A l’occasion du festival Web2Day, Pierre-Axel Izerable, fondateur du Pavé Parisien, intervenait sur le futur des modes de consommation et de production. Nous avons poursuivi la discussion avec lui. Et le moins que l’on puisse dire c’est que le jeune entrepreneur a de riches idées à proposer. Entre rapatriement des compétences sur le territoire, mise en commun de la matière grise, industrialisation durable et réparabilité, Pierre-Axel est un entrepreneur engagé dans l’économie circulaire. Il nous raconte les enjeux du moment pour sa jeune entreprise. Mais également comment il envisage les modes de production de demain pour qu’ils soient durables.
Les Horizons : Pourquoi le béton pour le Pavé Parisien ?
Pierre-Axel Izerable : L’idée de départ est d’utiliser le béton comme un matériau dense et résistant pour produire une qualité de son plus performante. Le béton a des propriétés mécaniques et acoustiques qui vont permettre d’avoir un son plus précis et plus impactant avec un matériaux très souple.
Et puis il y a le design. On profite de l’arrivée sur le marché du béton fibré ultra haute performance (BFUP), qui est un béton 5 fois plus résistant que le béton traditionnel. Il a également des propriétés de flexion que n’a pas le béton traditionnel. C’est un matériau design par excellence, il est brut de décoffrage. Et on peut le texturer. On a un champ des possibles infini devant nous. Notre seul frein va être notre créativité à savoir comment modifier à bas coûts des éléments pour créer plus de valeur perçue sur le produit.
C’est à dire ?
La question de demain est de savoir comment faire pour industrialiser la production. Et continuer de créer un produit unique complètement atypique. Le gros enjeu c’est l’industrialisation. Comment faire pour être compétitif ? L’objectif va être de réduire les coûts, passer de 350€ à 250€ serait bien pour une enceinte.
Ça n’est pas paradoxal de viser une réduction des coûts tout en gardant une production Made in France ?
Lors d’une conférence ce matin sur l’impact, Ricardo Scacchetti disait qu’on ne pouvait pas être trop radicaux dans nos postures, qu’il fallait y aller étape par étape. Aujourd’hui tout est fait en France, les haut parleurs dans la Sarthe par Audax, la pièce en béton vers Annecy, la pièce en métal à l’arrière à Neuilly Plaisance, la carte électronique en Dordogne. On a vraiment réussi à sourcer l’intégralité des composants en France.
Mais si on veut que cela dure il va falloir réduire les coûts de préfabrication de certaines pièces, pourquoi pas à l’étranger. On doit être plus compétitifs. Mais tout en gardant la durabilité, la caractéristique démontable et réparable du produit. La même pièce peut être ré utilisée, tu peux la revaloriser.
Il faut une éducation du grand public sur la réparabilité : un objet qui est démontable est justement un objet qualitatif.
Peux tu nous parler de la réparabilité du produit ?
L’utilisateur peut tout faire lui même. On ne vend pas encore les pièces sur le site car on est pas encore à ce stade du projet. On a quand même mis des tutos sur iFixit pour pouvoir le faire. L’idée c’est qu’on donnera toujours les pièces pour réparer si besoin, et on accompagnera dans la démarche.
Réparabilité s’associe à anti obsolescence programmée. Le problème avec ce double argument c’est que c’est très apprécié, mais pas très bien compris. Les gens comprennent réparabilité comme un synonyme de « produit fragile ». Il y a un vrai dilemme à communiquer sur la réparabilité car Il y a une mauvaise compréhension du terme.
Dans la loi sur l’économie circulaire actuellement en discussion, les fabricants vont pourtant devoir afficher un indice de réparabilité…
Oui il y a des tables rondes en ce moment sur l’économie circulaire. Certains gros comme Darty ou la Fnac sont à fond sur le sujet. Ce qui semble en ressortir c’est que tous les acteurs ne sont pas partants pour afficher un niveau de réparabilité. Mais certains y voit une vraie opportunité pour que le sujet soit repris dans les médias. Car il faut une éducation du grand public sur ces sujets : un objet qui est démontable est justement un objet qualitatif. Le design mécanique pour sortir un objet démontable est beaucoup plus compliqué et demande plus d’ingénierie qu’un objet qui est tout collé. Une enceinte toute collée c’est beaucoup moins de boulot en assemblage.
La mise en commun et le partage de compétences peuvent assurer la durabilité de l’emploi
Quel est ton ressenti sur la volonté politique de faire avancer ces sujets ?
Au niveau européen, l’économie circulaire pousse fort. On a participé à un projet européen, C-Voucher, dont l’objectif était de trouver des projets à impact sur l’économie circulaire qui étaient viables économiquement et duplicables. C’est à dire que tu peux transférer ta compétence sur un autre marché ou un autre savoir faire. L’Europe a décidé de financer des start up et PME pour qu’elles développent de l’intelligence autour de l’économie circulaire, des solutions concrètes qu’on va pouvoir réutiliser. Avec comme but que ça soit du commun.
Au niveau européen c’est top. L’ambition est intéressante, la dynamique est là. II faut créer un livret d’intelligence collective. Si demain tu veux lancer un projet, tu pourras piocher dedans. Avec une solution pour chaque problématique. Chacun ira se nourrir de solutions qui existent déjà. Je pense que c’est très pertinent.
Apres politiquement ce sont des questions d’opportunités. Le gros enjeu en politique en ce moment, et donc en terme de financements, c’est l’IA. Il y a du financement pour l’ESS mais pas du tout au même niveau que l’IA.
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Dans le secteur de l’ESS, les grands groupes et les industriels semblent être moteurs dans les discussions. Comment l’expliques-tu ?
Les industriels en France ont une force de production sur le territoire. C’est une possibilité pour influencer la tech de demain et la façon dont elle va évoluer. Il faut continuer à mettre autour de la table des industriels qui ont des valeur communes. Que ce soit sur l’impact sociétal ou environnemental de leur entreprise. Ou sur la capacité à réutiliser les produits, voire à les sortir de leur champs d’action originel et à penser à une seconde vie lors d’un autre usage.
L’étape ultime serait de mettre en commun de la matière grise dans le cadre de groupes de travail transversaux Mais ça n’est envisageable que si tu gardes des compétences sur le territoire. En terme d’emplois sur le territoire, et donc de compétences, il faut aussi penser durabilité. Ça passe par la mise en commun et le partage de compétences. Au moins de la matière grise, l’outil industriel c’est encore un autre niveau.
Il faut créer un livret d’intelligence collective pour pouvoir se nourrir de solutions qui existent déjà
Tu as des exemples ?
La French Fab est une bonne initiative publique par exemple. Les entreprises doivent aussi être motrices et créer des groupes, des syndicats de réflexion sur des thématiques données. Sans que ça soit pour autant onéreux à faire vivre. Mais pour essayer de voir quelles sont les finalités pertinentes pour l’ensemble des acteurs sur le territoire, et sur du long terme.
Un industriel ne peut pas réfléchir à moins de 15 ou 20 ans quand il lance une nouvelle ligne de production. Il faut que tous ces acteurs réfléchissant ensemble. Et que ça soit expliqué et compris dans toute la verticale de l’entreprise, pas simplement le directeur RSE ou marketing. Il faut diffuser le message pour sensibiliser.
Ça passe par ré internaliser les compétences qu’on n’a plus sur le territoire ?
D’un point de vue éthique et environnemental, oui. Pour pouvoir produire local. Voire même limiter le développement de monopoles industriels et favoriser le déploiement de solutions. Il faut penser répartition sur le territoire.
Dans le monde de demain si tu n’as pas d’outil de production, et les compétences pour le driver, tu es mort. Tu risques d’avoir des puissances étrangères qui viennent légiférer sur ton territoire. Par exemple le pacte transatlantique sur l’alimentation, le lobby des OGM etc. Il faut des personnes sur ton territoire pour équilibrer le rapport de force. Pour les céréales ou l’énergie imaginez si on ne produisait pas sur le territoire…
Et bien la tech c’est pareil ! Dire ça il y a 30 ans c’était un discours d’experts. Le dire aujourd’hui c’est moins le cas, il faut une prise de conscience collective.