier les gisements, ou encore ce que propose le groupe Reborn, qui crée des usines spécialisées pour valoriser le polypropylène et le polystyrène expansé.

Après, la gestion des déchets, il faut avoir conscience que ce sont des procédés industriels. Donc c’est du temps-long. Il faut faire la preuve du concept, trouver des modèles d’affaires qui permettent d’être viable sans être sous perfusion d’aides publiques, pouvoir industrialiser son activité. Cela prend du temps.

La gestion des déchets, il faut avoir conscience que ce sont des procédés industriels. Donc c’est du temps-long.


Est-ce qu’il n’y a pas aussi un sujet sur la conception des emballages ?

La question centrale en ce qui concerne les emballages c’est : de quelles matières premières avons-nous réellement besoin et pour quels usages ? Je pense qu’à notre échelle, il faut aussi réfléchir et sensibiliser à ce qu’est un bon emballage. Le pire emballage, c’est celui qui mélange trois, quatre ou cinq matières différentes. Un paquet de pâtes en carton, par exemple, c’est bien. Mais rajouter dessus une petite vitre en plastique pour montrer qu’il y a vraiment des pâtes à l’intérieur, et un petit bec verseur en métal, est-ce que c’est vraiment utile ? Parce que ça n’a pas l’air grave, comme ça, mais c’est très difficile, derrière, de le traiter correctement en tant que déchet.


Il y a aussi beaucoup de matières plastiques différentes sur le marché, dont certaines sont très difficiles à traiter dans les centres de tri et de recyclage. Est-ce qu’on ne s’est pas trompé en créant ces matières ?

Oui et non. Tous les plastiques n’ont pas les mêmes propriétés. Il y a une logique, parfois, pour des questions d’hygiène ou de sécurité. Pour certains usages, notamment le domaine de la santé, le plastique est vraiment une très bonne matière dont il sera difficile de se passer. Mais là encore, on touche à des questions de temps long. Par exemple, est-ce qu’on arrivera à donner au papier les mêmes propriétés que le plastique ?

Après, la question, c’est surtout de savoir si nous avons vraiment besoin d’utiliser autant d’emballages, et d’effectuer un vrai travail d’éco-conception. Il y a un travail à réaliser avec les marques en amont. C’est-à-dire qu’avant même qu’un produit soit mis sur le marché, il serait intéressant qu’on puisse tester et tracer l’emballage à échelle réelle dans des flux, afin de voir comment ils sont traités et de mesurer ainsi leur véritable potentiel de recyclabilité.


Dans votre actualité, vous venez de finaliser une levée de fonds de 3,5M€. Quels sont les objectifs désormais pour Lixo ?

Ces deux dernières années, nous avons travaillé sur la conception de nos produits, qu’on a pu tester en conditions réelles auprès d’une quinzaine de clients. L’ambition, maintenant, c’est de passer d’une dizaine de clients à une centaine de clients, et de le faire en France mais aussi à l’étranger. Ce qui passe par l’industrialisation de nos opérations et de nos procédés de fabrication.

Il faut aussi nous renforcer côté produit. Nous arrivons aujourd’hui à générer des données inédites, que personne d’autre n’arrive à générer. Mais nous pouvons aller plus loin pour apporter de la valeur ajoutée à cette analyse de flux, ou à s’intégrer à différentes machines. Enfin nous avons construit la solution pour qu’elle puisse être réplicable à d’autres cas d’usage. Aujourd’hui on travaille exclusivement sur les déchets ménagers mais il y a d’autres types de déchets sur lesquels nous pourrions être pertinents : les déchets électroniques, les biodéchets, les déchets du BTP.

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